• Il y a quelque chose d’incroyable dans l’homme, en chacun de nous. De tout notre être nous désirons l’unité, l’unité à l’intérieur de nous-mêmes bien sûr, mais aussi l’unité avec les autres, et en même temps nous avons peur de cette unité, nous faisons tout ou presque comme si voulions lui échapper.

    L’Europe unie, les Nations Unies sont certainement mieux qu’une troisième guerre mondiale, mais quand il s’agit de faire beaucoup de pas concrets vers cette unité, nous devenons méfiants, sceptiques, comme si cette unité allait nous enlever quelque chose, nous priver d’une part de nous-mêmes.

    Chacun de nous arrive en ce monde comme une petite semence toute fragile. Cette pauvre semence se sent bien faible pour affronter la société qui la menace et en même temps elle est heureuse de se retrouver en société, alors il se passe en chacun de nous comme une bataille terrible entre cette méfiance et cette confiance qui veulent chacune prendre le dessus.

    Si la méfiance prend le dessus, si chaque personne est un adversaire ou un ennemi en puissance, nous allons construire autour de nous une grande tour de pierres ou de ciment ou de béton armé pour nous défendre. Nous resterons toujours vulnérables, mais les murs de notre tour grandiront au fil des jours et des expériences qui nous apprennent chaque fois un peu mieux comment nous mettre à l’abri de toutes ces attaques. Nous finirons peut-être notre vie un peu plus tranquilles, au moins extérieurement, mais notre petite semence n’aura pas beaucoup grandi et sera complètement desséchée à la fin : c’est cela notre idéal de vie ?

    Si c’est au contraire la confiance qui prend le dessus, nous allons nous lancer dans l’aventure de l’autre, faire connaissance, écouter, comprendre, accueillir, souffrir et nous réjouir ensemble. A certains moments nous serons tellement occupés à pénétrer dans cette relation toujours nouvelle avec l’autre que nous nous sentirons parfois perdus. A vivre toujours en contact avec les autres on peut avoir parfois l’impression de perdre sa personnalité. Et alors la tentation est grande de revenir à la tour de défense. Quel dommage ce serait, car c’est justement maintenant que va se forger notre vraie personnalité. La semence qui se nourrit de terre et d’eau, de substances naturelles et de soleil va se transformer complètement, elle va mettre des racines, elle va sortir de terre, germer et devenir une plante, un arbre qui donnera bientôt des bourgeons, puis des fleurs et des fruits, ou qui se couvrira de feuilles.

    On ne garde pas sa personnalité, ce serait comme vouloir rester pour toujours une petite semence, mais on la fait grandir, se développer, se transformer. Et l’on a peu à peu la surprise de se sentir de plus en plus soi-même, mais c’est un soi-même enrichi de toute la bonne terre des autres. Mais si je suis un pommier je resterai un pommier, la bonne terre dans laquelle je me plonge au contact des autres ne fera jamais de moi un olivier. Pourquoi cette peur de ne pas être soi-même, au moment même où j’allais enfin le devenir ?

    Combien l’humanité serait différente si c’était la confiance qui gagnait la bataille ! La confiance que cette unité à construire, avec intelligence et sagesse bien sûr, pas n’importe comment ou avec n’importe qui, n’importe quand, va nous amener à bon port. Il faut discerner tout de même ce qui va faire réellement grandir notre semence, mais en même temps sans trop nous préoccuper. Si nous sommes occupés à aider l’autre à faire grandir la sienne, ce sera l’autre lui-même qui nous aidera. Unité dans la réciprocité, bien loin évidemment de cette fusion dont nous parlions l’autre jour où quelqu’un se sert d’une fausse unité pour ses propres intérêts et pour dominer les autres. Cela vaut la peine de vivre une vie pour essayer, même si l’on sait bien que tout n’est pas blanc ou noir. Chaque jour nous devrons réapprendre à trouver notre chemin.


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  • Non, je n’ai rien compris, ou pas grand chose en tous cas, et je n’ai pas honte de le dire ! Mais ça ne se fait pas d’avouer devant tout le monde qu’on n’a rien compris. Surtout de nos jours où le développement des médias et d’internet en particulier fait qu’en principe on devrait à peu près tout savoir et tout comprendre. Alors dire tranquillement qu’on n’a rien compris c’est assez choquant pour tout le monde. Cela ne vous est jamais arrivé d’entendre raconter une blague que vous n’avez pas comprise et d’éclater quand même de rire comme les autres pour ne pas vous faire remarquer ? Tant qu’il s’agit d’une blague, ce n’est pas trop grave, mais c’est souvent la même chose pour ce qui se passe autour de nous, en famille, dans le quartier, dans notre pays...

    Il faudrait peut-être commencer humblement par comprendre ce que veut dire comprendre. Eh non, ce n’est pas aussi simple que cela pourrait sembler à première vue. Je pourrais comprendre un raisonnement mathématique ou la cause d’une réaction chimique : une fois compris réellement, il n’y a en effet plus de confusion possible. Mais est-ce que je comprends pourquoi il continue à y avoir la faim dans le monde alors qu’on jette chaque jour des millions de tonnes d’aliments, pourquoi il y a encore des guerres alors que tous les pays ont adhéré à l’organisation mondiale des Nations Unies et que tous participent aux Jeux Olympiques comme si de rien n’était ? Pourquoi la vie est belle et il y a tellement de gens qui sont tristes et qui pleurent ?

    Comprendre ce n’est pas facile, car cela veut dire en fait entrer dans le cœur de quelque chose ou de quelqu’un, pénétrer son mystère, son secret, le sens profond de ce qui l’anime, le pourquoi de ses contradictions, le fil d’or qui guide son mécanisme ou son action. Pour comprendre il faut passer du temps, se tromper mille fois et finalement avoir l’intuition que la vérité n’est pas loin. Mais cela n’arrive pas du jour au lendemain, il faut peut-être toute une vie pour comprendre vraiment.

    Pourquoi ces deux frères se haïssent ? Pourquoi cet enfant refuse de manger ? Pourquoi nous sommes jaloux ? Pourquoi nous nous jugeons les uns les autres ? Pourquoi deux personnes qui pensent exactement le contraire sont toutes les deux sûres d’avoir raison ?

    Comme je sais bien que l’article d’un blog ne doit pas être trop long, je vais essayer tout de même d’être bref. Je vais vous dire que ce n’est pas vrai finalement que je n’ai rien compris. Non, j’ai commencé à comprendre quelque chose, surtout ces derniers temps, surtout d’ailleurs depuis que j’écris dans ce blog. C’est un blog magique ? Peut-être. Mais c’est surtout qu’avant d’écrire j’ai été obligé d’écouter un peu plus que d’habitude. On ne peut pas écrire n’importe quoi. Et j’ai essayé de comprendre ce que les autres comprennent, en particulier ceux qui sont bien différents de moi. Et j’ai été étonné de découvrir qu’il y a au fond de nous des vérités que tout le monde comprend, sans même le savoir, et c’est cela que je voudrais crier maintenant sur les toits avec vous.

    J’ai compris surtout que l’on doit chercher à comprendre une seule chose, ce ne sera d’ailleurs pas forcément la même chose pour tout le monde. Chacun doit découvrir le fil d’or qui anime sa vie. Mais nous devons nous aider à comprendre. Nous ne pouvons plus passer notre vie comme des feuilles mortes balayées par le vent qui ne savent pas où elles vont. Nous ne pouvons pas être heureux ce matin et tristes ce soir. Je sais qu’il y a des circonstances extérieures qui nous conditionnent, mais si nous avons commencé à comprendre notre vie et la vie des autres, ces circonstances extérieures ne peuvent pas nous faire changer d’opinion ou de sentiments toutes les cinq minutes.

    Non, je crois que j’ai commencé à comprendre un peu mieux que ma vie est belle. Mais ce qui a changé dans mon esprit, c’est que j’ai commencé à comprendre un peu mieux pourquoi la vie des autres aussi est belle. Car ma vie est belle si celle des autres l’est aussi, sinon ce serait absurde. Et j’ai commencé à comprendre comment faire comprendre aux autres cette vérité. Et pour être honnête, ce sont les autres au fond qui m’ont ouvert les yeux sur tout cela. Vous avez compris ? Un peu, beaucoup, en partie ? Cela ne fait rien, nous avons à peine commencé, nous avons beaucoup à comprendre ensemble encore...


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  • Quelle sublime chorégraphie que ce troisième chapitre de Marc ! C’est un immense mouvement où sont entrainés à la fois Jésus, ses disciples, la foule, sa famille et jusqu’à ses adversaires. Chacun à sa manière, bien sûr, et selon ce qu’il a dans le cœur. « Jésus entra dans une synagogue. » (C’est d’ailleurs une des dernières fois qu’il le fait : il va surtout passer son temps maintenant « au bord du lac » avec la foule et ses disciples.) « Jésus se retire avec ses disciples. » « Ceux qui souffraient de quelque mal se précipitaient sur lui pour le toucher. » « Lorsque les esprits mauvais le voyaient, ils se prosternaient devant lui et criaient : ‘Tu es le Fils de Dieu !’ » «Jésus gravit la montagne, et il appelait ceux qu’il voulait. » « Ils vinrent auprès de lui et il en institua douze... » « Jésus entre dans une maison, où de nouveau la foule se rassemble... » Jésus est le centre de tout. Tout se passe « sur lui », « devant lui », « auprès de lui », « avec lui », « près de lui », « autour de lui».

    On entre un peu plus encore dans la découverte de la personnalité de Jésus et, à travers Lui, révélation du Père et de la Trinité toute entière, on entrevoit un peu plus la grandeur de l’Etre de Dieu. Jésus continue à exprimer tout cet « être » qui est en Lui, qu’il est Lui-même, cet être qui est amour, spécialement pour ceux qui souffrent, cet être dynamique qui continue à accueillir et à donner. Car Jésus ne cesse de donner et de se donner et en même temps d’accueillir ses disciples qu’il appelle et qu’il envoie, ces malades qu’il guérit et même les scribes venus l’observer. En se donnant Jésus parle et agit, il dit et il fait et l’harmonie entre la parole et les actes est totale en lui : « Il dit à l’homme : ‘Etends la main.’ Il l’étendit et sa main redevint normale. »

    On voit un peu mieux toute la personnalité à la fois humaine et divine de Jésus qui promène sur les scribes « un regard de colère, navré de l’endurcissement de leur cœur. » Enfin on peut entrer un peu plus dans le secret de cet être qui est aussi à la fois pouvoir et vouloir. Et là encore ce pouvoir et ce vouloir sont à la fois tout puissants et en harmonie parfaite. Nous l’avions déjà entrevu avec la guérison du lépreux : « Si tu le veux, tu peux me purifier. » (1,40) Ce pouvoir, il va commencer déjà à le transmettre à ses disciples : il va « les envoyer prêcher, avec le pouvoir de chasser les esprits mauvais ». Et, en même temps tout est lié à sa volonté divine, volonté signe aussi de liberté absolue : « il appela ceux qu’il voulait » et volonté d’amour qui va devenir la principale caractéristique du véritable disciple : « Celui qui fait la volonté de Dieu, celui-là est mon frère, ma sœur, ma mère. »

    Ceci dit, la situation devient désormais de plus en plus tendue autour de Jésus, alors qu’on en est seulement au début de sa vie publique. Si la foule le suit encore, s’il commence à avoir de vrais disciples, ses adversaires augmentent. Jésus va trouver maintenant des adversaires dans sa propre famille. Encore faut-il distinguer tout de même entre ses parents, qui s’opposent à lui sans doute pour son bien, et ses véritables adversaires, les scribes et les pharisiens, qui sont vraiment décidés à s’opposer à son action. « Sa famille, l’apprenant, vint pour se saisir de lui, car ils affirmaient : ‘Il a perdu la tête’. »...  « Alors arrivèrent sa mère et ses frères. Restant au dehors, ils le font demander. » On peut se mettre à la place de ses parents, ses cousins, qui ne comprenaient pas ce qui se passait, qui voyaient les dangers arriver et qui avaient peur pour lui et probablement aussi pour eux-mêmes. A noter ici que Marie, la mère de Jésus (qui devait bien comprendre quelque chose, même confusément) n’apparait pratiquement pas dans l’Evangile de Marc : oubli voulu ? Marc ne pouvait pas tout dire et la figure de Marie n’était sans doute pas encore venue en évidence comme elle le sera plus tard avec les autres Evangiles et surtout le développement de la théologie et de la vie de l’Eglise. On verra plus tard qu’il n’y a là aucune contradiction et que l’Evangile de Marc peut lui-même nous aider à mieux comprendre Marie, mais c’est encore un peu tôt pour se lancer dans cette histoire.

    Les véritables adversaires de Jésus sont bien sûr les scribes et les pharisiens et certainement toute une partie de la foule qu’ils entrainaient déjà avec eux : « On observait Jésus pour voir s’il le guérirait le jour du sabbat ; on pourrait ainsi l’accuser. » Les scribes ne s’adressent même plus à Jésus directement. Ils l’observent de loin pour recueillir d’autres éléments pour pouvoir l’accabler. Il ne s’agit même plus de s’opposer à lui d’une manière ou d’une autre, on pense déjà à le faire mourir : une violence extrême s’est emparée de leurs cœurs. « Une fois sortis, les pharisiens se réunirent avec les partisans d’Hérode contre Jésus, pour voir comment le faire périr. » Et tout de suite après ils passent à l’attaque. « Les scribes, qui étaient descendus de Jérusalem, disaient : ‘Il est possédé par Béelzéboul ; c’est par le chef des démons qu’il expulse les démons.» Jésus va répondre tout de suite à cette attaque : il ne peut que refuser de tout son être cette mise en scène diabolique qui l’accuse d’être lui-même un instrument du diable et qui, à travers lui, accuse Dieu tout entier, Père et Esprit de n’être qu’un immense mensonge. « Si quelqu’un blasphème contre l’Esprit Saint, il n’obtiendra jamais le pardon. Il est coupable d’un péché pour toujours. »

    En fait il n’est pas si facile de bien comprendre ce que veut Jésus. Dans la synagogue, il est clair que Jésus n’a aucune intention de se cacher. « Il dit à l’homme qui avait la main paralysée : ‘Viens te mettre là devant tout le monde.’ Et s’adressant aux autres : ‘Est-il permis, le jour du sabbat, de faire le bien, ou de faire le mal ? de sauver ou de tuer ?’ » Puis il guérit le malade comme une provocation évidente contre la tyrannie du sabbat qui était devenu un but en lui-même au lieu d’être au service du Dieu de la vie. On pourrait dire qu’en un sens Jésus a bien cherché la réaction violente des pharisiens. Pourtant, quelques lignes plus loin, l’attitude de Jésus est bien différente. « Lorsque les esprits mauvais le voyaient, ils se prosternaient devant lui et criaient : ‘Tu es le Fils de Dieu !’. Mais il leur défendait vivement de le faire connaître. » C’est que d’une part Jésus voudrait que son message soit sans ambiguïté dès le départ malgré les dangers qu’il court et d’autre part il ne peut pas prendre le risque qu’on l’arrête au début de sa mission, quand il n’a pas encore eu le temps en particulier de former ses disciples et de lancer la « Bonne nouvelle » dans toute son ampleur. Un équilibre sur le fil du rasoir qui va le suivre tout au long de sa vie publique.

    Mais au delà de ce que veut Jésus, c’est sur ce que veut la Trinité toute entière que nous devrions nous interroger. Dieu, le Père, le Fils et le Saint Esprit n’avaient sans doute pas un grand choix. L’humanité était trop loin de Dieu pour pouvoir comprendre ce qui allait se passer, trop faible, malade, immature pour être à la hauteur du défi. Mais il fallait bien se lancer un jour, sinon attendre jusqu’à quand ? Attendre que l’humanité soit assez mûre pour comprendre le message ? Sans la venue de Jésus comment pouvait-elle mûrir, si elle n’avait déjà pas compris grand chose aux interventions des prophètes ? Nous devons raisonnablement penser que Dieu amour a choisi le moment le meilleur, tout en étant conscient qu’il n’y a aucun moment vraiment « meilleur » : à n’importe quel moment le prix allait être lourd à payer ; folie d’un Dieu qui nous aime et qui ne pouvait pas, par son être-même, faire autrement que de se donner à nous totalement quelles qu’en soient les conditions.

    Le monde était d’ailleurs trop bien organisé à sa façon, en quelque sorte sans Dieu, avec des structures en grande partie fondées sur l’égoïsme, pour qu’il y ait la place pour une intervention divine. La venue de Jésus était d’abord quelque chose qui allait déranger autant que guérir. Jésus en est bien conscient qui demande « à ses disciples de tenir une barque à sa disposition pour qu’il ne soit pas écrasé par la foule ». Un peu plus loin, « Jésus entre dans une maison, où de nouveau la foule se rassemble, si bien qu’il n’était pas possible de manger ». Nous avons déjà vu des gens obligés de faire un trou dans le toit d’une maison pour permettre à un paralysé de se faire guérir par Jésus. (2,4) On comprend ses parents qui pensent qu’ « il a perdu la tête ».

    Comment Jésus va-t-il se sortir de cette situation inextricable ? Il va faire peut-être quelques miracles comme lors de la multiplication des pains, quand l’ampleur de la foule affamée risquait de conduire à une catastrophe humanitaire ? Mais il ne pourra pas s’en sortir bien longtemps. En fait, son but principal sera de préparer et d’organiser l’avenir. Jésus est là pour donner sa vie pour nous maintenant, mais aussi pour fonder son Eglise, ce groupe de disciples qui va continuer avec lui à porter son message jusqu’à la fin des temps. Alors tout s’explique. La folie aimante de Dieu est d’une intelligence inouïe : c’est la sagesse de Dieu lui-même.

    Jésus se met donc à former ses disciples, les Douze pour commencer : « Il institua les Douze », de Pierre (« c’est le nom qu’il donna à Simon ») à Judas Iscariote, « celui-là même qui le livra ». Et, avec les Douze, il prêche la Bonne Nouvelle à tous ceux qui sont prêts à faire « la volonté de Dieu ». Sa formation va être longue et complexe. Elle a commencé déjà par le sens de la relation entre la vie et la loi (celle du sabbat en particulier). Il y a dans notre chapitre, indirectement, toute une formation importante à l’unité. « Si un royaume se divise, ce royaume ne peut pas tenir. Si une famille se divise, cette famille ne pourra pas tenir. » Et là se fait plus évident le plan de Dieu : Jésus veut faire de nous, de ses disciples et de l’humanité toute entière, une « famille ». C’est pour cela qu’il peut dire : « Celui qui fait la volonté de Dieu, celui-là est mon frère, ma sœur, ma mère. » Paroles étonnantes d’un Dieu prêt à nous donner ce qui lui est le plus cher, à nous faire entrer pleinement dans sa famille. Il lui restera encore un peu de temps pour nous expliquer ce qu’il entend par « volonté de Dieu ». Mais les bases sont mises et l’aventure divine et humaine de Jésus sur la terre est en train d’arriver maintenant à son sommet.

    Une dernière réflexion pour conclure notre lecture rapide de ce chapitre (avant de passer aux « perles de la parole », en nous concentrant sur les phrases qui nous interpellent le plus) : comme il est difficile d’être homme et d’être chrétien sur cette terre ! Si l’on regarde l’aventure de Jésus parmi nous on pourrait déjà penser que tout va être gâché maintenant. Désormais il ne pourra plus faire un seul pas sans qu’on pense à ces pharisiens et à ces scribes prêts à l’arrêter pour « le faire périr ». La joie d’être « avec l’Epoux » est-elle compatible avec un tel drame ? Comment Jésus a-t-il pu parler de cette joie devant la mort toute proche ? Peut-être devons-nous ici distinguer entre la situation des disciples et notre situation.

    Les disciples ne pouvaient pas encore se rendre compte de ce qui allait se passer et ils pouvaient sans doute se laisser pleinement aller, au moins pour quelque temps, à la joie de la Bonne Nouvelle. C’est qu’ils n’avaient pas compris encore grand chose : ils ne pouvaient connaître ni l’horreur de la mort de Jésus en croix, ni la gloire de la résurrection, ni la consolation de la descente de l’Esprit. Pour nous, comme pour l’auteur de l’Evangile, tout a changé. Désormais tout est lié, il n’y aura plus de mort sans résurrection, donc plus de drame irrémédiable. Mais, en même temps, être chrétien ou simplement homme voudra toujours dire, sur cette terre, se préparer à la mort, mort à soi-même tout au long de la vie et mort finale dans notre passage à l’éternité. Ce sera là la base de notre formation pour toujours. La mort sera bien présente, mais elle n’entrera plus en contradiction avec la joie de la résurrection et de la présence de Dieu Amour au milieu de nous. Ce ne sera pas toujours facile de gérer une telle aventure à couper le souffle, mais qui a des oreilles pour entendre a une clé de lecture fascinante qui nous accompagnera maintenant à chaque pas.

     

     

     

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                PERLES DE LA PAROLE

     

              « Viens te mettre là devant tout le monde. » (3,3)

    Lorsque, dans les années 60, juste après le Concile Vatican II, on a commencé dans l’Eglise catholique à mettre en commun les expériences de la Parole de l’Evangile vécue, beaucoup de gens se scandalisaient. Les expériences intimes de notre relation avec Dieu étaient encore du domaine de la vie privée. On n’avait pas à les étaler sur la place publique. C’était une manière de se montrer qui semblait en contradiction avec l’humilité de la vie chrétienne où la main gauche ne doit pas savoir ce que fait la main droite, par peur de tomber dans un péché d’orgueil. Comme on était loin alors de l’esprit de Jésus dans l’Evangile. Ce Jésus qui demande justement à l’homme dont la main est paralysée : « Viens te mettre là devant tout le monde. » Il ne s’agit pas de se montrer soi-même, car chacun de nous sans Dieu serait pire l’un que l’autre, mais de montrer à « tout le monde » les merveilles que Jésus a réussi à faire en nous, malgré nos limites et nos faiblesses. Non, notre relation à Dieu ne peut jamais être une affaire privée qui ne regarde que nous. Jésus est venu sur terre pour faire de nous une famille. Et, dans une famille, les frères et sœurs doivent se serrer les coudes, s’aider dans les moments difficiles, partager les découvertes qui illuminent leur chemin. Il est beau de remercier Dieu pour les grâces qu’il nous donne chaque jour et spécialement dans les moments d’épreuve, mais il ne suffit pas de le remercier au fond de notre cœur, nous sommes appelés à crier sur les toits la joie qu’il nous donne. C’est que Jésus a besoin de nous pour répandre un peu plus sa Bonne Nouvelle. Sinon ce cadeau reçu s’arrêterait à nous pour moisir sans porter de fruit. Jésus a besoin de nous et nous avons besoin les uns des autres pour aller de l’avant. L’avenir du message de Jésus est dans une « spiritualité collective » où nous devons enfin dépasser nos tendances individualistes. Cela coûte parfois des efforts contre notre timidité ou notre paresse, mais c’est bien peu de chose pour remercier ce Dieu qui a donné sa vie pour nous.

     

              « Il dit à l’homme : ‘Etends ta main.’ Il l’étendit et sa main redevint normale. » (3,5)

    Si on regarde cette phrase un peu vite, superficiellement, elle peut sembler toute simple, presque banale. Et pourtant, il s’agit bien d’un miracle qui se déroule sous nos yeux. Cet homme avait la main paralysée, Jésus est venu, il a eu pitié de lui et il l’a guéri. Mais d’abord, comme toujours, il a eu besoin de la participation active du malade : c’est bien le malade qui, en fin de compte, doit décider de croire que Jésus l’a guéri et d’étendre en conséquence cette main paralysée. Nous avons toujours ici ce rapport de réciprocité entre Dieu et l’homme qui collaborent ensemble, qui ont besoin l’un de l’autre pour le bien de l’humanité.

    Mais un autre aspect est frappant dans l’action de Jésus : sa parole est toujours en harmonie avec son action. Il suffit qu’il dise quelque chose pour que sa parole se réalise aussitôt, pour qu’elle porte du fruit. Jésus n’aurait pas fait cette proposition au malade devant tout le monde, s’il n’était pas sûr du résultat. En Jésus tout est un, son être, sa parole et son action. Cela paraît si simple qu’on oublie combien, pour chacun de nous, cette unité entre la parole et l’action est une conquête énorme de chaque jour. Nous reviendrons souvent là-dessus.

    Un dernier aspect : ce que Jésus demande ou ordonne au malade, comme à n’importe quel homme, est toujours pour son bien. C’est cela la « volonté de Dieu », il ne peut en avoir une autre. Mais sommes-nous capables d’être attentifs à chaque instant à cette voix qui nous interpelle et qui ne cesse de nous conseiller, de nous exhorter et de nous pousser à faire ce qui pourrait changer justement le sens de notre vie, faire que tout ce qui nous arrive, positif ou négatif (comme la maladie de l’homme paralysé) serve finalement à notre bien et au bien de ceux qui nous entourent ?

     

              « Si une famille se divise, cette famille ne pourra pas tenir. » (3,25)

    On dirait ici un proverbe de sagesse populaire. Là encore une idée toute simple, bien évidente. Si une famille se divise, si n’importe quel groupe humain se divise, il n’est plus capable d’affronter les épreuves de la vie et bien vite les personnes qui en font partie n’arrivent plus à se comprendre. La division commence alors à naître dans les cœurs et les esprits, pour devenir ensuite réelle et concrète : on n’a plus qu’à se séparer, car la vie ensemble est devenue un enfer, la famille « n’a pas tenu », on n’a plus qu’à chercher peut-être d’autres personnes qui nous comprennent enfin et on peut passer sa vie comme un papillon de groupe en groupe, sans illusion, pour se retrouver finalement seul comme un chien, déçu, aigri et peut-être même désespéré.

    Jésus parlera encore de l’unité de la famille et, à la fin de sa vie sur terre, il demandera au Père « que tous soient un ». Jésus ne peut voir les choses, les évènements et les personnes que dans l’unité. Car il vit Lui-même de l’unité avec le Père et le Saint Esprit, il ne peut concevoir une autre vie, une autre vision. Cette unité, qui sera toujours son modèle et notre modèle, est à la fois la chose la plus belle et la plus difficile.

    Il suffit de regarder notre belle et pauvre Eglise. L’Eglise est belle car elle est le Corps du Christ Lui-même, mais elle est bien pauvre car, dès le premier jour, elle a connu la division. Et ici il y aurait beaucoup à dire : notre Eglise a-t-elle tenu au cours des siècles ? Certainement plus que tous les royaumes de ce monde. Mais en même temps elle n’a pas vraiment tenu, elle est même rejetée maintenant par beaucoup de ses enfants, ses propres enfants se sont entredéchirés pendant des siècles.

    Mais il faudrait essayer de voir ici l’Eglise et son histoire comme Dieu la voit. Dieu ne peut la voir que dans l’unité et cette unité n’a jamais cessé d’exister malgré tout, grâce à Lui et grâce aux saints et à toutes les personnes qui ont été capables de rester unies à Dieu et entre elles, de quelque « Eglise » particulière ou de quelque rite ou confession chrétienne qu’elles soient. C’est là une forte leçon que Dieu nous donne. Il n’abandonnera jamais son Eglise, car, en Lui et grâce à tous ceux qui restent pleinement fidèles à l’esprit d’unité, l’Eglise « tiendra » toujours. Mais comme elle « tiendrait » bien mieux encore si nous savions placer l’unité avant toutes nos autres préoccupations. Notre époque est peut-être le début du printemps de l’Eglise et de son unité, depuis l’étreinte pleine d’amour divin du Patriarche Athénagoras et de Paul VI et tous ces signes des temps qui peuvent nous donner un immense espoir : l’Eglise a réalisé à la fois beaucoup et bien peu en 2000 ans, mais le jour où nous aurons le courage de vivre seulement pour l’unité, Dieu sait de quel miracles nous serons enfin témoins dans ce monde qui attend l’unité mais qui la trouvera bien difficilement si les disciples de Jésus continuent à parler d’unité mais ne savent pas la vivre !

     

              « Amen, je vous le dis : Dieu pardonnera tout aux enfants des hommes, tous les péchés et tous les blasphèmes qu’ils auront faits... » (3,28)

    Je ne sais pas ce que vous pensez en lisant cette petite phrase. Je me suis moi-même demandé si je l’avais un jour regardée vraiment, si je m’y étais arrêté sérieusement au moins une fois. Et pourtant, c’est bien écrit noir sur blanc : Dieu va tout nous pardonner, absolument tout (à part ce blasphème contre l’Esprit que nous allons examiner ensuite avec la prochaine phrase). Dieu a envoyé son Fils pour nous sauver et nous pardonner. Et cela fait presque 2000 ans maintenant que nous continuons à nous juger et à nous condamner les uns les autres sur la base de l’Evangile. Nous avons fait de la Bonne Nouvelle une sorte de loi morale, pour classer les gens en catégories de saints et de pécheurs, de bons et de mauvais chrétiens, pour nous plaindre sans cesse les uns des autres parce que l’autre ne veut pas comprendre... et c’est aussi ce que je suis en train de faire maintenant : je suis capable de ne pas pardonner à ceux qui ne pardonnent pas. C’est un cercle vicieux sans fin, comme un chat qui courrait après sa queue sans réussir jamais à l’attraper.

    Combien d’énergie gaspillée pour bien peu de résultats dans notre bataille morale pour convertir le monde alors qu’il nous suffisait de l’aimer, de lui pardonner et de le libérer de lui-même en lui faisant voir une autre lumière qui l’aurait guéri pour toujours. Mais il est peut-être temps de recommencer. Dieu nous pardonnera en tous cas tout de suite ces bêtises si nous savons enfin comprendre sa miséricorde. Mais que dis-je ? Dieu nous pardonnera de toute façon, même si nous nous entêtons dans ces bêtises. C’est nous qui mettons des conditions : Jésus n’a pas dit que Dieu nous pardonnera si...nous changeons, si...nous nous repentons. Non, il a dit qu’il nous pardonnera de toute façon. Mais ce serait seulement plus intelligent de profiter de son pardon et de se décider de vivre avec Lui dans la lumière. Et surtout ce serait bien de passer tout le temps qui nous reste à vivre à répandre autour de nous la Bonne Nouvelle : Dieu nous aime et il est venu nous pardonner. D’où vient cette peur de l’enfer, ces complexes et ces scrupules qui ont fait des chrétiens les clients les plus nombreux parfois des cabinets de psychiatres, alors que nous devrions être simplement remplis de la joie de vivre ?

     

              « Mais si quelqu’un blasphème contre l’Esprit Saint, il n’obtiendra jamais le pardon. Il est coupable d’un péché pour toujours. » (3,29)

    Là, par contre, on a un peu peur. Ça a l’air sérieux et ça l’est effectivement. Jésus n’est pas en train de plaisanter. Espérons que ces pauvres scribes et pharisiens n’aient pas su au fond ce qu’ils faisaient : accuser l’esprit de Dieu de faire le travail du diable ! Dieu leur a sans doute pardonné à eux aussi. Il a bien pardonné à Paul qui était un de ces pharisiens qui avaient mis à mort Etienne, le premier martyr chrétien. Et il en a fait le plus grand des apôtres, avec sa libre collaboration bien sûr.

    Mais que veut nous dire ici Jésus ? C’est qu’on ne peut pas regarder en face la grandeur de ce Dieu amour, la force de son pardon, la beauté du salut qu’il apporte à l’humanité, la libération qu’il nous donne, le bien qu’il fait à tous ces malades qui souffrent et déclarer que tout cela vient de Satan, que tout ce bien est le mal absolu. Ou bien on ne se rend pas compte de ce qu’on dit et de ce qu’on fait (et alors Dieu nous pardonnera sans doute là aussi), ou bien on se laisse consciemment posséder par l’esprit du diable et alors sans doute la conversion et le pardon deviennent bien difficiles. Ce ne sont là certainement que des cas extrêmes et nous pouvons espérer qu’ils n’ont jamais existé et qu’ils n’existeront jamais. Mais Dieu nous a laissés libres et il n’est pas mauvais de nous souvenir parfois que cette liberté est en même temps une responsabilité extrême que nous ne devons pas prendre à la légère.

     

              « Voici ma mère et mes frères. Celui qui fait la volonté de Dieu, celui-là est mon frère, ma sœur, ma mère. » (3,34-35)

    Il y a deux aspects importants dans ces deux petites phrases : celui de la volonté de Dieu et celui de la famille que Jésus est en train de former autour de lui. « Celui qui fait la volonté de Dieu... » dit-il, mais quelle est-elle au juste ? Nous en avons certainement une idée belle et complexe à la fois. Contentons-nous ici, pour l’instant, de nous rappeler tout ce que ces trois premiers chapitres de Marc nous ont révélé à ce sujet.

    « Préparez le chemin du Seigneur, aplanissez sa route. » (1,3) « Convertissez-vous et croyez à la Bonne Nouvelle. » (1,15) « Je le veux, sois purifié. » (1,41) « Mon fils, tes péchés sont pardonnés. » (2,5) « Lève-toi, prends ton brancard et rentre chez toi. » (2,9) « Suis-moi. » (2,14) Et à ces quelques phrases on pourrait ajouter cette exhortation claire à rester unis et toute l’action de Jésus et de ses disciples pour guérir les malades et chasser les esprits mauvais. La volonté de Dieu est déjà bien claire dans tout cela. Avant tout guérir cette humanité malade, la guérir physiquement, psychologiquement, moralement et spirituellement à la fois. Libérer l’homme de son péché, tout lui pardonner si possible et, en même temps lui faire prendre conscience de cette Bonne Nouvelle extraordinaire qui vient de lui arriver et qui peut changer toute sa vie. La volonté de Dieu va donc être simplement de participer à son action bienfaisante pour l’humanité, pour chaque homme que nous rencontrons, être par nos paroles et nos actes la continuation de l’œuvre de Jésus.

    En même temps il est clair que Jésus veut faire de nous une famille, sa famille. C’est sa volonté la plus profonde, le visage le plus extraordinaire de son amour infini : n’importe quel homme, quelle femme, même le plus grand pécheur, peut devenir son frère ou sa sœur, mieux même Jésus nous dit qu’il peut devenir « sa mère ». Il ne parle pas ici de père parce qu’il n’a qu’un seul Père, son Père unique avec lequel il ne peut pas y avoir de confusion, mais cela revient tout de même à dire que nous pouvons devenir les parents de Jésus. Jésus se met ainsi dans l’humble attitude de celui qui voudrait recevoir de nous la vie, comme il la reçoit de son Père céleste. Il nous fait déjà entrer dans le mystère de l’amour trinitaire où chacune des trois Personnes est, tour à tour celui qui donne et celui qui accueille ou qui reçoit. C’est cela la « famille » de Jésus, à l’image de l’expérience vécue de toute éternité dans le Ciel de la Trinité. Quelle volonté de Dieu sublime et impensable, quel miracle d’amour ! Nous en sommes seulement à la fin du troisième chapitre de notre Evangile et on pourrait  penser déjà que tout est dit. Mais, au paradis de Dieu, on va toujours de surprise en surprise.

     

     


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  • [Suite des années 1971 et 1972, déjà publiées ci-dessous]

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    Déjà deux ans que je suis arrivé au Liban. C’est impressionnant de voir comment la vie de notre petite famille se développe comme une tache d’huile. A la Journée Rencontre annuelle ouverte à qui voudrait nous connaître, 500 personnes sont présentes. Au cours de l’été nous ferons une dernière Mariapoli au collège de Champville avec encore plusieurs centaines de personnes, avec l’aide encore une fois de l’orchestre international Gen Verde de Loppiano : c’est la dernière Mariapoli parce que les salles sont désormais trop petites pour accueillir tout le monde, il nous faudra aller chercher ailleurs l’année prochaine, mais nous remercions beaucoup les Frères Maristes qui ont été si généreux avec nous pour accompagner nos premiers pas.

    Mais pourquoi cet engouement, cette facilité à se faire connaître, alors qu’en Europe il faut beaucoup plus de temps pour les mêmes résultats ? Il y a sans doute au départ une grande différence de mentalité. Le Libanais est curieux de nature, dans le bon sens du terme, comme nous l’avons déjà dit. Tout ce qui est nouveau l’intéresse. Il y adhère sans se poser trop de questions : les relations sociales quelles qu’elles soient lui plaisent presque par nature. L’Européen en général et le Français en particulier est plus méfiant, plus circonspect au premier abord, il a la critique beaucoup plus facile. Il met beaucoup plus de temps à se laisser entraîner ou convaincre. Mais, pour être juste, chaque mentalité ou chaque culture a ses aspects positifs et ses aspects négatifs. Le Français est plus difficile à apprivoiser, mais lorsqu’il est devenu votre ami, il ne va plus vous lâcher. Je veux dire par là que le Libanais ne sera pas aussi fidèle ? Ce serait une honte d’avoir une telle pensée, avec tous les amis tellement merveilleux qui sont entrés dans ma vie au Liban et dans tout le Moyen Orient. Mais ce que je veux dire est plutôt au niveau de cette foule de 500 personnes, tellement ouverte à nous connaître, sans jugements à priori : en fait nous nous apercevrons peu à peu que beaucoup d’entre eux sont simplement venus voir, comme ils continueront à aller voir ailleurs, pour profiter de toutes ces occasions que la vie sociale peut offrir : tous ne pourront pas devenir véritablement nos amis et c’est bien normal. Mais en fin de compte un ami est un ami, qu’il soit au Liban ou en France. L’approche est différente simplement, mais le résultat final est le même : nous sommes tous frères en humanité.  

    Et une autre raison pour expliquer cette rapidité à faire connaissance, c’est que les Libanais se déplacent souvent en famille, et quand on dit famille, il faut parfois penser au clan tout entier. Ce n’est pas toujours vrai, comme l’histoire de ces familles où certains nous ont acceptés et d’autres non, mais les Libanais se laissent facilement entraîner par un frère, un enfant, une tante, un voisin même et cela finit par faire soudain beaucoup de monde. Il n’y a qu’à voir l’affluence lors des mariages ou des enterrements, il n’y a jamais assez de place dans les églises, beaucoup de gens doivent attendre dehors la fin de la cérémonie, car tout le village peut-être a tenu à être présent. Parfois cela peut être étouffant, mais au moins on ne se sentira jamais seul, comme cela se produit aujourd’hui dans certaines villes d’Europe ou les personnes âgées en particulier se sentent bien souvent abandonnées.

    Je ne vais pas faire la liste maintenant de toutes les familles qui se sont ajoutées peu à peu à notre grande communauté, comme Gaby et Loulou, on n’en finirait pas. Et pourtant chacun est unique. Chacun a une histoire et les histoires des Libanais sont souvent des aventures de gens qui ont beaucoup séjourné à droite ou à gauche, dans tous les pays du Moyen Orient ou en Europe. Certains sont parfois nés à l’étranger ou ont des ascendances étrangères comme Loulou justement avec ses origines italiennes d’Egypte, certains ont trouvé à se marier à l’étranger comme Jean qui a épousé Marejke venue de Hollande, certains viennent de Syrie. Le Liban a été de tous temps un carrefour de civilisations.

    Et lorsqu’on dit que chacun amène avec lui toute sa famille ou tout son clan, cela va des enfants aux grands-parents, aux oncles et aux tantes. Combien d’enfants y avait-il à chaque rencontre ! Et comme j’étais un des plus jeunes du groupe, on me demandait souvent si je pouvais m’occuper d’eux, inventer des activités de toutes sortes qui leur fassent expérimenter, par des jeux plus que par des discours, la même atmosphère de fraternité que les grands goûtaient dans la salle de réunion pour adultes. Ces enfants n’étaient pas toujours faciles, loin de là, les Libanais ont une vivacité incroyable dès leur plus jeune âge, mais combien de beaux moments nous avons passés ensemble dont nous nous souvenons aujourd’hui encore, 40 ans après, avec une certaine nostalgie. Quand je pense à Patrick qui est maintenant un brillant médecin en France, les trois frères Doummar qui sont de brillants ingénieurs également en France, ou à Camille, leur cousin, emporté si jeune par une leucémie, quand je pense à Michel qui me faisait perdre presque la patience et qui est maintenant un avocat devenu tellement patient et calme, ou bien Nada, René (qui avait un mois lorsque je suis arrivé au Liban et qui dirige aujourd’hui la grande entreprise de son père), Natacha, Fouad, Hani, Loubna...Je suis encore ému rien que d’y penser.

    Il faudrait consacrer tout un chapitre aux grands-parents, présents dans les rencontres ou lors de nos visites dans les maisons, car les grands parents habitent souvent avec tout le reste de la famille. Cela donnait parfois des résultats un peu comiques lorsque telle grand-mère, qui ne comprenait pas exactement ce que nous faisions au Liban, nous regardait à l’évidence comme un bon parti pour marier une de leurs petites filles en âge de fonder une famille : avec un étranger, français ou italien, pensez-vous, ce serait comme une promotion pour la famille, au moins certains le pensaient et le pensent peut-être encore. En tous cas c’était beau de connaître ces personnes qui en avaient vu de toutes les couleurs dans leur jeunesse ou leur âge adulte, le mandat français, la guerre mondiale, l’indépendance du Liban, la peur des conflits régionaux, mais toujours la fierté d’appartenir à ce pays où coule le lait et le miel, comme le dit la Bible.

    Le groupe des jeunes grandissait lui aussi. A l’époque, il y avait quelques activités communes, mais le plus souvent nous du Focolare masculin passions notre temps avec les jeunes gens et la nouvelle communauté du Focolare féminin, à peine arrivé, suivait le groupe des jeunes filles. Depuis la fameuse Mariapoli de 72 les jeunes étaient vraiment assidus. D’autres nouveaux visages s’ajoutaient de temps en temps et certains décidaient de venir plus régulièrement. Souvent en semaine nous nous rencontrions à la messe après le travail chez les Sœurs des Saints Cœurs près de chez nous et nous passions des soirées ensemble. Il y avait le frère de Joseph, Béchara, Gilbert Chehab, cousin de Nadine et émir comme elle (descendants d’une de ces nobles familles qui ont fait l’histoire du Liban), Toufic qui aimait toujours beaucoup discuter (finalement je trouvais quelqu’un pour me rappeler mes vieilles discussions entre étudiants en  France), Jean-Pierre, le frère de Josyane, René, jeune Français vivant alors au Liban, Freddy et Christian, les cousins de Joseph, et d’autres encore. Sans compter Jean, le seul à avoir une voiture à sa disposition à l’époque (la fameuse « coccinelle » Volkswagen) dans laquelle nos jeunes s’entassaient comme des sardines.

    Parmi nos activités : les débuts de l’orchestre Gen (« gen » dans le langage de notre Mouvement veut simplement dire « génération nouvelle »). Pierre et Michel à la guitare, Rino, Jean-Pierre et moi comme chanteurs, Pierre, le cousin de Rosette, à la batterie, mais nous chantions tous, je jouais même parfois plus ou moins mal à la guitare des chants que je venais de composer. La plupart de nos chants étaient des chants italiens du Gen Rosso, traduits en français ou quelques-uns en arabe. Même si la culture libanaise est souvent francophone, j’étais frappé de voir que l’esprit italien, méditerranéen et très convivial, était en fait plus proche des Libanais que l’esprit français, un peu trop sophistiqué à leur goût. Cet orchestre animait toutes nos rencontres mensuelles et créait déjà une belle atmosphère.  

    Une chose amusante, c’est que tout n’était pas aussi simple au début avec les familles. C’est vrai que certains parents pensaient que leurs enfants avaient chez nous au moins de bonnes fréquentations et qu’ils apprendraient à être plus sages à la maison. Mais lorsqu’ils commençaient à rentrer un peu tard le soir du Focolare, les permissions diminuaient et certains parents faisaient plus de problèmes à leurs enfants qui revenaient à 10h du soir de chez nous que s’ils rentraient à minuit d’une soirée dansante. Et puis ils passaient trop de temps avec ces activités, ils risquaient d’oublier leurs études. Nous nous sommes aperçus que plusieurs parents s’étaient finalement ligués contre nous, ils se téléphonaient les uns aux autres pour se donner des informations et s’encourager à faire barrage à ce nouveau mouvement sympathique mais un peu trop dangereux ou pour le moins dérangeant à leur avis. Mais tout cela n’a pas duré bien longtemps et beaucoup de parents sont devenus bientôt nos amis.

    Du côté du Focolare féminin, le groupe des jeunes grandissait aussi rapidement : sœurs des uns, cousines des autres, élèves de certains professeurs, comme Gilberte en particulier, qui transmettaient à leurs classes cet esprit d’amour réciproque et créaient une véritable révolution. C’est ainsi que nous avons connu Ghada, qui allait devenir notre grande spécialiste de traduction en arabe pour tout le Moyen Orient, Leila, Paulette, Nelly, sa soeur Ingrid et sa cousine Gladys, Marlène, avec sa soeur Thérèse et son frère Maroun, Léna qui allait vite se fiancer et nous faire connaître son fiancé Philippe.

    Notre petite famille élargissait ainsi peu à peu ses rayons d’action. Désormais nous avions des connaissances dans tous les quartiers de Beyrouth et c’était beau de se sentir chez soi d’Achrafieh, à Furn el Chebbak (qui veut dire le « four de la fenêtre »), à Sinn el Fil (« la dent de l’éléphant »), à Aïn el Romaneh (« la source de la grenade ») ou à Hamra (« la rouge »). On apprenait à se déplacer partout comme les Libanais, qui n’utilisent presque jamais de cartes ou de plans de la ville, qui ne connaissent pas les numéros des habitations dans les rues, mais qui savent toujours se retrouver en mémorisant d’une manière incroyable tous les lieux publics, commerciaux... « Tu veux aller dans tel magasin ? Il suffit d’aller derrière la banque Untel, cent mètres après le Café de Paris, en face de telle pharmacie et juste après un grand magasin de chaussures à la devanture rouge : tu ne peux pas te tromper. » Combien de noms pittoresques de rues et de quartiers où nous apprenions à connaître tout ce qui était important pour la vie de tous les jours. Les magasins et le marché populaire (le souk) du centre-ville, avec toutes les stations de taxis-services et d’autobus pour toutes les directions du Liban, les bars et les cinémas de Beyrouth Ouest, avec ses belles promenades le long de la mer, une vie grouillante presque 24 heures sur 24. Et à Beyrouth le commerce est roi. Les Libanais ont un talent extraordinaire pour le commerce, depuis l’antiquité déjà, du temps des Phéniciens. Bien sûr il faut faire attention à ne pas se faire rouler. Mais si l’on rentre dans ce jeu de discuter sur les prix, de faire semblant de se fâcher et de revenir, on peut faire des affaires et surtout on se fait des amis parmi les commerçants, on devient de fidèles clients. Le commerce est tellement important, mais le client ne se sent jamais un numéro anonyme : la vie sociale passe aussi par là.

    Mais ce qui nous surprenait le plus, sans nous surprendre au fond puisque nous étions bien convaincus que le message apporté par Chiara est vraiment fait pour l’homme de notre temps, c’est aussi la rapidité avec laquelle notre  « tache d’huile » se répandait non seulement dans les quartiers de Beyrouth et dans toutes les régions du Liban dont nous avons déjà parlé, mais aussi dans tous les pays environnants. Nos voyages en Syrie pour visiter surtout le Père Michel de Homs devenaient de plus en plus réguliers et nous y reviendront. Un prêtre chaldéen irakien, le Père Stéphanos Katchou, était venu nous rendre visite à Aïn Aar, durant notre période de vacances et de repos à la montagne. Il avait connu les Focolari en Italie et comptait bien répandre cette « bonne nouvelle » dans son pays. Nous l’avions même aidé à acheter à Beit Chabab une cloche pour son église et à l’expédier en Irak. Il allait bientôt devenir évêque, mais malheureusement décéder très tôt d’un accident de voiture. Durant l’automne 73, avec notre petit orchestre débutant, Guido et Aletta nous avaient demandé de les accompagner pour animer la deuxième Mariapoli de Chypre, à Nicosie. Expérience émouvante. Nous ne savions pas le grec et c’était le Père Guglielmo Rossi, Père franciscain, engagé lui aussi avec les Focolari qui assurait la traduction : il nous avait fait un accueil formidable. C’était un peu fort pour moi de devoir chanter en anglais des chants appris par cœur, mais dont je ne comprenais presque rien. C’était beau surtout de voir que, dans cette culture grecque, si différente de la culture libanaise, l’atmosphère de la rencontre était à peu près la même, avec les mêmes fruits de joie partagée et de rencontre profonde avec Dieu et le prochain.

    Mais une aventure allait me marquer tout particulièrement cette année-là : la découverte de la Terre Sainte. Un Père Salésien italien, le Père Armando Bortolaso, qui avait connu les Focolari en Belgique, avait commencé à lancer cette spiritualité parmi les jeunes et il nous demandait de l’aide. Mais comment faire puisque les contacts étaient interdits entre nos pays en guerre ? Comme j’avais plus de vacances que les autres de par mon travail d’enseignant, Guido m’avait proposé de profiter des vacances de Pâques pour faire là-bas une première visite. Il fallait garder là-dessus pour l’instant le plus grand secret. J’étais donc parti pour Chypre, chez ce Père Guglielmo et je devais raconter à tout le monde au Liban que j’étais allé me reposer 10 jours à Chypre. La vérité c’est que j’avais passé toutes ces vacances à rencontrer des jeunes, des familles, des religieux et des religieuses dans diverses villes de Terre Sainte et à visiter les lieux où Jésus avait vécu. Je rentrais ému, choqué, enthousiasmé, fatigué, mais heureux : cela n’avait pas été en tous cas un repos. Ce n’était que le premier d’une série de beaux voyages. En été, j’étais retourné là-bas avec Miranda (Miriam), nouvelle focolarine italienne arrivée à Beyrouth en provenance de Suisse au début de l’année. Nous étions revenus tellement conquis que nous avions convaincu Aletta et Guido de partir à leur tour organiser l’année suivante une première Mariapoli en Terre Sainte. Heureusement que, par la suite, le ministère libanais de la Défense avait changé ses lois et il donnait des permis officiels de passage « au sud » pour des activités à caractère religieux avec la responsabilité de l’Eglise : nous allions pouvoir passer sans plus raconter d’histoires. Mais tout cela sera relaté plus tard dans d’autres chapitres.

    Notre famille grandissait ainsi en largeur mais surtout en profondeur. Au début, bien sûr, tout ou presque reposait sur l’expérience que nous étions en train d’apporter de l’extérieur. Mais, peu à peu chacun prenait ses responsabilités, se lançait dans de nouvelles initiatives : le début d’une inculturation dans la culture locale qui était certainement notre but final. Les plus engagés étaient contents de commencer à participer à des rencontres de formation ou d’approfondissement en Italie. Rosette, la première Libanaise à avoir senti cet appel à tout quitter pour se consacrer à cet idéal d’unité, allait partir justement pour deux ans d’expérience à l’Ecole de formation des focolarines à Loppiano. Joseph, qui sentait la même vocation mais qui ne pouvait pas aller à Loppiano car il n’avait pas de passeport, allait bientôt entrer directement avec nous dans notre communauté à vie commune de Sioufi, tout en continuant ses études de médecine.

    Jacques et Pierrette, ainsi que Michel et Gilberte, allaient à leur tour participer aux Ecoles de formation pour focolarini mariés et prendre tout de suite la responsabilité de nos familles, pour le Liban mais aussi tout le Moyen Orient. Au cours d’une de ces rencontres à Rome, Jacques a pu ouvrir son cœur à Lionello, un de nos responsables au Centre du Mouvement. Car il sentait en lui un dilemme : comment harmoniser cet appel à se consacrer à Dieu dans un esprit de chasteté et de pauvreté et mener en même temps une carrière d’entrepreneur qu’il pouvait déjà prévoir avec un brillant avenir et beaucoup d’argent à brasser. Et Lionello l’avait tranquillisé : c’est exactement cela la vocation au Focolare, être dans le monde, dans n’importe quelle situation sociale ou économique et en même temps témoigner de la force de l’Evangile de tout son être. C’était le départ d’une grande aventure, comme pour Robert avec la grande usine et l’entreprise commerciale dont il avait hérité de son père.

    Avec tout cela grandissait aussi l’unité entre nous et l’esprit de famille. On ne peut pas oublier ces moments au restaurant où Jacques nous invitait dans la montagne libanaise pour nous reposer des efforts intenses de la Mariapoli. Là haut, à plus de mille mètres d’altitude, avec un panorama extraordinaire entre la vue sur la mer et les sommets arides au-dessus de nous, nous nous retrouvions avec tout le « levain » comme nous disions. Nous étions le levain dans la pâte de cette belle tarte en train de s’épaissir, jour après jour. Nous avions l’impression de nous connaître depuis des dizaines d’années alors qu’il ne s’agissait que de deux ou trois ans au maximum. Et combien nous nous sentions au paradis, en imaginant qu’au paradis on doit beaucoup rire, car Guido n’arrêtait pas de nous faire rire jusqu’aux larmes par ses remarques ou ses jeux de mots, comme un feu d’artifice. Nous ne pouvions pas savoir alors que Dieu était en train de consolider le cœur de notre nouvelle famille avant les épreuves imprévisibles et terribles qui allaient bientôt nous tomber dessus.

    Parallèlement mon expérience d’enseignant mûrissait. Je commençais finalement à me sentir à l’aise dans ma nouvelle école. Parfois nous avions des rencontres au consulat de France avec d’autres coopérants. J’avoue que je m’y sentais très mal à l’aise. Je n’arrêtais pas d’entendre des remarques négatives sur le peuple libanais, comme si, entre Français nous nous sentions supérieurs. Alors je remerciais vraiment Dieu de m’avoir fait entrer au Liban par une tout autre porte. C’est peut-être normal pour une personne étrangère dans un pays de chercher des compatriotes pour ne pas se sentir trop seul. Mais moi, je n’étais pas là pour deux ou trois ans pour repartir ensuite chez moi, j’étais là pour me faire libanais avec les Libanais, entrer dans leur culture. C’était une expérience très forte, vécue dans la réciprocité.

    Un aspect important  de cette culture était aussi celui de l’Eglise libanaise ou orientale. Avec l’aide de l’étude de l’arabe, nous allions de plus en plus prier dans les églises des différents rites orientaux, maronite, byzantin, syriaque, arménien...Quelle richesse dans ces liturgies, dans les textes de la messe, comme ce moment de la liturgie byzantine où le prêtre se tourne vers les fidèles en disant : « Aimons-nous les uns les autres...pour pouvoir confesser d’un seul cœur notre foi. » Comme pour indiquer que la profession du « Je crois en Dieu », qui est d’ailleurs au pluriel en Orient (« Nous croyons en Dieu »), n’a aucun sens s’il n’y a pas entre nous d’amour réciproque : c’est exactement le cœur du message de l’unité de Chiara. C’était beau d’ailleurs d’entendre à la Mariapoli un de nos amis, empreint de théologie orthodoxe, s’extasier devant le nouveau thème de Chiara sur la Vierge Marie en disant : « Mais, c’est extraordinaire, on dirait exactement une vision orthodoxe ! » Comme pour nous confirmer que l’Esprit Saint est vraiment au travail pour nous amener à l’unité.


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  • Vraiment, depuis hier soir je me sens fâché et fatigué à la fois. Cela ne m’arrive pas souvent, mais je suis excédé par certains propos qu’on entend maintenant dans notre société française ou occidentale comme si ça allait de soi.

    Qui  est le coupable dans l’affaire ? Cet excellent professeur universitaire qui m’a indirectement provoqué ? Sans doute. Mais ce n’est pas à lui que j’en veux, il est une victime comme tout le monde.

    Mr  Dominique Rousseau était interviewé en direct hier soir sur un site internet sur son livre « Radicaliser la démocratie » (qui vient de paraître aux Editions du Seuil).  Il a dit des choses très intéressantes et sensées. Par exemple que l’avenir de la démocratie, la véritable démocratie sera dans la délibération (inventer les espaces où les gens puissent parler, s’exprimer, se disputer...) Le vote, comme le suffrage universel serait seulement une apparence de démocratie qui fait finalement « fusionner » les gens « dans le corps du chef. » Il y a là toute une recherche passionnante à faire.

    Mais là où je me révolte c’est dans les bases de référence du discours de notre professeur. Si j’ai bien retenu ses propos, voilà le cœur de son raisonnement : toute fusion est dangereuse. Notre vision traditionnelle de la famille, par exemple, où l’homme et la femme ne ferait « qu’un » est dangereuse. Si vous fusionnez, dit-il, c’est au profit de quelqu’un. Autrement dit, lorsque deux personnes fusionnent il y en a un qui en profite pour dominer ou écraser l’autre... Il faudrait donc préférer « l’écart » à la fusion, la « dispute » au vote de consentement (car « de la dispute vient le bien commun »).

    Si vous vous en souvenez, cela touche exactement le discours que nous faisions dans cette rubrique sur dépendance, indépendance et interdépendance. C’est très beau de dépasser la fusion si cette fusion est la domination d’une personne par une autre, mais l’écart et la dispute deviendraient un but en soi ? J’espère que l’homme est capable tout de même d’un idéal un peu plus fascinant !

    Tout le problème vient de la conception qu’on a de l’unité. « Père que tous soient un. », avait dit Jésus. Les chrétiens ont voulu mettre en pratique cette unité et ils ont malheureusement en grande partie échoué. Des hommes d’Eglise se sont servis de cette « unité » pour dominer ou asservir le peuple et le peuple s’est révolté. Le peuple ne croit plus en l’unité. Des hommes (et des femmes aussi, mais surtout des hommes) se sont servis de cette « unité » pour asservir les femmes, et les jeunes des nouvelles générations, dans leur grande majorité, n’ont plus envie de se marier.

    Alors contre qui je suis fâché ? Contre moi-même, contre nous chrétiens, contre notre Eglise. Nous avions un trésor extraordinaire mais nous nous en sommes si mal servis que cela a fait l’effet contraire.

    Imaginons qu’il y ait eu tellement d’accidents de voitures, de trains ou d’avions que les hommes aient décidé finalement de revenir à la marche à pied ou aux voyages à cheval ou en diligence (ou au moins en bicyclette pour garder quelques acquis du monde moderne). C’est une supposition bien ridicule. C’est vrai qu’il y a des gens traumatisés par les catastrophes que l’on voit de temps en temps à la télévision. Il ya des gens qui refusent, aujourd’hui encore, de monter dans un avion : mais on considère qu’ils ont sans doute des problèmes au niveau psychologique.

    Eh bien, c’est exactement ce qui se passe avec l’unité. L’unité est la plus grande découverte de l’histoire de l’humanité, mais on en a fait jusqu’à présent tellement d’accidents qu’on ne croit pratiquement plus à la possibilité de sa réalisation ! Il est peut-être temps de se réveiller, d’aller voir si on ne peut pas faire quand même quelque chose avant qu’il ne soit trop tard, avant que l’humanité soit morte de conflits ou d’ennui...

    Nous reviendrons bientôt sur ce sujet : c’est peut-être le cœur de notre blog : à bientôt !

     


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