• Depuis toujours, je rêve de parvenir un jour à comprendre vraiment le sens de la vie et j’imagine que cela doit être aussi le rêve de toute personne qui a au moins un peu de temps pour se demander ce qu’elle fait sur cette terre, le pourquoi de notre existence, de nos amours, de nos souffrances.

    Mais il ne suffit pas de découvrir le sens de la vie, il faudrait aussi pouvoir être capable de l’exprimer avec des mots tout simples, de se l’exprimer à soi-même d’abord pour pouvoir ensuite partager cette découverte avec tous nos compagnons de voyage.

    Eh bien, cela fait quelque temps que je pense avoir finalement trouvé ma formule, ces quelques mots magiques qui ont commencé à illuminer ma vie de tous les jours, qui m’aident à comprendre le sens de tout ce que je fais du matin jusqu’au soir et qui m’aident surtout à dire à ceux que j’aime ce qui me tient le plus a cœur, ce qui me pousse à aller de l’avant, ce qui donne la solution à mes problèmes, ce qui m’apporte au fond la joie et la liberté.

    De grands mots tout cela ? Peut-être ! Et je ne voudrais surtout pas paraître maintenant à mon lecteur comme un individu dans les nuages qui prétendrait avoir trouvé tout seul la vérité. Et d’abord je n’ai pas trouvé « la » vérité. J’ai découvert simplement « ma » vérité et j’aimerais partager avec tout le monde cette découverte, en invitant mes amis, mes frères et mes sœurs, à chercher eux aussi « leur » vérité. Chacun doit trouver passionnément la clé de lecture qui peut illuminer sa route et qui sera peut-être parfois bien différente de la mienne ou de celle des autres. Et puis je n’ai pas trouvé tout seul « ma » vérité. Je ne suis que le fruit de tellement de rencontres vécues pendant des années à droite et à gauche, souvent dans l’harmonie, mais parfois aussi dans l’opposition ou le contraste, qui m’ont beaucoup marqué, fait réfléchir, mis en crise à certains moments et finalement conduit à cette évidence que j’ai envie aujourd’hui de vous communiquer.

    Cette clé de lecture qui est devenue la mienne, c’est ce que j’appelle avec un titre apparemment un peu mystérieux: « la vision des quatre verbes ». Etre, accueillir, donner (ou se donner) et refuser. Rien de plus ? Non, rien de plus, pour moi tout est là si simplement.

    Etre, d’abord, c’est la base de tout, le sens originel et ultime. Je suis. J’aurais bien pu ne pas être et pourtant je constate avec joie, reconnaissance, mais aussi parfois avec une certaine angoisse, que je suis et que je suis moi-même et pas un autre et que je suis bien vivant et que je vis et que j’existe dans un lieu et un temps bien précis qui ne peut être confondu avec rien d’autre.

    Accueillir et donner (ou se donner selon le cas), ce sont les deux visages de l’être. Car l’être que j’expérimente en moi depuis toujours est essentiellement dynamique, en perpétuel mouvement, c’est un être en relation, un être avec, un être pour, ce n’est jamais un être figé, théorique ou abstrait. Et lorsque cet être en moi accueille, c’est qu’il a trouvé en face quelqu’un qui donne ou qui se donne. Lorsqu’il se donne à son tour, c’est qu’il se trouve en face quelqu’un pour accueillir ce don. Perpétuelle réciprocité entre deux êtres, trois êtres, mille peut-être, autant que nos limites peuvent le permettre, qui se rencontrent, s’apprivoisent, se connaissent et se reconnaissent. Et voilà que l’être, à chaque nouvelle rencontre, s’enrichit à son tour, comme en une danse sans fin.

    Mais pourquoi refuser, dans tout cela ? C’est vrai, on dirait que quelqu’un vient gâcher la fête tout à coup, arrêter brusquement ce mouvement de rencontres réciproques. C’est simplement le sens de notre liberté. Je ne suis jamais obligé d’être, d’accueillir ou de donner. A tout moment je peux décider librement d’arrêter tout cela. Ce serait vraiment dommage, c’est évident. Mais je peux aussi refuser de refuser et reprendre librement ma route. Toute négation est aussi un refus. Aujourd’hui je n’accueille pas, je n’accueille plus, je ne donne pas, je ne me donne plus, j’ai décidé de ne pas être. J’ai peut-être besoin de me retrouver seul avec moi-même ? J’ai besoin sans doute de m’arrêter parfois pour comprendre mieux pourquoi à chaque instant j’ai envie d’accueillir et de donner. C’est très important surtout pour ne pas juger maintenant ceux qui, autour de moi, semblent refuser cette harmonie de la réciprocité, ceux qui ne veulent pas accueillir et donner. Ce seront mes frères et mes sœurs préférés, car je devine en eux une blessure, une immense blessure qui les paralyse. Il y a tellement à faire encore pour que l’humanité soit vraiment harmonieuse...

    Je m’arrêterai ici pour aujourd’hui, car je ne voudrais pas fatiguer mon lecteur en devenant trop long, mais, si vous entrez de temps en temps dans ce blog, vous entendrez encore souvent parler de la « vision des quatre verbes ». J’espère qu’elle vous plaira. Dites-moi au besoin ce qui peut vous déranger dans ces quelques mots : trop simpliste, utopique, hors du réel, superficiel, partial ? Je serais heureux de recevoir vos remarques et surtout de savoir quel sens vous trouvez vous-mêmes à votre vie, quelle clé de lecture vous anime, quelle vision vous inspire. Ce sera toujours passionnant de partager.

     


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  • Combien de réalités extraordinaires avons-nous déjà découvert en si peu de lignes du premier chapitre de Marc ! Ce deuxième chapitre n’en sera pas moins intense. On continue à y voir Jésus, le personnage central de tout ce qui se passe, à la fois sujet et objet de chacune des actions qui se déroulent devant nous. Mais commençons à nous arrêter un instant simplement pour contempler l’être de Jésus : qui est-il vraiment ? Le nom de Jésus veut déjà dire : « Dieu sauve », ne l’oublions pas, tout un programme de vie mis aussitôt en action.
    Mais voici de nouvelles expressions pour définir Jésus, que lui-même emploie pour se présenter. Par deux fois Jésus utilise ce nom étonnant de « Fils de l’homme ». « Pour que vous sachiez que le Fils de l’homme a le pouvoir de pardonner les péchés sur la terre, je te l’ordonne, dit-il au paralysé : ‘Lève-toi, prends-ton brancard et rentre chez toi.’ » Puis, plus loin : « Voilà pourquoi le Fils de l’homme est maître même du sabbat. » Pourquoi ce titre ? Nous venons à peine de découvrir que Jésus est le Fils de Dieu, nous avons même entendu la voix du Père venu déclarer tout son amour pour son Fils bien-aimé. Il y a donc quelque chose de provocant dans cette nouvelle appellation, même si l’on sait que c’est un titre messianique qui souligne l’origine céleste de celui qui le porte : cela donne un certain aspect mystérieux qui va nous suivre désormais jusqu’à la fin de l’histoire de Jésus sur la terre : Jésus est bien le Fils de Dieu, mais il n’en est pas moins fils d’homme, comme chacun de nous, et en même temps « le » Fils de l’homme, celui qui tout seul résume en lui l’humanité toute entière, celui vers lequel cette humanité est en marche jusqu’à la fin des temps. N’essayons pas de vouloir tout comprendre dès le premier instant. Il faut garder une certaine humilité dans la lecture de l’Evangile, si l’on veut vraiment se laisser porter.
    Jésus, d’ailleurs, ne s’arrête pas là, il utilise un autre nom, au moins aussi surprenant, « l’Epoux » ! « Les invités de la noce pourraient-ils jeûner, pendant que l’Epoux est avec eux ? Tant qu’ils ont l’Epoux avec eux, ils ne peuvent pas jeûner. Mais un temps viendra où il leur sera enlevé : ce jour-là ils jeûneront. » Quel beau nom, particulièrement fascinant que celui de l’Epoux. Jésus est l’Epoux, l’époux de l’humanité, l’époux de l’Eglise, comme la théologie chrétienne le déclarera plus tard, nous savons bien cela, mais essayons de nous mettre à la place des disciples ou des scribes qui ne savent rien encore et à qui Jésus parle d’époux, de noces et d’invités : laissons-nous imaginer quelle impression cela devait-il faire sur tous les présents, ceux qui expérimentaient déjà avec Jésus une atmosphère de fête et ceux qui ne comprenaient rien...
    Ce qui est particulièrement frappant dans ce deuxième chapitre c’est le drame qui s’y joue déjà sans attendre. La vie publique de Jésus finira très vite par le drame que l’on sait, mais dès les premières pages de notre Evangile on peut être saisi par la différence entre l’attitude de Jésus, celle des disciples et de la foule, d’un côté, et celle des scribes et des pharisiens de l’autre. Dans notre aventure des « quatre verbes », nous voyons clairement Jésus, les disciples et la foule, continuellement en mouvement pour s’accueillir et se donner tour à tour dans une ronde de réciprocité  qui nous entraîne et les scribes et les pharisiens, complètement bloqués et paralysés, extérieurement et dans leurs esprits, qui refusent en bloc toute cette nouveauté : c’est le drame du vin nouveau et des vieilles outres absolument incompatibles.
    Jésus est bien sûr le moteur de tout ce mouvement qui se dégage. Il va et vient : « Je suis venu appeler...les pécheurs. » Jésus est « de retour à Capharnaüm ». Il « sortit de nouveau sur le rivage du lac. » « En passant » il aperçoit Lévi. Il marche avec ses disciples « à travers les champs de blé. » Il est donc constamment à la recherche de ces hommes et femmes à aider et sauver. Quand il les a trouvés, il les instruit, il leur « annonce la Parole », il les « appelle », il leur dit quoi faire, il leur donne des ordres : «Lève-toi, prends ton brancard et marche. » Mais ce sont les ordres d’un père plein d’amour qui sait où est le bien de ses enfants: « Mon fils, tes péchés sont pardonnés ». Car tout cela c’est pour guérir et redonner la vie, pardonner justement, c’est à dire libérer définitivement d’un passé lourd et douloureux.
    Mais, encore une fois, ce mouvement n’est absolument pas à sens unique. Jésus se donne, mais il sait aussi s’arrêter pour accueillir l’autre, pour lui donner le temps de faire lui aussi sa part, toujours dans la réciprocité. C’est comme une immense chorégraphie de l’amour. A certains moments, Jésus « est à la maison » et c’est lui qui reçoit. Il prend son temps pour voir et entendre, pour comprendre ce qui se passe autour de lui : « Voyant leur foi... », «...il aperçut Lévi », « Jésus, qui avait entendu, leur déclara... » Et puis à la maison, il prend le temps d’inviter à sa table tous ces gens qui en ont besoin et qui deviennent ses « invités », les « invités de l’Epoux. » Et là il bouscule sans doute tous les concepts de l’époque. Lui, le maître, le « rabbi » « mangeait avec les pécheurs et les publicains. » Il a même appelé à le suivre Lévi, un de ces publicains, normalement corrompus et bien loin de répondre aux critères de la loi qui devait tout régir.
    La réponse de la foule est extraordinaire. Ils sont tous à l’affut des dernières nouvelles sur Jésus : « La nouvelle se répandit qu’il était à la maison. Tant de monde se rassembla qu’il n’y avait plus de place même devant la porte...Arrivent des gens qui lui amènent un paralysé, porté par quatre hommes. Comme ils ne peuvent l’approcher à cause de la foule, ils découvrent le toit au-dessus de lui, font une ouverture et descendent le brancard sur lequel était couché le paralysé. » « Toute la foule venait à lui et il les instruisait. » « Beaucoup de publicains et de pécheurs vinrent prendre place avec Jésus et ses disciples car il y avait beaucoup de monde. » Quelle entraide, quelle solidarité, quelle foi dans tout cela ! « Voyant leur foi, Jésus dit... » On dirait que tout se passe comme par enchantement, aucun obstacle ne les arrête. Lévi « se leva et le suivit. » L’appel est trop fort. Et cette invitation est si belle, cela devait être bien spécial de manger à la table de Jésus : climat de communion où Jésus inaugure déjà la communauté de l’Eglise qui deviendra sa famille et même son corps. La Trinité est déjà en train de faire pénétrer sa dynamique au cœur de l’humanité.
    A côté de cela voici les scribes et les pharisiens qui refusent de se laisser entraîner dans cette fête qui vient de commencer. C’est vrai qu’ils se sont déplacés eux aussi, mais on dirait que c’est seulement pour observer, juger et finalement condamner sans appel. Et cela dès les premiers actes de Jésus : comment cela finira-t-il ? Nous le savons bien. Mais c’est dès le début que pour ces hommes de la loi tout est fini. Au départ ils ne s’adressent même pas à Jésus directement. Ils ne parlent même à personne, il n’y a aucune communication. « Il y avait dans l’assistance quelques scribes qui raisonnaient en eux-mêmes : « Pourquoi cet homme parle-t-il ainsi ? Il blasphème. Qui donc peut pardonner les péchés sinon Dieu seul ? » Puis ils vont se plaindre tout de même aux disciples : « Même les scribes du parti des pharisiens le suivaient aussi, et voyant qu’il mangeait avec les pécheurs et les publicains, ils disaient à ses disciples : ‘Il mange avec les publicains et les pécheurs !’ » Et finalement ils vont tout de même s’adresser directement à Jésus, ils ne peuvent pas faire autrement : « Les pharisiens lui disaient : ‘Regarde ce qu’ils font le sabbat ! Cela n’est pas permis. » L’affrontement vient de commencer, il durera jusqu’au calvaire, mais il dure au fond jusqu’à nos jours et ne s’arrêtera qu’à la fin des temps. Dieu a pensé que c’était le bon moment de se révéler définitivement à l’humanité, mais il savait bien le prix à payer et la bataille qui allait se dérouler.
    Etre, accueillir et se donner ou bien refuser, disions-nous. Jésus est là bien sûr pour accueillir et se donner, autres mots qui signifient simplement les différents visages de l’amour. Mais l’amour sait aussi dire non et refuser, refuser aux moins ceux qui refusent. « Préparez le chemin du Seigneur, aplanissez sa route. », lisions-nous dès les premières lignes de Marc. Jésus lui-même aura beaucoup de travail pour aplanir la route devant lui et devant l’action de toute la Trinité. Il ne peut en effet permettre que des obstacles empêchent sa mission. Il a trop à cœur tous ces malades et ces pécheurs à sauver, auxquels redonner l’espérance, pour ne pas maintenant s’opposer de toutes ses forces à ces adversaires qui, en plus, prétendent parler au nom de Dieu.
    Jésus va donc se servir ici de toute son intelligence et de tout son pouvoir divin. Outre le don de guérir, il sait aussi lire dans les pensées secrètes de chacun : « Saisissant aussitôt dans son esprit les raisonnements qu’ils faisaient, Jésus leur dit : ‘Pourquoi tenir de tels raisonnements ?’» Jésus ne peut rien laisser passer, il ne peut pas permettre que les pharisiens mettent la confusion dans l’esprit de la foule qui doit déjà avoir beaucoup de mal à comprendre ce qui se passe, même si, pour l’instant cette foule est encore dans une dynamique complètement positive : « Tous étaient stupéfaits et rendaient gloire à Dieu, en disant : ‘Nous n’avons jamais rien vu de pareil.’ »
    Jésus « répond » donc directement aux mauvaises allégations des scribes et des pharisiens. Il utilise déjà ici les comparaisons imagées qui vont composer une grande partie de sa prédication : « Personne ne raccommode un vieux vêtement avec une pièce d’étoffe neuve ; autrement la pièce neuve tire sur le vieux tissu et le déchire davantage. Ou encore personne ne met du vin nouveau dans de vieilles outres ; autrement la fermentation fait éclater les outres et l’on perd à la fois le vin et les outres. A vin nouveau, outres neuves. » Qui a des oreilles pour entendre et pour comprendre, comprendra ce qu’il peut. On pourrait penser que Jésus est même un peu brutal si les pharisiens sont vraiment comparés à ces vieilles outres qui ne sont plus bonnes à rien. Mais le but de Jésus reste toujours avant tout d’éclairer l’esprit de ceux qui ont décidé de le suivre. « Pour que vous sachiez que le Fils de l’homme a le pouvoir de pardonner les péchés sur terre, je te l’ordonne...Lève-toi, prends ton brancard et rentre chez toi. » Ce sont des paroles adressées aux scribes, bien sûr, mais à haute voix devant la foule, car c’est la foule qui doit savoir ce qui se passe réellement devant ses yeux.
    Et dans tout cela où va se situer maintenant le lecteur, chacun de nous ? Nous sommes certainement, nous aussi, invités à suivre Jésus, à manger à sa table, à écouter ses enseignements. Nous pouvons apprendre un peu plus à chaque phrase qui sort de sa bouche ce que signifie vraiment la « Bonne Nouvelle ». Nous pouvons certainement nous aussi commencer à l’imiter, partir à notre tour sans relâche à la recherche de ces gens qui ont besoin d’être guéris par Jésus. En même temps nous pouvons imiter les premiers disciples et cette foule enthousiaste et courir à la recherche de Jésus, nous entraider pour le trouver, briser ensemble tous les obstacles qui nous empêcheraient d’arriver jusqu’à lui. Mais surtout nous ferions bien ne nous sentir pécheurs et malades à notre tour, si nous désirons que Dieu intervienne dans notre vie. Enfin nous ferions bien de nous demander si nous ne tombons pas trop souvent dans les défauts des pharisiens qui sont aveuglés par leur suffisance et qui sont incapables de saisir le sens de l’action divine qui se déroule devant eux. « On vient demander à Jésus : ‘Pourquoi tes disciples ne jeûnent-ils pas comme les disciples de Jean et ceux des pharisiens ?’ » Marc ne nous dit pas, cette fois-ci, qui a posé la question à Jésus. C’est vrai qu’il y a bien d’un côté la foule éprise de Jésus et de l’autre les pharisiens qui s’opposent à lui, mais la limite, si l’on peut dire, entre les deux n’est peut-être pas toujours très nette. En chacun de nous il est sans doute facile de trouver un peu de la foule et un peu des pharisiens : nous aurons toujours beaucoup à faire pour filtrer tout cela.

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    PERLES DE LA PAROLE

     

              « Pourquoi tenir de tels raisonnements ? » (2, 8)


    (Les scribes « raisonnaient en eux-mêmes : ‘Pourquoi cet homme parle-t-il ainsi ? Il blasphème. Qui donc peut pardonner les péchés, sinon Dieu seul ?’ »)
    Ici, je crois qu’il faut tout de suite bien clarifier les choses. En soi, il n’y a rien de plus beau que de « raisonner », réfléchir, utiliser la « raison » que Dieu nous a donnée, ou chercher les « raisons » qui peuvent éclairer notre vie, la vérité cachée dans les évènements et les réalités de chaque jour.
    Mais c’est comme pour tout ce qui fait la grandeur de l’homme. L’homme a des mains pour accueillir et donner et voilà qu’il s’en sert pour frapper et faire du mal. Il a une langue pour consoler, conseiller ou répandre la paix et voilà qu’il l’utilise pour blesser et semer la zizanie.
    C’est cela que l’Evangile veut nous dire ici. Les mots « raisonnement » et « raisonner » ont d’ailleurs souvent une connotation négative dans l’esprit populaire. On parle facilement d’une personne qui raisonne trop, qui se complique la vie et devient désagréable pour tout le monde. Ou bien telle autre personne veut toujours avoir raison. Ce qui est mauvais ici, c’est cette idée de dualité et d’opposition qui se dégage. Ce sera toujours la même histoire tout au long de notre lecture et c’est sans doute bien de le dire tout de suite avec force, quitte à se répéter encore et toujours par la suite.
    Dans notre aventure de l’être qui sait seulement accueillir et donner pour aimer, à l’image de la Trinité, tout ce qui nous entraîne dans une dualité, synonyme d’opposition, est voué à l’échec. Cela divise au lieu d’unir, cela détruit au lieu de construire. A quoi cela sert-il en effet d’avoir raison contre un autre ? Qu’est-ce que je gagne à prouver devant tout le monde que j’avais raison ? Je gagne mon procès peut-être, mais je perds sans doute aussi, un ami, un frère, une relation. Et surtout je reste tel que j’étais avant mon « procès » et l’autre va continuer également à s’enfermer en lui-même et ne changera pas d’un pouce. Tandis que si je cesse un instant de raisonner pour essayer de comprendre ce que l’autre veut me dire, dans ses « raisons » apparemment tellement différentes, je vais peut-être entrer dans son cœur et lui dans le mien. Je vais me laisser transformer par cette relation et ensemble nous aurons créé une nouvelle unité : nous ne serons plus seulement nous deux, mais trois en réciprocité, dans un mouvement dynamique qui rayonnera autour de nous.

     

              « Pour que vous sachiez que le Fils de l’homme a le pouvoir de pardonner les péchés sur la terre, je te l’ordonne...Lève-toi, prends ton brancard et rentre chez toi. » (2, 10-11)


    Ici, j’aimerais m’arrêter un instant sur le mot pouvoir. Le « Fils de l’homme a le pouvoir de pardonner les péchés sur la terre. » Le pouvoir est un des attributs de cet Etre qui nous attire. Dieu a en Lui le pouvoir, il est pouvoir, il peut par essence. « Si tu le veux, tu peux me purifier », avait dit le lépreux à Jésus, en comprenant parfaitement la situation.
    Comme c’est beau d’être et de pouvoir ! Chacun d’entre nous aspire à pouvoir, pouvoir être, pouvoir aimer, pouvoir comprendre, pouvoir découvrir, réussir, trouver... Et lorsqu’on ne peut pas réaliser ce qu’on aurait voulu, on est terriblement déçu, avili, découragé.
    Dieu qui nous aime tellement voudrait de tout son cœur que nous partagions avec Lui ce pouvoir. Mais ici aussi il s’agit que ce pouvoir construise l’unité et la relation. Une petite préposition apparemment minuscule va nous donner la clé : il s’agit du pouvoir de... Jésus a le pouvoir de guérir, pardonner, purifier, faire des miracles, entraîner les foules. C’est un pouvoir de service, un pouvoir qui se donne, se transmet, se communique. Un pouvoir qui s’offre sans s’imposer, car l’autre est libre de le refuser.
    C’est là le miracle et la délicatesse de l’amour divin. Alors qu’il pourrait nous écraser, il nous présente seulement cette possibilité qu’il nous propose de faire quelques pas de plus avec Lui et avec ses amis. Alors ce pouvoir unit, libère, construit.
    Le problème de l’homme, c’est qu’à chaque instant il est assailli par la tentation de passer du pouvoir de au pouvoir sur. Au lieu de servir son frère ou sa sœur de tout son cœur, voilà qu’il est tenté d’utiliser son pouvoir pour les dominer, pour leur montrer qu’il a plus de pouvoir qu’eux, qu’il est plus fort, et pour les obliger à faire comme lui le veut, pour assouvir ses intérêts. C’est toujours le même mot qui produit un résultat complètement opposé. L’Evangile n’est autre que cette dynamique que nous pouvons à chaque instant renouveler en nous et autour de nous ou refuser pour je ne sais quel rêve insensé de grandeur solitaire et malfaisante.

     

             « Tous étaient stupéfaits et rendaient gloire à Dieu, en disant : ‘ Nous n’avons jamais rien vu de pareil’. » (2, 12)


    Ici, c’est l’émerveillement de la foule qui va nous éclairer. Pour suivre Jésus, il faut se laisser émerveiller, surprendre. Cela devait être particulièrement fascinant de rencontrer tout à coup Jésus sur sa route et de voir tous les miracles qu’il faisait, les problèmes les plus tragiques qu’il résolvait en un clin d’œil. Cela ne devait sans doute pas être très difficile de se laisser convaincre par une telle force d’attraction, ce charme irrésistible. Et pourtant on voit bien que les scribes et les pharisiens refusaient de se laisser prendre. Ils restaient aveugles devant l’évidence.
    Il serait facile de juger maintenant les pharisiens. Est-ce que nous aurions fait beaucoup mieux à leur place ? La question est un peu artificielle. Contentons-nous de voir où nous en sommes aujourd’hui, à l’âge que nous avons, en ce siècle du troisième millénaire, au milieu des crises terribles que traverse l’humanité. Est-ce qu’il nous arrive souvent d’être émerveillés, de nous laisser surprendre par l’amour de Dieu au cœur de notre vie ?
    Si la réponse est oui, c’est sans doute un bon signe. N’oublions pas que Dieu nous donne aussi la responsabilité de transmettre cet émerveillement à nos sœurs et à nos frères. Car l’émerveillement n’est pas une fin en soi, même si, au paradis, nous passerons certainement de surprise en surprise pour l’éternité. En tous cas ce ne peut pas être une fin égoïste pour nous. Tout ce que Dieu nous donne est fait pour être partagé sans attendre.
    Mais si nous ne nous sentons pas émerveillés, si cela fait bien longtemps que nous n’avons pas ressenti un tel sentiment, c’est qu’il doit y avoir un problème. Ne nous affolons pas, il suffit d’en prendre conscience, de tout mettre aussitôt dans la miséricorde de Dieu, mais surtout d’ouvrir bien grand notre regard et notre cœur, en demandant à Dieu de nous aider à être plus attentifs, la prochaine fois qu’il va croiser notre chemin.

     

              « Il lui dit : ‘Suis-moi.’ L’homme se leva et le suivit. » (2, 14)


    C’est toujours la même dynamique. Lévi a été capable de s’émerveiller justement et de répondre à l’appel. Ce n’était peut-être pas si difficile que cela au départ. Jésus devait être tellement convaincant. Et puis il ne demandait pas l’impossible. Jésus ne demande jamais l’impossible. Il demande seulement de le suivre. Mais voilà, il s’agit tout de même de se lever. On ne peut pas se contenter de suivre Jésus par la pensée ou par le regard. On doit poser tout de suite un acte bien concret, se lever si on est assis, sortir dehors si on est à la maison, laisser un tas de choses qui nous pèseraient trop sur la route. Pour suivre Jésus, il faut tout de même être pleinement libre et disponible.
    Mais alors ce ne sera pas aussi difficile qu’il pourrait sembler au premier abord. Jésus ne demande au fond qu’à être suivi. C’est Lui qui trace la route, qui ouvre le chemin, qui aplanit les obstacles. Nous devons bien faire notre part en cours de route, mais une étape à la fois, Jésus est rempli de patience, il ne nous demande jamais de brûler les étapes. Et si on a osé répondre à son appel, on s’aperçoit, des années plus tard, que tous les obstacles ont disparu comme par enchantement. Il y a bien eu beaucoup d’épreuves en cours de route, qui nous auraient paralysés à l’avance si nous avions pu les prévoir, mais il y a toujours la grâce réelle de l’instant présent, et nous devons dire qu’aujourd’hui nous sommes toujours debout, toujours vivants, aucun monstre ne nous a mangés en chemin. Pourquoi avoir peur ? C’est tellement beau de suivre Jésus. En sachant tout de même que Lui ne s’arrête pas en route. Mais, si jamais nous nous sommes nous-mêmes arrêtés, il y a toujours un raccourci pour le rejoindre. Il est toujours possible de suivre Jésus. Il n’y a pas d’excuse valable pour refuser l’appel plein d’amour qu’il continue chaque jour à nous adresser.
    Et puisqu’on parle d’excuse, la plus grande excuse et en même temps la plus bête qui pourrait nous passer par l’esprit, c’est que jamais nous ne serions capables de suivre Jésus comme nous voyons que tel ou tel autour de nous a réussi à le faire. Quel prétexte de mauvaise foi ! Car Jésus ne demande jamais la même chose à deux personnes différentes. Chacun a sa route et son appel. Certains devront concrètement tout quitter pour le suivre, d’autres resteront peut-être toute leur vie dans la même maison. Jésus sait s’adapter à chacun : mais il faut Lui demander tout de même la grâce d’entendre sa voix et de comprendre le sens de son appel. Si ce n’est pas clair tout de suite, il faut y mettre un peu de bonne volonté, car Dieu n’a aucune envie de nous faire souffrir pour le plaisir, il faut en être vraiment convaincu !

     

              "Ce ne sont pas les gens bien portants qui ont besoin du médecin, mais les malades. Je suis venu appeler non pas les justes mais les pécheurs. " (2, 17)


    Je ne sais pas comment vous lisez cette phrase, mais je dois avouer qu’elle m’amuse. Je la tourne et la retourne dans tous les sens et je sens que Jésus est en train de se moquer de nous, avec un regard malicieux, et de nous provoquer. Au Moyen Orient où je vis depuis plus de quarante ans, c’est comme cela que les gens se parlent, il y a beaucoup de théâtre, si l’on peut dire, dans les relations, beaucoup de comédie, on se taquine, on se provoque et c’est ainsi qu’on montre à l’autre qu’il nous intéresse et qu’il est important pour nous.
    Cette phrase de Jésus, prise à la lettre, n’aurait pas de sens. Comment ce Dieu qui fait pleuvoir sur les bons et les méchants, qui aime tout homme sans distinction de personne, refuserait maintenant d’accueillir une catégorie de gens, et en plus ceux qui se seraient comportés comme Lui le désire ? Mais non ! Jésus est en train de se moquer de nous et des pharisiens en même temps. Il se moque de nous parce que trop facilement nous pensons ne plus avoir besoin de Lui et il se moque surtout de tous ceux qui se croient déjà justes, qui ont toujours bonne conscience et qui s’arrêtent en chemin sans chercher plus loin.
    Jésus nous dit en quelque sorte : j’ai le remède qui peut vous guérir, mais si vous pensez être déjà guéris, je ne vais pas vous obliger à le prendre, débrouillez-vous. Il veut surtout nous dire que personne ne peut se considérer juste tout seul. Dieu Lui-même, dans son Etre trinitaire, n’est jamais juste pour lui tout seul. Le Père est juste pour le Fils et le Fils est juste pour le Père dans l’Esprit Saint. Le Père « a besoin », s’il on peut dire, du Fils et de l’Esprit Saint, le Fils a besoin du Père et de l’Esprit et l’Esprit Saint a besoin du Père et du Fils : ce sont des mots qui ne sont pas adaptés à Dieu, mais c’est le message que Dieu veut faire parvenir a notre pauvre compréhension. Et d’ailleurs Dieu a même « besoin de nous », il a eu besoin de nous, il a eu besoin de Marie pour s’incarner, des disciples pour bâtir son Eglise...
    Le jour où nous n’avons plus besoin les uns des autres, où nous ne nous sentons plus malades, assoiffés, affamés, où nous croyons être devenus autosuffisants, c’est le début de la catastrophe. Jésus veut seulement que nous sentions pour toujours et à chaque instant ce besoin urgent de Lui, mais aussi de nos frères et de nos sœurs, en lesquels Il se cache, et de tout ce qui reste à construire sur terre du Royaume de Dieu qui ne peut se développer sans nous.

     


              « Le sabbat a été fait pour l’homme et non pas l’homme pour le sabbat. Voilà pourquoi le fils de l’homme est maître même du sabbat. » (2, 27-28)


    Encore une provocation de Jésus. Il savait bien combien la loi ou le sabbat sont importants : Dieu Lui-même les avait confiés à son peuple comme le plus précieux des trésors. Jésus ne dit d’ailleurs pas qu’ils ont tout à coup perdu leur importance. Il remet seulement les choses à leur place. La loi, le sabbat, ne sont que des moyens, des aides, des garde-fous, peut-être, qui sont mis sur notre chemin pour nous empêcher de tomber, mais ils ne sont jamais un but en soi. Le but c’est de rencontrer Dieu et de commencer à l’aider à construire son Royaume sur terre, avant de se retrouver avec Lui à la fin au paradis, où il n’y aura plus ni loi, ni sabbat, ni garde-fou.
    Mais où était le problème ? Où est le problème aujourd’hui encore où chacun de nous a souvent la tentation de faire comme les pharisiens d’alors ? C’est que chacun d’entre nous se sert de la loi pour juger les autres, pour les dominer, pour les prendre dans une sorte de chantage insupportable qui divise à nouveau au lieu d’unir.
    Imaginons qu’on ait mis une corde pour s’accrocher en traversant un pont fragile au dessus d’un torrent de montagne. Quelqu’un d’un peu sportif traverse le pont sans se servir de la corde et tout le monde crie au scandale, mais l’important n’est-il pas qu’il soit arrivé sain et sauf ? Ou bien quelqu’un d’autre oublie de s’accrocher à la corde et tombe dans le ravin. Tout le monde crie à nouveau au scandale ; c’est bien sa faute ce qui lui arrive, il n’avait qu’à saisir la corde comme tout le monde ! Et on ne pense peut-être même pas à organiser les secours pour repêcher le malheureux ! Combien nous sommes parfois ridicules et inhumains en voulant mettre la loi au centre de tout.
    L’attitude que Dieu condamne ici, c’est ce désir en chacun de nous de nous servir de la loi pour nous sentir supérieurs à notre prochain. Jésus n’est pas venu pour nous juger, mais pour nous sauver. Qui sommes-nous alors pour nous arrêter à chaque instant et donner notre avis sur le comportement des gens, immobiles dans notre fauteuil de badauds, sans même penser que l’autre a peut-être besoin de nous en ce moment ? Combien la vie devient plus simple lorsqu’on remet tout et chacun à sa place comme Jésus, et la place de tout et de chacun c’est d’entrer dans ce grand jeu de mosaïque qui construit la famille humaine, sans se demander continuellement si l’autre a tort ou a raison : l’important, encore une fois, c’est que l’autre est mis par Dieu sur mon chemin parce qu’il a besoin de moi et moi j’ai besoin de lui. Tout le reste est du temps perdu et gâché.

     


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  • On nous parle d’une véritable guerre prête à éclater en France entre les partisans de la laïcité et les partisans de la religion. Je sais qu’on ne va pas résoudre toute cette problématique sensible en quelques lignes un peu superficielles, mais je voudrais tout de même rappeler une ou deux vérités.
    La première c’est que nous, chrétiens, avons commis beaucoup d’abus au cours des siècles, abus de pouvoir, de jugement ou autres et nous devons comprendre qu’il était temps sans doute que s’élèvent des voix pour une convivialité réelle dans la tolérance et la liberté que notre société «chrétienne » n’avait pas réussi à construire. Alors que le message chrétien devrait inspirer la confiance, nous devons reconnaître que nous avons inspiré beaucoup de méfiance à un tas de gens et nous devons bien réfléchir aux conséquences méritées de certaines de nos actions ou attitudes malheureuses. Nous devons admettre que nous avons besoin de la laïcité comme base de relation sociale capable d’éviter certains conflits, abus de pouvoir ou confusion entre le politique et le religieux, etc.
    Mais si la laïcité s’est imposée au cours des derniers siècles comme une valeur capable d’empêcher certains abus, il ne s’agit pas qu’elle tombe elle-même dans les mêmes abus. C’est la laïcité qui veut maintenant dominer le monde et imposer sa dictature ? Elle voudrait réduire, disent certains, la religion au cercle de la vie privée ? On sombre là aussi dans un ridicule sans fin. On va bientôt reléguer le sport ou la vie artistique au domaine privé parce qu’ils gênent parfois la vie publique ? On aurait dû reléguer sans doute Mère Térésa dans les murs de son couvent où elle aurait pu prier toute la journée pour les pauvres en train de mourir sur les trottoirs de Calcutta, au lieu de déranger l’ordre public en empêchant ces pauvres de mourir tout seuls comme des bêtes au milieu de la rue ? Mais est-ce que ces gens qui parlent de confiner les « religions » à la maison savent ce qu’ils disent ? Ils veulent que les chrétiens ou les musulmans deviennent tous schizophrènes, avec une vie de belles relations d’amour évangélique, par exemple, à la maison et puis une double vie dans la rue et au travail où ils se mettraient tout à coup à voler, à tricher puisque leurs principes religieux ne peuvent plus s’appliquer en public ? On est en plein délire !
    Pour ne pas être trop long aujourd’hui, je voudrais simplement dire quel est mon rêve. C’est sans doute une utopie, mais si vous trouvez mieux vous me le direz. Je continue à croire que notre monde guérira lorsque toutes les valeurs quelles qu’elles soient, sociales, politiques, spirituelles, humaines tout simplement, sauront s’harmoniser ensemble. La laïcité est une valeur et la religion est une valeur, indépendamment de tous les détournements que chacun de nous en fait peut-être chaque jour lorsqu’on commence à se servir de ces valeurs pour ses propres intérêts, lorsqu’on se sert de la laïcité ou de la religion pour asservir l’autre au lieu de le servir.
    La société n’a d’avenir que si tous les citoyens d’un pays, tous les citoyens du monde prennent conscience qu’ils sont là pour se servir et s’entraider mutuellement : si telle n’est pas la base de notre vie sur terre, au delà de nos convictions philosophiques, idéologiques ou religieuses, notre monde va tout simplement vers un suicide collectif. Alors, pour résumer par une sorte de caricature provocatrice, je pense que la solution de notre problème est que la « religion » comprenne qu’elle doit se mettre sincèrement au service de la « laïcité » et que la « laïcité » comprenne qu’elle est là pour aider la « religion » à s’harmoniser avec la société ! Vous pensez que c’est moi maintenant qui délire ?
    Chacun a sa conscience, je pense que c’est là aussi une valeur incontournable. Mon ami, mon frère, ma sœur se sentent avant tout laïques, je dois non seulement les respecter (ce qui est un minimum, pour personnes qui veulent peut-être rester seules enfermées tranquilles chez elles), mais les accepter tels qu’ils sont et tels qu’ils veulent être pour m’harmoniser avec eux. Ces amis, frères ou sœurs se sentent plutôt « religieux » (même si moi, qui suis chrétien je n’aime pas beaucoup ce mot, mais gardons-le pour l’instant pour finir notre raisonnement), alors, si je veux sincèrement vivre avec eux et construire ensemble une société plus harmonieuse, je dois les aider à vivre leur esprit de « religieux » en harmonie avec tous les autres. La laïcité n’a pas d’avenir sans la religion ou, pire encore contre la religion. La religion n’a pas d’avenir contre la laïcité. Encore une fois, comme le dit le titre de notre rubrique, les grandes valeurs de l’humanité n’ont de sens que dans l’harmonie et l’interdépendance. La laïcité et la religion ont besoin l’une de l’autre. La laïcité et la religion doivent découvrir qu’elles sont interdépendantes ou bien nous avons devant nous des jours bien sombres qui nous attendent.
    En fin de compte nous avons tous besoin les uns des autres, nous ne pouvons vivre sans les autres, nous ne pouvons pas construire une société harmonieuse sans les autres, tous les autres. Il ne s’agit pas ici d’être d’accord avec l’autre, ni d’avoir les mêmes passions, idées ou croyances. Je n’aime peut-être pas le sport ni certains types de musique, mais je dois bien m’entendre avec ceux qui en sont passionnés. L’interdépendance est une question de vie ou de mort du tissu social. Mais cela va nous conduire à une dernière conclusion peut-être choquante pour certains : la définition de la laïcité comme séparation de l’Eglise et de l’Etat ou même de la religion et de l’Etat, avec les principes d’impartialité et de neutralité qui y sont liés, doit être revue si on ne veut pas s’enterrer dans un dialogue de sourds. Je crois qu’il faudrait remplacer « séparation » par « distinction », distinction des rôles selon le temps et l’espace. J’ouvre là un nouveau chapitre qui demandera certainement beaucoup d’autres articles et commentaires : qu’en pensez-vous ?


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  • Batailles : c’est bien le titre de notre rubrique. Et tout le monde annonce une grande bataille en France pour le mois de mai à propos de la laïcité. Et je me demande vraiment si nous ne sommes pas tous devenus fous.
    Je suis peut-être fou, moi-même, de tomber dans ce piège et de vouloir me mêler de cette polémique apparemment bien stérile ? Mais puisque mes compatriotes semblent voir dans ces débats une telle importance pour le futur, alors je me sens évidemment concerné.
    Je dois tout de même dire qu’on peut trouver cette bataille un luxe un peu déplacé quand on vit comme moi au Moyen Orient au milieu de gens qui se demandent si le mois prochain ils seront encore vivants, s’ils pourront encore vivre longtemps sur la terre de leurs ancêtres, si demain ils trouveront enfin du travail, s’ils auront assez d’argent pour soigner leurs enfants malades. Questions parfois de vie ou de mort...alors qu’en Europe on s’entredéchire à propos de la laïcité !
    Mais venons-en à notre sujet. Se lancer dans la bataille ? Il faut le faire honnêtement en étant capable d’abord d’écouter le point de vue de l’autre, sans vouloir surtout l’écraser, ce qui servirait seulement à creuser des fossés encore plus grands entre tous.
    Commençons par comprendre les mots. Laïcité : ce serait, d’après le dictionnaire, le principe de la séparation de l’Eglise et de l’Etat, au moins dans certains domaines comme la politique, l’administration, la justice et l’enseignement. Si l’on approfondit la question, on voit que ce principe est compris et vécu de manières bien différentes selon les pays et les cultures. Aux Etats-Unis on prône la séparation entre l’Eglise et l’Etat, mais pas entre la religion et l’Etat, mais allez voir ce qui se passe en Inde, en Turquie, au Japon, aux Philippines ou au Brésil et vous verrez que ce n’est pas si facile que cela de comprendre vraiment comment appliquer la laïcité.
    Et pour continuer à être honnêtes dans notre bataille, nous devons reconnaître qu’historiquement la laïcité est née pour répondre à un abus, à l’exercice injuste du pouvoir par des hommes de religion ou d’Eglise qui voulaient dominer leurs compatriotes au lieu de les servir. Nous, chrétiens, devons bien être conscients de tout cela avant de nous en prendre à la laïcité ou à ses prétentions exagérées. Ces hommes et ces femmes que je vais rencontrer dans nos débats se sentent-ils encore blessés par les bêtises de nos comportements de chrétiens mal placés ? Si je ne tiens pas compte de cela, si je n’apprivoise pas ces « adversaires » en leur donnant la preuve que je les comprends d’abord et que je n’ai aucun autre souci que leur plus grand bien ensuite, la bataille ne servira à rien sinon à nous blesser réciproquement davantage.
    J’ai bien le droit de voir que certains fanatiques laïques ont des prétentions complètement aberrantes : supprimer la religion, l’empêcher de s’exprimer, etc. C’est d’accord, mais tous les partisans de la laïcité ne sont pas des fanatiques. Pourquoi commencer toujours nos batailles en nous en prenant aux extrémistes qui ne seront jamais qu’une petite minorité ? Et reconnaissons d’abord qu’il y a beaucoup de positif dans la laïcité. Mais surtout je crois qu’il y a dans toute l’affaire beaucoup de malentendus qu’il faudrait d’abord éclaircir avant d’aller plus loin. Si nos lecteurs veulent bien intervenir dans cette bataille ce sera une occasion de lancer un débat réellement positif et constructif qui demandera sans doute une longue suite d’articles sur le même sujet, pour ne pas en rester à des considérations superficielles.
    Et pour rendre la lecture de notre blog plus intéressante encore, je vous invite à entrer dans les prochaines semaines dans d’autres rubriques comme « Provocations » ou « Interdépendance » et notre débat devrait s’animer : préparez-vous !


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  • S’il est sûr qu’aller au bout de soi-même et plus encore sortir de soi-même, est un exercice toujours bénéfique (voir l’article « au bout de moi-même? »), cela ne veut pas dire que ce soit toujours simple ou facile.
    Rester enfermé en soi, dans sa propre médiocrité ou routine, ne va jamais nous porter bien loin. Mais sortir de soi, aller au bout de soi comporte des risques énormes. Le risque d’abord de voir s’évanouir le peu de certitudes que nous avions jusque là. En sortant de soi pour aller vers la lumière (si l’on suppose évidemment que notre recherche n’est pas de sortir pour aller dans je ne sais quelles ténèbres, au moins au départ), nous sommes d’abord émerveillés de cette nouvelle lumière surprenante qui nous envahit. Nous regrettons tout ce temps passé, repliés sur nous-mêmes à l’ombre de notre étroite demeure.
    Une nouvelle vie s’ouvre devant nous, avec des horizons que nous n’aurions jamais imaginés, de nouvelles formes, de nouvelles couleurs. On se sent respirer tout à coup, le sang circule un peu mieux dans nos veines. Nous voudrions partager cette découverte avec nos parents et nos amis.
    Mais voilà que commencent les difficultés. C’est qu’à la lumière apparaît tout à coup tout ce qui ne va pas chez nous, dans notre vie, dans notre personnalité. Nous n’aurions jamais pensé avoir tellement de défauts, d’aspects de notre caractère qui dérangent les autres. Nous voulions sans doute améliorer la situation, mais la vérité, que la lumière nous montre si clairement, n’est pas facile à accepter.
    Alors la tentation est énorme de retourner dans l’ombre de notre vie précédente, ou l’on a apparemment moins de soucis, moins de problèmes avec les autres, où personne ne fait attention à ce qui ne va pas chez nous. Dans l’ombre, il n’y a plus la peur d’être jugés, d’être regardés de travers. Nous sommes tous gris, perdus dans une masse anonyme, un peu lourde parfois, mais à laquelle on finit par s’habituer.
    On en arrive à avoir peur de cette lumière que les autres utilisent malheureusement contre nous pour nous faire du mal, alors qu’auparavant ils ne s’apercevaient même pas de notre existence.
    C’est là qu’en toute liberté nous pouvons choisir, chaque jour un peu plus, de nous habituer à la lumière. C’est tellement plus sain pour la santé psychique, spirituelle ou même physique, mais c’est tellement exigeant. Comme partir à l’assaut des montagnes, toujours plus près du soleil, en sachant que nous rencontrerons sur notre route la pluie, le froid et parfois même des orages. Il faut savoir rester parfois sagement à la maison si le temps est trop menaçant. La lumière n’est pas toujours bonne, à n’importe quel moment.
    Et surtout il faut apprendre à sortir ensemble à la lumière, avec ceux qui ont commencé avec nous la même aventure, car c’est ensemble que nous vaincrons les dangers, que nous apprendrons à être prudents, à regarder en face sans peur la vérité. Quelle libération ce sera au fil des jours et quelle joie de voir à la fin de la vie tout le chemin parcouru !


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