• Ouvrir, ou s’ouvrir, est certainement aussi un des plus beaux verbes qui existent. Combien y a-t-il de choses que l’on peut ouvrir et d’actions que l’on peut accomplir en ouvrant ! Depuis des gestes banals de la vie quotidienne jusqu’à l’ouverture sur des horizons infinis.

    Nous pouvons ouvrir les yeux pour voir, regarder ou observer, les oreilles pour entendre et écouter, la bouche pour parler, manger ou goûter. Nous pouvons ouvrir les mains pour demander, prendre ou donner, les bras pour accueillir ou attraper. Mais on peut aussi ouvrir son cœur ou son esprit, on parle bien de gens qui ont l’esprit ouvert. On ouvre une porte, la porte de la maison, d’un magasin, d’un bureau, d’une église, pour entrer, sortir, recevoir et laisser entrer. On ouvre un nouveau centre, on ouvre un passage, une frontière, un trou dans une barrière.

    Je peux également ouvrir une fenêtre pour aérer ma chambre, ou des rideaux pour laisser passer la lumière ou pour commencer un spectacle au théâtre. Durant la journée nous sommes amenés à ouvrir une foule d’objets : une enveloppe, un paquet ou un cadeau, un livre ou un journal, une bouteille, une boîte, une armoire ou une valise, on ouvre toujours parce que quelque chose de précieux ou d’intéressant nous attend. On ouvre également une cage ou une prison pour libérer. On ouvre un compte pour sauvegarder. On ouvre une discussion, un dialogue, des négociations pour mieux se comprendre. On déclare ouverts les Jeux Olympiques.

    Plus beau encore sera souvent le verbe s’ouvrir, car cela signifie en général s’ouvrir soi-même tout entier, sans tenir d’angle fermé, sans réticence. Le ciel s’ouvre pour nous inonder de sa pluie bienfaisante, comme le ciel de Dieu s’ouvre pour nous transmettre un message et une lumière. Je peux m’ouvrir à l’autre, ce qui peut vouloir dire m’intéresser à tout ce qui est important pour lui, ou me confier à lui, partager avec lui tout ce que j’ai dans le cœur. On s’ouvre aussi à de nouvelles réalités, de nouvelles idées. On s’ouvre à la souffrance des autres et à leurs besoins.

    Ouvrir ou s’ouvrir est le plus souvent une démarche éminemment positive. Car cela signifie débloquer ce qui était fermé, laisser passer la vie sous toutes ses formes, se laisser entraîner par l’être en mouvement dans sa dynamique bienfaisante. Mais évidemment nous sommes toujours libres de détourner vers nous-mêmes ou pour des buts malfaisants toute cette beauté de l’ouverture. Je peux ainsi ouvrir ma bouche pour dire du mal, calomnier ou blesser. Je peux ouvrir une brèche ou un passage pour voler. Il nous arrive de rouvrir dans l’autre une plaie qui va le faire souffrir.

    En tous cas on n’ouvre pas non plus n’importe quand et n’importe comment. Ce n’est d’ailleurs pas toujours facile d’ouvrir. Parfois on a même peur avant d’ouvrir, on hésite à le faire. Il faut aussi  savoir attendre le moment juste pour ouvrir. Lorsqu’on a ouvert la porte pour recevoir un hôte, on referme délicatement la porte derrière lui au moins pour quelques heures pour qu’il se sente bien accueilli, à l’aise, au chaud chez nous à la maison. Si l’on tenait la porte toujours ouverte, cela voudrait dire qu’à peine rentré il ferait mieux déjà de repartir.

    Enfin ouvrir peut souvent se marier harmonieusement avec une foule d’autres verbes, comme nous venons déjà à peine de le voir, des verbes importants pour notre dynamique de vie en mouvement dans la réciprocité, comme entrer et sortir, aller et venir, prendre ou donner...Mais cela fera partir des prochaines étapes de notre recherche.

     

    Citations

    Lorsqu'une porte se ferme, il y en a une qui s'ouvre. Malheureusement, nous perdons tellement de temps à contempler la porte fermée, que nous ne voyons pas celle qui vient de s'ouvrir. (Alexander Graham Bell)

     Si je devais recommencer ma vie, je n'y voudrais rien changer ; seulement j'ouvrirais un peu plus grand les yeux. (Jules Renard)

    La bataille contre l'ignorance se gagne tous les jours, et elle finit par ouvrir sur des perspectives insoupçonnées. (Dalaï Lama)

     Un sourire est une clef secrète qui ouvre bien des cœurs. (Baden-Powell) 

    Une oreille attentive est exceptionnelle aussi bien pour celui qui écoute que pour celui qui parle. Lorsque nous sommes reçus à cœur ouvert, sans être jugés, qu'on nous écoute d'une oreille intéressée, notre esprit s'ouvre. (Sue Patton Thoele)

    On ferme les yeux des morts avec douceur ; c'est aussi avec douceur qu'il faut ouvrir les yeux des vivants. (Jean Cocteau)

    La clef qui ouvre toutes les portes... La confiance. (Charlotte Savary)

    Dans la Bible

    « La femme vit que l'arbre était bon à manger et agréable à la vue, et qu'il était précieux pour ouvrir l'intelligence; elle prit de son fruit, et en mangea; elle en donna aussi à son mari, qui était auprès d'elle, et il en mangea. » (Gn 3,6)

    « Seigneur ! Ouvre mes lèvres, et ma bouche publiera ta louange. » (Ps 51,15)

    « Ouvre mes yeux, pour que je contemple Les merveilles de ta loi ! » (Ps 119,18)

    « Commencer une querelle, c'est ouvrir une digue; avant que la dispute s'anime, retire-toi. » (Pr 17,14)

    « Ouvre ton coeur à l'instruction, et tes oreilles aux paroles de la science. » (Pr 23,12)

    « C'est la voix de mon bien-aimé, qui frappe : - Ouvre-moi, ma sœur, mon amie, ma colombe, ma parfaite! » (Ct 5,2)

    « Je me suis levée pour ouvrir à mon bien-aimé. » (Ct 5,5)

    « Le Seigneur, l'Éternel, m'a ouvert l'oreille, et je n'ai point résisté, je ne me suis point retiré en arrière. » (Is 50,5)

    « Voici, je lui donnerai la guérison et la santé, je les guérirai, et je leur ouvrirai une source abondante de paix et de fidélité. » (Jr 33,6)

    « Et vous saurez que je suis l'Éternel, lorsque j'ouvrirai vos sépulcres, et que je vous ferai sortir de vos sépulcres, ô mon peuple! » (Ez 37,13)

    « Liban, ouvre tes portes, et que le feu dévore tes cèdres! » (Za 11,1)

    « Car quiconque demande reçoit, celui qui cherche trouve, et l'on ouvre à celui qui frappe. » (Mt 7,8)

    « Au moment où il sortait de l'eau, il vit les cieux s'ouvrir, et l'Esprit descendre sur lui comme une colombe. » (Mc 1,10)

    « Puis, levant les yeux au ciel, il soupira, et dit : Éphphatha, c'est-à-dire, ouvre-toi. (Mc 7,34)

    « Et vous, soyez semblables à des hommes qui attendent que leur maître revienne des noces, afin de lui ouvrir dès qu'il arrivera et frappera. » (Lc 12,36)

    « Quand le maître de la maison se sera levé et aura fermé la porte, et que vous, étant dehors, vous commencerez à frapper à la porte, en disant : Seigneur, Seigneur, ouvre-nous ! il vous répondra : Je ne sais d'où vous êtes. » (Lc 13,25)

    « Et il lui dit : En vérité, en vérité, vous verrez désormais le ciel ouvert et les anges de Dieu monter et descendre sur le Fils de l'homme. » (Jn 1,51)

    « Mais un ange du Seigneur, ayant ouvert pendant la nuit les portes de la prison, les fit sortir. » (Ac 5,19)

    « Afin que tu leur ouvres les yeux, pour qu'ils passent des ténèbres à la lumière et de la puissance de Satan à Dieu, pour qu'ils reçoivent, par la foi en moi, le pardon des péchés et l'héritage avec les sanctifiés. » (Ac 26,18)

     

    « Et je vis un ange puissant, qui criait d'une voix forte : Qui est digne d'ouvrir le livre, et d'en rompre les sceaux? » (Ap 5,2)

     


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  • Oui, je sais que je prends un risque en écrivant cet article. Mais c’est bien pour cela que je vais le mettre dans la rubrique « Provocations ». Le risque c’est que mes lecteurs se disent que ce blog raconte n’importe quoi, que je me moque du monde, que je ne suis pas sérieux et qu’ils ne viennent plus jamais nous visiter.

    En effet comment s’amuser à affirmer que l’autre a toujours raison alors que toute notre éducation en famille, à l’école, à l’université, dans les médias n’a cessé de nous dire que nous devions toujours avoir raison et surtout le montrer et le prouver aux autres ? Et si par hasard nous avons été faibles, si nous n’avons pas réussi à imposer notre raison aux autres, on nous a appris alors à nous blinder un peu plus dans notre tour d’ivoire, à aller chercher d’autres arguments plus puissants que les premiers pour arriver à la fin à convaincre tout le monde que vraiment nous avions raison. Et si finalement nous échouons dans notre tentative, quelle honte au fond pour notre orgueil, nous allons perdre la face, pire encore nous allons peut-être être obligés de nous laisser entraîner dans le camp de l’autre...

    Mais prétendre maintenant, par exemple, que tous les gens qui vont mettre des commentaires négatifs à mes articles auront raison? Je ne suis pas honnête, je fais de la démagogie ? Ou bien je n’ai pas de personnalité ? J’aimerais bien d’abord que quelqu’un écrive un commentaire à mes articles mais le blog n’est pas assez connu encore, il en est à ses débuts et il n’a pas beaucoup de lecteurs, ou bien les lecteurs ne se sentent pas assez libres avec moi pour dire ce qu’ils pensent. Il y a cette rubrique « Place aux jeunes » où personne n’a encore rien écrit : vous pouvez m’aider en faisant connaître notre blog à des jeunes, comme un défi ?

    Je vais quand même essayer de m’expliquer. Oui, l’autre a raison, il a toujours raison, ou bien, si vous voulez, il a toujours des raisons. On dit que le cœur a ses raisons que la raison ne connaît pas. Eh bien, c’est la même chose pour « l’autre » : l’autre, n’importe quel autre, mon frère, ma sœur, mon ami, mon collègue, mon ennemi ont des raisons que je ne connais pas et que je ferais sans doute très bien d’essayer de comprendre.

    Tout le problème part du fait que notre monde, celui que nous imaginons dans notre pauvre tête bien étroite, est divisé entre personnes qui ont raison et d’autres qui ont tort. Et lorsqu’on dit « raison », on pense presque toujours raison contre l’autre, contre moi et c’est une bataille sans répit dont on sort en général chacun dans son coin encore plus divisés qu’avant et sans doute encore plus agressifs.

    La réalité c’est que ma raison est toujours limitée tant qu’elle n’est pas entrée réellement, profondément dans les raisons de l’autre pour tenter au moins de le comprendre. Oui, l’autre a toujours des raisons, des motifs qui le poussent à dire ce qu’il a dit ou à faire ce qu’il a fait. Même si c’est un fou, un malade, un terroriste ? A plus forte « raison » ! Il est peut-être devenu fou, malade ou terroriste parce qu’il n’a jamais rencontré une seule personne dans son entourage pour l’écouter, pour le consoler peut-être ou lui apprendre à changer son regard, à écouter lui aussi les autres différents, à connaître la patience et finalement l’amitié.

    Vouloir avoir raison contre l’autre ne servira qu’à diviser un peu plus notre société malade. Si je veux construire un monde différent je dois apprendre à avoir toujours raison avec l’autre. Et si c’est impossible de se comprendre d’un seul coup entièrement avec l’autre, commençons par ce qui peut nous rapprocher, nous unir, découvrons au moins que l’autre a comme nous de bonnes intentions au départ. A ce moment-là nous n’avons plus rien à cacher, nous pouvons dire ce que nous pensons, au bon moment bien sûr, lorsqu’on voit que l’autre est disponible pour nous écouter. Sinon, travaillons pour créer les conditions nécessaires à ce nouveau dialogue et puis écoutons-nous, écoutons-nous sans cesse : nous serons surpris de voir nous-mêmes le monde avec des yeux différents.


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  • Excusez-moi si je vous pose cette question un peu brusquement : mais cela fait longtemps que vous n’avez pas fait de découvertes, de vraies découvertes ? Je ne parle pas ici des nouvelles des badauds, que nous sommes souvent, qui nous amusons à voir si les voisins ont changé de voiture ou qui se demandent pourquoi la vieille dame du coin de la rue n’a plus son petit chien. Je ne parle pas non plus des « nouvelles » que nous entendons à la radio, regardons à la télévision ou lisons chaque jour dans nos journaux : « rien de nouveau sous le soleil » ? Il est vrai qu’on trouve parfois quand même des nouvelles qui valent la peine d’être communiquées. Mais ce sont malheureusement le plus souvent  des nouvelles bien tristes et déprimantes. Non, je parle de découvertes personnelles qui ont un aspect absolument surprenant, qu’on ne se serait jamais attendu à faire et qui tout à coup s’imposent à vous, sans même peut-être les avoir cherchées.

    Mais qu’est-ce qu’une découverte ? La vision sans doute d’une réalité qui nous était jusque là inconnue ou du moins cachée, pas claire du tout. On découvre soudain un nouvel aspect de la vie, une nouvelle vision des choses, des évènements ou des personnes. On peut être émerveillé par une découverte, mais aussi choqué, scandalisé, blessé, mais jamais indifférent. Les découvertes sont comme le sel ou le piment qui donnent du goût à la vie qui, sans elles, tournerait à la routine sans fin.

    Découvrir une nouvelle réalité ou une nouvelle vérité, c’est enlever le voile qui la tenait jusque là dans l’ombre, c’est la mettre en pleine lumière. Découvrir veut dire ouvrir des horizons jusque là inaccessibles ou du moins difficiles à imaginer. La découverte a toujours un aspect fascinant. Mais elle est surtout le début d’une nouvelle aventure. Car plus on fait de découvertes et...plus on fait de découvertes. Dans une logique un peu banale et terre à terre on penserait absolument le contraire. On pourrait croire que plus on a fait de découvertes et moins il nous restera maintenant de réalités à découvrir. Et c’est là que commence l’enchantement. Une première découverte entraîne l’autre, comme une chaîne sans fin.

    Et puis surtout, et c’est sans doute cela le vrai motif de notre blog, on se sent tout de suite poussé à partager ses découvertes. Il y a une telle joie à découvrir qu’on ressent aussitôt un immense désir de mettre en commun cette découverte, au moins avec les amis les plus proches, avec tous ceux qui pourront nous comprendre et se réjouir avec nous. Et là commencent à se multiplier ces horizons nouveaux qui s’ouvrent à nous. On se met à comparer les découvertes, sans être jaloux, car chacun découvre ce qui lui tient au fond le plus à cœur. Cela devient peu à peu comme une symphonie ou une mosaïque de découvertes qui s’interpellent les unes les autres et conduisent à d’autres vérités ou réalités qui se répondent comme en une suite d’échos harmonieux.

    Et, pour finir, la découverte la plus fascinante dans cette nouvelle aventure, c’est qu’en découvrant toujours plus le monde, les autres et toute l’humanité, nous finissons par nous découvrir nous-mêmes avec un regard totalement nouveau. Nous pensions nous connaître alors qu’en réalité nous étions presque étrangers à nous-mêmes.

    Notre blog, cette rubrique des « découvertes » voudrait être une sorte de défi, une mise en commun de nos découvertes. Notre défi sera de se dire simplement : depuis quand je n’ai plus fait de découverte dans ma vie ? Depuis un mois, un an, des années peut-être ? Ou bien j’ai commencé à m’apercevoir que chaque jour peut apporter de nouvelles découvertes ? Seriez-vous prêts à relever le défi ? Sans tomber surtout dans le piège de se croire supérieur aux autres lorsqu’on partage ses découvertes. Car chacun est différent, chacun va faire des découvertes qui correspondent à sa personnalité profonde. Il n’y a pas à faire de comparaisons, mais seulement à se réjouir ensemble parce la vie ainsi dévoilée à elle-même est tellement plus belle !

     


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  • J’ai bien hésité, avant de me lancer dans ce nouvel article, si je devais le mettre dans la rubrique « Provocation » ou « En vie de vocabulaire ». C’est que j’ai vraiment envie de faire danser les mots, de jongler avec eux, pas simplement pour jouer (c’est vrai que j’aime beaucoup les jeux de mots), mais pour en faire une chorégraphie, une harmonie de mouvements réciproques qui partent dans tous les sens, se retrouvent soudain tous ensemble dans un même cercle pour s’éloigner ensuite chacun à son tour...en attendant de revenir, puis de repartir...à l’infini !

    Et la provocation dans tout cela ? C’est que j’ai peur de faire se retourner dans leurs tombes tous les enseignants que j’ai eus à l’école, au lycée et à l’université. Je leur dois beaucoup, c’est sûr, et je ne l’oublie pas. Mais je sens qu’ils m’ont aussi paralysé. Presque toute ma vie, j’ai eu peur d’utiliser des répétitions dans ce que j’écrivais. Je ne me sentais pas libre de me servir de mots tout simples, de la vie de tous les jours, ces mots banals qu’on entend dans la rue et qui sont chargés de toute une vie populaire qui remonte parfois à des siècles d’histoire. Car il fallait toujours trouver des mots précis, des mots originaux, au risque d’être incompris. Il était interdit de commencer des phrases par un « et » ou par un « mais » : ça ne se fait pas ! Et pourquoi donc? Alors que ces « et » et ces « mais » relancent tellement bien le discours, provoquent justement lorsqu’on les met là où on ne les attendrait pas.

    C’est comme les répétitions: pourquoi les éviter ? Parce que c’est monotone, ennuyeux, ce n’est pas assez original, il faut toujours inventer des mots différents pour s’exprimer ? Mais vous ne vous êtes jamais arrêté au bord de la mer pendant de longues minutes à regarder et écouter le flot des vagues qui déferlent sur le sable ou sur les rochers, toujours semblables et toujours différentes en même temps. Et la musique d’un orchestre où le piano répond au violon ou à la flute, se tait puis recommence, recommence une fois, deux fois, dix fois le même thème, en le changeant de temps en temps au début, ou à la fin ou en cours de route : on resterait des heures à écouter. Et quand on aime quelqu'un, on s'ennuie peut-être à répéter vingt fois, cent fois les mêmes mots d'amour?...C’est vrai qu’en poésie bien des exceptions sont permises, mais là encore pourquoi éloigner toujours la poésie de la vie quotidienne et la vie quotidienne de la poésie ?

    Mais tout cela est normal et compréhensible. Notre société, surtout la société européenne occidentale, est malade, malade de crise d’individualisme. On nous a fait croire à l’école que l’important c’était de former notre personnalité. Et on nous a dit que pour développer cette personnalité nous devions être unique, ne ressembler à personne. Alors, emprisonnés par cet idéal trompeur, nous avons voulu imposer à tout ce qui passait sous nos mains ou dans notre esprit, des formes qui ressemblent justement à ces personnalités uniques que ne doivent surtout pas se répéter et se ressembler.

    Et le pire, c’est quand on arrive au sens profond des mots, au delà de l’apparence : c’est là que la tyrannie de l’ « individu » se fait le plus sentir. Il ne faut surtout pas confondre un mot avec un autre. S’il s’agit de mots techniques, je veux bien le comprendre, ce serait gênant de confondre une roue avec un volant ou un cerceau. Mais lorsqu’il s’agit de mots qui expriment les sentiments, la recherche de la vie, la volonté, la lutte pour survivre, combien les mots ont besoin les uns des autres pour s’épauler, se donner de la force, s’unir ensemble en symphonie.

    C’est la même chose que la réalité de la personnalité. Je veux être sûr d’être unique, alors je dois absolument me distinguer des autres, m’opposer à eux, me montrer différent, pas de confusion surtout ! C’est sûr que je vais réussir, ma pauvre personnalité ne pourra s’harmoniser avec personne, personne ne voudra de moi, je resterai toujours dans mon coin. C’est cela que je désire vraiment, de tout mon être ? Mais d’où vient cette peur que les autres m’empêchent d’être unique ? C’est vrai qu’il y a eu des régimes totalitaires qui ont fait de populations entières des sociétés malades où chacun devait ressembler aux autres, mais ce n’est pas le danger que nous courons aujourd’hui dans nos pays occidentaux modernes.

    Je devrais une fois pour toutes être tranquille que je suis unique, que je le veuille ou non, que les autres le veuillent ou non. Et c’est là que l’expérience de la rencontre réelle, sincère et confiante avec l’autre va changer ma vie. Plus j’accepte d’entrer en l’autre, de me perdre même en lui par moments et plus je vais me retrouver moi-même, mais enrichi de la vie de l’autre en moi : c’est cela l’aventure de l’humanité qui ne peut qu’aller vers un avenir meilleur tant qu’il restera au moins quelques personnes pour croire à cette force de la rencontre...

    Nous nous sommes peut-être égarés en chemin dans notre discours ? Non pas du tout ! Ce que je voulais dire c’est que les mots, les verbes surtout, qui sont le cœur et le moteur des phrases, sont faits à notre image. Un pauvre mot peut rester fier d’être unique et irremplaçable, il nous servira de temps en temps pour un travail bien précis, mais on le laissera le plus souvent de côté. Tandis qu’il est des mots, des verbes, comme liberté, confiance, joie et souffrance, entrer, donner, chercher, vouloir, se battre ou accueillir, qui nous interpellent tous les jours et à chaque instant, qui s’appellent et se répondent, qui s’enrichissent lorsqu’on les rapproche ou lorsqu’on les compare, qui nous donnent un sens nouveau chaque fois qu’on les fait vibrer en unité et en symphonie avec d’autres mots, uniques comme eux et pourtant si semblables.

    Cette rubrique « En vie de vocabulaire » et sa sœur « Au cœur du verbe » voudraient être justement une humble provocation, une recherche passionnée pour trouver dans les mots que nous utilisons chaque jour une âme qui nous ramènera au sens profond de notre vie, à l’harmonie des êtres et de l’univers dans laquelle nous pouvons plonger sans fin ou de laquelle nous pouvons au contraire nous échapper dans un coin en croyant que, tout seul ou toute seule, nous serons plus nous-mêmes. A bientôt... pour un prochain article !


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  • Lorsque j’étais enfant puis adolescent, la plupart des pays africains ont acquis leur indépendance. Beaucoup de gens comme mon père, sans doute intellectuel un peu naïf, avaient encore sincèrement la nostalgie de l’époque des colonies, l’époque qui avait permis, pensaient-ils, d’apporter la « civilisation » à tous ces gens...

    Avec le recul de l’histoire, on a pu se rendre compte de toutes les injustices subies par tous ces peuples sous le couvert justement d’une certaine idée de la « civilisation ». Je ne pense pas qu’il soit besoin aujourd’hui de revenir sur ce point. C’est tellement beau lorsqu’une nation peut enfin prendre ses propres responsabilités, décider de son avenir, sans qu’on lui impose de l’extérieur la marche à suivre. La plupart des pays fêtent aujourd’hui leur « fête de l’Indépendance » comme fête nationale, avec tous les fastes qui s’imposent.

    Pour ne pas rester naïfs, on sait très bien, malheureusement, que cette indépendance est souvent bien fragile, que les grandes puissances ou les multinationales économiques ont réussi à trouver de nouvelles manières d’exploiter les nations les plus faibles et de leur dicter dans quelle direction avancer sans qu’elles puissent vraiment protester. Nous en reparlerons plus tard, c’est un sujet tellement important pour l’avenir de l’humanité.

    Mais je voudrais revenir aujourd’hui sur un point de base qui me semble plus important encore et dont on ne parle que si rarement : l’indépendance est une belle et grande chose, un idéal auquel parvenir un jour le plus possible, mais après ? L’indépendance peut-elle être un but en soi, une conquête définitive ?

    Chaque pays est sans doute comme un adolescent qui doit un jour apprendre à se débrouiller dans la vie sans toujours avoir besoin de ses parents. Ce passage de l’adolescence à l’âge adulte est souvent délicat, surtout si les parents le compliquent, mais tôt ou tard advient l’autonomie désirée. Autonomie ne veut pas dire que notre jeune homme ou notre jeune fille se retrouve soudain tout seul, perdu au milieu de la jungle sociale. D’abord notre jeune apprend  à tisser des liens avec ses semblables, il s’éprend d’amitié ou d’amour pour d’autres jeunes comme lui avec lesquels il peut se sentir en confiance et découvrir la vie. Puis, peu à peu, il trouve même un nouveau rapport avec ses parents et les autres générations qu’il côtoie. Si tout s’est bien passé, il se sentira finalement à l’aise avec tout le monde, sans complexe. C’est le jeu de l’humanité, ce jeu de la réciprocité où l’on grandit en accueillant et en donnant à son tour...

    Aucun jeune n’aurait l’idée de fêter le jour de son indépendance, le jour où il aurait quitté par exemple ses parents pour se jeter tout seul dans l’aventure de la vie (ou alors c’est que sa famille était pour lui comme une prison). Ce dont on se souvient plutôt ce sont les dates de nos plus belles rencontres, le jour où j’ai connu tel ou tel ami ou amie, le jour de notre mariage, le jour où j’ai commencé ce travail qui allait remplir toute ma vie, le jour où je suis entré dans cette association qui a donné un sens à tout ce que je cherchais jusque là, le jour où j’ai pu faire un voyage dans un pays de rêve...

    Pourquoi n’en va-t-il pas de même pour une nation, un pays, un peuple ? Pourquoi le jour de l’indépendance serait-il si important ? C’est sans doute justement parce que ce pauvre peuple était auparavant humilié, écrasé, comme dans une véritable prison. On ne va pas lui refuser cette joie de se sentir enfin libre. Mais ce pays sait très bien que sa véritable croissance va se faire par les rencontres et les amitiés avec d’autres peuples. C’était évident autrefois et cela le deviendra toujours plus avec la mondialisation, les relations internationales de plus en plus complexes. L’avenir de l’humanité ne peut pas être dans l’indépendance des peuples, même si c’est là une étape importante et nécessaire. L’avenir de l’humanité ne peut être que dans l’interdépendance, des liens d’amitié réelle, concrète et sincère entre les peuples. L’idéal de l’indépendance continuera à produire des guerres tant qu’un pays ne se sentira pas indépendant.

    L’idéal de l’interdépendance sincère sera le seul moyen d’ôter la peur du cœur des nations, cette peur qui guide encore la plus grande partie de notre politique et qui empêche de faire des calculs constructifs pour l’avenir. L’unité des pays européens est partie d’un sursaut de sagesse au lendemain de la deuxième guerre mondiale, elle a permis de faire bien des pas en avant, mais cette Europe est bien frileuse encore, bien divisée à l’intérieur d’elle-même par tellement de peurs, déclarées ou non. Et surtout notre Europe est encore tellement égoïste : elle laisse au moins les individus ou les associations prendre l’initiative de ces rencontres sincères avec les autres peuples qui sont encore tellement loin de nous, mais combien y a-t-il encore d’hypocrisie dans nos gouvernements qui font semblant d’aider pour pouvoir mieux vendre leurs armes, au lieu de chercher à créer une véritable mentalité de confiance réciproque entre les peuples. Cette rubrique n’en est qu’à ses premiers balbutiements, mais quelle joie ce serait pour nous de rencontrer toujours plus de gens qui croient vraiment que seule l’interdépendance nous sauvera, celle de la réciprocité ou personne n’essaye de dominer l’autre ou de l’exploiter, mais seulement de l’aider de tout son cœur quand il est dans le besoin en sachant bien que l’autre en fera de même le jour où ce sera notre pays qui sera à son tour dans le besoin. Utopie ? Sans doute !  Vous avez une autre solution meilleure ?

     


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