• Vous n’êtes pas, vous aussi, souvent désorientés par les nouvelles des journaux, de la radio ou de la télévision ? Au delà de l’effort louable d’informer le monde entier de ce qui se passe d’important chaque jour sur notre terre, il y a une sorte de curiosité morbide à vouloir parler presque uniquement des catastrophes, des tragédies de toutes sortes comme s’il n’y avait que cela de bien réel dans notre vie.

    thierry Ehrmann : No Legend N°26 by Abode of Chaos

    Je me souviens une fois, pendant la guerre du Liban, de ce titre en France qui avait dû bien alarmer inutilement ma famille, déjà passablement inquiète pour moi : « Tout Beyrouth brûle ! » Le titre qui choque et qui attire peut-être un peu plus d’abonnés pour le journal. Et pourtant ce jour-là, j’étais bien allé au travail le matin, il y avait eu un obus tombé à quelques dizaines de mètres de notre immeuble, la situation était bien triste, mais notre appartement ne brûlait pas et il n’allait d’ailleurs jamais brûler tout au long des 16 ans de guerre : seulement beaucoup de vitres brisées et quelques éclats d’obus, ce n’était pas la fin du monde !

    Un jour plus récent où j’écoutais les nouvelles à la radio, c’était pire encore. Rien que des morts et des catastrophes. Une guerre en Afrique, un attentat en Irak, un accident d’avion je ne me souviens plus dans quel pays, et encore, il me semble, une inondation et un léger tremblement de terre. Une moyenne de 50 morts par tragédie. C’était terrible évidemment. La seule nouvelle positive était une nouvelle sportive (positive au moins pour ceux qui avaient gagné !) Je me souviens que j’étais assez choqué ce jour-là par toutes ces « nouvelles ». Puis, à un certain moment, j’ai eu comme l’impression de me réveiller d’un mauvais rêve. J’ai senti que je devais réagir. J’ai fait le total approximatif de tous ces morts, cela faisait à peu près 250 personnes : bien triste évidemment.

    Mais c’est là que je me suis réveillé complètement. 250 personnes ! Mais qu’est-ce que représentent 250 personnes devant 6 milliards d’habitants de notre planète ?  Tout le monde n’est pas mort quand même ! Certainement que des milliers et même des millions de personnes étaient mortes également ce jour-là, certains très tristes, mais d’autres sans doute entourés d’affection et dans une grande sérénité. Certains étaient peut-être morts en donnant la vie pour les autres (et on parle tellement rarement de tous ces cas d’héroïsme qui sont tout de même fréquents, à commencer par ces mères qui meurent en mettant au monde un enfant).

    Alors j’ai senti en moi à la fois un peu plus de sérénité, mais presque une sorte de colère contre ces médias qui font semblant de dire la vérité, mais qui la faussent en fait complètement, qui ne savent pas nous faire vivre avec les gens qui construisent, qui espèrent et qui se battent chaque jour pour un monde meilleur. Nous avons entre les mains désormais des instruments tellement extraordinaires pour nous aider à partager tout ce que vivent nos frères et nos sœurs d’un côté à l’autre de notre terre et c’est tout ce qui nous passe par la tête ?

    Je sais bien qu’il y a tout de même beaucoup de journalistes qui sont capables de travailler dans un tout autre état d’esprit, positif et équilibré. Mais ils ne sont encore qu’une minorité, malheureusement. Il y a encore beaucoup à faire pour apprendre à se servir dignement de toutes ces merveilleuses inventions des derniers siècles de notre histoire !


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  • Lorsqu’on lit un peu rapidement ce chapitre 6, on a d’abord l’impression qu’il est composé de différents tableaux intéressants mais sans grand rapport les uns avec les autres. Serait-ce un chapitre de transition où l’auteur a voulu fourrer un peu tout ce qu’il n’avait pas pu dire jusque là, en attendant des chapitres plus importants ? Nous allons essayer de comprendre.

    Tout commence par la visite de Jésus à Nazareth, « son pays », où les gens, qui pensent le connaître, sont en fait incapables de l’accueillir, de croire en lui. Ils « étaient frappés d’étonnement ». « D’où cela lui vient-il ? Quelle est cette sagesse qui lui a été donnée, et ces grands miracles qui se réalisent par ses mains ? N’est-il pas le charpentier, le fils de Marie et le frère de Jacques, de José, de Jude et de Simon ? Ses sœurs ne sont-elles pas ici chez nous ? » « Et ils étaient profondément choqués à cause de lui. » « Jésus leur disait : ‘Un prophète n’est méprisé que dans son propre pays, sa famille et sa propre maison’. Et là il ne pouvait accomplir aucun miracle ; il guérit seulement quelques malades en leur imposant les mains. Il s’étonna de leur manque de foi. Alors il parcourait les villages d’alentour en enseignant. » Que veut nous montrer ici l’évangéliste ?

    Dans le tableau suivant « Jésus appelle les Douze, et pour la première fois il les envoie deux par deux. Il leur donnait pouvoir sur les esprits mauvais, il leur prescrivit de ne rien emporter pour la route... Ils partirent et proclamèrent qu’il fallait se convertir. Ils chassaient beaucoup de démons, faisaient des onctions d’huile à de nombreux malades et les guérissaient. » Une autre réalité du règne de Dieu en marche parmi les hommes : les hommes commencent à recevoir le pouvoir de Dieu de faire des miracles. Où cela va-t-il s’arrêter ?

    Après cela, une tout autre histoire vient nous surprendre, c’est celle de la mort de Jean Baptiste décapité sur l’ordre d’Hérode, contraint devant ses convives d’exaucer le désir d’Hérodiade de faire taire pour toujours ce témoin de la vérité qui les gênait. Un autre épisode bien connu mais qui semble apparemment sans grande relation avec les autres. Il nous rappelle simplement, comme un décor en arrière-fond, que le monde est prêt à rejeter l’amour de Dieu s’il sent qu’il va le déranger dans ses habitudes : la mort de Jean-Baptiste annonce déjà celle de Jésus qui n’est pas loin.

    On se retrouve alors avec les disciples. « Les apôtres se réunissent auprès de Jésus, et lui rapportent tout ce qu’ils ont fait et enseigné. Il leur dit : ‘Venez à l’écart dans un endroit désert, et reposez-vous un peu’. » Quelque chose de nouveau dans cette activité incessante ? Pas vraiment puisque Jésus s’était déjà lui-même retiré pour prier « dans un endroit désert » dès le premier chapitre. C’est que le rythme devient de plus en plus pressant, la foule de plus en plus abondante. Jésus et les apôtres ne savent bientôt plus où donner de la tête. « Jésus vit une grande foule. Il fut saisi de pitié envers eux, parce qu’ils étaient comme des brebis sans berger. Alors il se mit à les instruire longuement. Déjà l’heure était avancée ; ses disciples s’étaient approchés et lui disaient : ‘l’endroit est désert et il est déjà tard. Renvoie-les, qu’ils aillent dans les fermes et les villages des environs s’acheter de quoi manger’. Il leur répondit : ‘Donnez-leur vous-mêmes à manger’. » Et c’est alors que s’accomplit le miracle inouï de la première multiplication des pains et des poissons. « Tous mangèrent à leur faim. Et l’on ramassa douze paniers pleins de morceaux de pain et de poisson. Ceux qui avaient mangé les pains étaient au nombre de cinq mille hommes. Aussitôt après, Jésus obligea ses disciples à monter dans la barque et à le précéder sur l’autre rive, vers Bethsaïde, pendant que lui-même renvoyait la foule. » Ce qui est étonnant ici c’est que Marc ne nous dit pas un seul mot de la réaction des gens et des disciples devant un miracle tellement extraordinaire : étaient-ils tellement choqués qu’ils n’arrivaient même plus à réagir ?

    Et on passe tout de suite à un nouvel épisode, encore bien différent du précédent. « Quand il les eut congédiés, il s’en alla sur la montagne pour prier. Le soir venu, la barque était au milieu de la mer et lui, tout seul, à terre. Voyant qu’ils se débattaient avec les rames, car le vent était contraire, il vient à eux vers la fin de la nuit en marchant sur la mer et il allait les dépasser. En le voyant marcher sur la mer, les disciples crurent que c’était un fantôme et ils se mirent à pousser des cris, car tous l’avaient vu et ils étaient bouleversés. Mais aussitôt Jésus leur parla : ‘Confiance ! C’est moi ; n’ayez pas peur !’ Il monta ensuite dans la barque et le vent tomba ; et en eux-mêmes ils étaient complètement bouleversés de stupeur, car ils n’avaient pas compris la signification du miracle des pains : leur cœur était aveuglé. » Finalement on entrevoit une réaction tardive des disciples au miracle de la multiplication des pains : ils sont simplement encore choqués. Jésus qui multiplie les pains puis qui marche sur les eaux, cela devient trop pour leur capacité de comprendre. Ils avaient bien saisi que Jésus était capable de guérir les malades, ils avaient même commencé à accomplir des miracles en son nom, mais là trop, c’était trop. Leur humanité faible et limitée n’arrivait plus à suivre ! 

    Heureusement pour eux et pour nous, le chapitre va se terminer avec de nouveaux simples miracles de guérisons : normale administration si l’on peut dire. La tempête est passée. « Dans les endroits où il était, dans les villages, les villes ou les champs, on déposait les infirmes sur les places. Ils le suppliaient de leur laisser toucher ne serait-ce que la frange de son manteau. Et tous ceux qui la touchèrent étaient sauvés. » L’ouragan est en quelque sorte passé. A nous de revenir maintenant sur l’essentiel et d’essayer de comprendre. Nous avons eu 2000 ans pour le faire, cela devrait être maintenant plus facile !

    Nous avons déjà compris qu’avec Jésus le ciel s’est ouvert, la Trinité s’est ouverte et l’homme peut pour la première fois commencer à pénétrer dans le mystère de ce tout-puissant qui est au delà de tout, au delà de toute compréhension humaine possible, mais qui a pourtant décidé de se faire proche de nous, qui a décidé de dévoiler son mystère et de nous faire même entrer en lui, lui qui, depuis toujours est déjà en nous sans que nous en ayons conscience.

    Nous avons commencé à entrevoir en Dieu ce mouvement d’amour réciproque à l’infini où, de toute éternité le Père aime le Fils en l’accueillant et en se donnant à Lui et où le Fils aime le Père en l’accueillant et en se donnant à Lui dans l’Esprit Saint qui est le lien d’amour entre les deux. Nous avons commencé à découvrir que l’homme, créé à l’image de Dieu, ne peut pas avoir été créé sur autre modèle que cette unité dans la distinction où je suis à la fois l’autre et moi-même, où je deviens moi-même quand je me donne à l’autre et que je l’accueille en moi, loin de toute idée individualiste, mais loin aussi de toute idée de fusion où l’unité ferait que l’un devient tellement l’autre qu’il finit par disparaître. Quel miracle que cette uni-trinité où plus je suis l’autre plus je suis moi-même !

    L’homme, par le péché originel, a toujours voulu être libre, être lui-même, mais il a confondu la liberté avec l’indépendance et la séparation de l’autre. L’homme a voulu tout savoir et tout comprendre, mais en le faisant de lui-même, « comme un grand », comme un dieu qu’il pensait pouvoir devenir. Mais il ne savait pas que la liberté en Dieu n’est pas indépendance et séparation mais au contraire en pleine harmonie avec la donation réciproque totale dans la plus grande distinction des personnes et des êtres qui n’empêche pas le plus grand amour, mais qui se réalise au contraire par cet amour.

    Les hommes qui croient tout connaître et tout savoir comme les voisins de Jésus à Nazareth n’arriveront jamais à comprendre, car ils restent figés dans leur connaissance terre à terre qui ne décollera jamais. Les hommes qui se laissent attirer tout de même par Jésus et par ses miracles n’iront pas bien loin non plus, ils sont « comme des brebis sans berger ». Pour la première fois des hommes se laissent entraîner tout de même dans l’aventure divine : ce sont les apôtres. Heureusement peut-être qu’ils n’ont pas trop compris au départ ce qui leur arrivait car ils auraient sans doute eu le vertige et se seraient bloqués. Mais cette relation avec Jésus qui les « appelle » et qui les « envoie » est déjà une entrée dans la dynamique de la Trinité. Dieu est venu pour nous appeler et pour nous envoyer à notre tour, comme ses représentants parmi les hommes. Il n’en faut pas plus pour que les apôtres aient déjà le pouvoir de faire eux-mêmes des miracles. Mais, à peine ils s’arrêtent un instant pour essayer de comprendre ce qui se passe et les voilà bloqués, pas beaucoup plus à l’aise que les habitants de Nazareth eux-mêmes. Ceux de Nazareth étaient « profondément choqués », les disciples étaient maintenant « bouleversés », « complètement bouleversés de stupeur, car ils n’avaient pas compris la signification du miracle des pains : leur cœur était aveuglé. » L’euphorie des premiers miracles réalisés par les apôtres n’aura pas duré bien longtemps. Les voilà pris à leur tour par une sorte de panique.

    Mais que veut dire « la signification du miracle des pains » ? Il ne s’agit évidemment pas d’une question simplement matérielle, il s’agit d’une relation nouvelle en train de s’établir entre la création déchue par le péché originel et Dieu qui vient préparer, dans son amour trinitaire, des cieux nouveaux et une terre nouvelle. Nous en sommes encore aux premiers pas. La route va être encore bien longue pour en arriver au dessein final de Dieu sur l’humanité et la création tout entière, mais le processus est enclenché et, en Dieu, il ne pourra plus s’arrêter.

    Là est sans doute le mot important : « s’arrêter ». En Dieu l’amour réciproque trinitaire ne peut jamais s’arrêter. Le seul qui peut arrêter cette dynamique de réciprocité c’est l’homme. Car l’homme est libre de se sentir fatigué, libre de ne pas avoir confiance, libre de refuser même cette dynamique nouvelle qui risque de changer toutes ses vieilles habitudes. Qu’allons-nous faire nous-mêmes ? Nous pouvons sans doute nous mettre à la place des apôtres et voir comment et où Dieu nous appelle et nous envoie. Ou bien nous pouvons être tout simplement ceux qui accueillent les apôtres et auprès de qui ils trouvent « l’hospitalité ». Quoi de plus beau que d’offrir l’hospitalité aux envoyés de Dieu ! Jésus a d’ailleurs des paroles terribles pour ceux qui vont refuser d’entrer dans cette nouvelle relation : « Si, dans une localité, on refuse de vous accueillir et de vous écouter, partez en secouant la poussière de vos pieds : ce sera pour eux un témoignage. »

    Etre, accueillir, donner ou se donner, ou bien refuser, disions-nous au départ de cette étude : ne sommes-nous pas déjà dans le vif du sujet ? Ne pensez-vous pas, comme moi, que nous avons bien de la chance de vivre aujourd’hui au XXIe siècle, à une époque où l’humanité a encore eu le temps de mûrir un peu plus, où l’Esprit Saint n’arrête pas de nous envoyer de nouveaux charismes qui nous permettent de comprendre toujours plus en profondeur cet amour de Jésus pour nous. Car, s’il en est un qui justement ne s’arrête jamais c’est bien l’Esprit Saint, esprit du Père et esprit du Fils, qui saisit sans relâche toutes les occasions de nous laisser pénétrer un peu plus chaque jour dans le mystère !

    Si on voulait maintenant relire ce chapitre une troisième fois, on n’arrêterait plus de trouver encore des détails et des détails pour confirmer notre découverte. L’homme est fait pour aimer, c’est à dire pour être lié à Dieu et à ses frères les hommes. Il n’est pas fait pour être tout seul, comme « des brebis sans berger » qui semblent vivre ensemble car elles sont en groupe, mais qui sont au fond d’elles-mêmes complètement perdues, complètement isolées, chacune seule dans la foule. L’homme est donc fait pour se laisser appeler par Dieu et se laisser envoyer en mission au milieu des hommes, toujours ensemble d’ailleurs avec les autres, jamais seul (« il les envoie deux par deux »). Jésus lui-même ne fait pas de miracles tout seul : « Quel est cette sagesse qui lui a été donnée, et ces grands miracles qui se réalisent par ses mains ? » Ici, au moins, les gens de Nazareth ont vu juste, Jésus n’est tout puissant que par son unité totale avec le Père qui lui donne la sagesse et qui réalise les miracles par ses mains.

    Et puis nous en arrivons aussi à la découverte du partage, autre aspect de l’amour réciproque: tout ce que l’homme va recevoir de Dieu ou de ses frères il va tout de suite le partager, comme les pains et les poissons. La communion spirituelle avec Dieu exige tout de suite une communion des biens, matérielle et spirituelle, la plus totale possible, au moins comme intention, comme disposition. Pourquoi Jésus demande-t-il aux apôtres « de ne rien emporter pour la route », « de n’avoir ni pain, ni sac, ni pièces de monnaie dans leur ceinture » ? C’est que s’ils se laissent prendre complètement par la logique de la réciprocité et du centuple en Dieu, jamais ils ne manqueront de rien. Dieu leur procurera le nécessaire au moment voulu. Vouloir posséder quelque chose, par précaution, par désir de sécurité, ce serait n’avoir rien compris, ce serait arrêter justement le processus enclenché par Dieu pour toujours et prendre du retard sans même avoir fait le premier pas. Logique impossible ? Le message est pourtant bien clair et nous n’en sommes encore qu’à la première partie de notre Evangile. Chaque page, chaque phrase vont devenir maintenant toujours plus passionnantes !

     

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    Perles de la Parole

     

    « Un prophète n’est méprisé que dans son pays, sa famille et sa propre maison. » (6, 4)

    C’est apparemment impossible à comprendre : les habitants de Nazareth ont vécu pendant presque trente ans (après le retour d’Egypte) avec Jésus, Dieu fait homme, et ils n’ont rien remarqué. Etaient-ils complètement aveugles ou bien Jésus a-t-il réussi à tellement bien cacher sa divinité ? Peut-être un peu des deux. Car au moins Marie et Joseph devaient comprendre quelque chose, mais ils le gardaient pour eux au fond de leur cœur. Ils savaient bien que c’était une réalité trop divine, trop délicate pour qu’ils osent y toucher. Ils faisaient seulement leur part de tout leur cœur en attendant de voir et de comprendre ce que Dieu allait faire. Car ils avaient au moins compris qu’il y avait le doigt de Dieu là-dedans, mais où, comment ?

    Avant de juger les pauvres habitants de Nazareth, essayons d’abord de nous mettre à leur place. La vie sur cette terre est déjà tellement difficile. Elle l’était peut-être plus encore à l’époque de Jésus où l’homme pouvait mourir pour un rien, où personne n’était à l’abri des puissants et de leurs caprices, comme ceux d’Hérode. Ils s’accrochaient donc aux peu de réalités qui leur donnaient un peu d’assurance : la famille, le clan, l’organisation sociale telle qu’elle était vécue jusqu’à ce jour, le travail, l’éducation, la nourriture... Tout était réglé le mieux possible. Déranger ces habitudes, fruit de siècles et de millénaires de lente évolution, n’était que le risque de tout gâcher en peu de temps. L’homme étant aussi doté d’intelligence, les gens avaient appris, de génération en génération, à donner un sens à leur vie, ils avaient acquis un certain nombre de connaissances qu’ils « possédaient ». Toute révolution dans ces habitudes et ces connaissances semblait évidemment suspecte : l’équilibre auquel l’humanité était arrivé jusque là était tellement fragile qu’on regardait de travers ceux qui, sous prétexte de nouveautés, provoquaient des catastrophes, comme ce qui s’était passé avec l’histoire des porcs qui s’étaient précipités dans le lac...

    Là est bien le piège : ces braves gens « possédaient » des connaissances, limitées sans doute mais tellement utiles pour vivre. Et voilà que Dieu allait leur demander de perdre ces connaissances. Tout est là. Nous-mêmes nous sommes forgés au cours des ans une foule de connaissances sur la vie, sur l’homme, sur les personnes que nous « connaissons », sur nous-mêmes. Et voilà que quelqu’un voudrait tout à coup tout changer ? Ce n’est pas raisonnable. Nous aussi tombons dans ce piège chaque jour. Essayons de nous demander seulement un peu si ce que nous pensons des autres et de nous-mêmes est une véritable connaissance, la lumière du regard de Dieu sur les personnes, les évènements ou les choses, ou bien un jugement global, fait de préjugés figés et impossibles à remuer qui fait de nous des malades de paralysie mentale, intellectuelle ou spirituelle. Nous avons compris dans ce chapitre que Dieu ne s’arrête jamais dans son amour, il renouvelle chaque instant son regard et notre regard. Si nous en restons aujourd’hui au regard d’hier, nous sommes déjà perdus, nous avons renoncé à nous laisser transformer par Lui et nous allons peu à peu paralyser tout ce qui se présente à nos yeux, à notre cœur, à notre connaissance. Combien y a-t-il à méditer là-dessus jusqu’à la fin de nos jours !

     

    « Quand vous avez trouvé l’hospitalité dans une maison, restez-y jusqu’à votre départ. » (6,10)

    L’hospitalité ! N’est-ce pas justement la plus belle façon d’accueillir l’autre, parent ou étranger, qui se présente à nous, qui nous demande de lui ouvrir au moins pour un moment notre porte ou notre cœur ? Nous sommes de nouveau en plein dans notre aventure d’accueillir et de donner.

    Mais là, soyons attentifs : c’est Dieu lui-même à travers les apôtres qui vient frapper chez nous. Si nous savons l’accueillir vraiment, voilà que Jésus nous dit qu’il va « rester », qu’il va « demeurer » chez nous. Dieu est fidèle : il nous laisse libres de l’accueillir ou non, mais une fois que nous lui avons ouvert véritablement notre porte, il ne va plus nous abandonner. N’est-ce pas là une consolation extraordinaire ? Dieu ne va plus mettre de conditions. Il se peut qu’aujourd’hui, je sois fatigué, je n’aie plus le courage d’aimer, je traite mal mes frères, Dieu ne va pas regarder à tout cela, il connaît ma bonne intention initiale, il va rester chez moi patiemment jusqu’à ce que je reprenne mes esprits. Il suffira de recommencer et tout continuera comme à l’instant où j’ai dit oui pour la première fois. Il n’y a pas de punition avec Dieu, pas de commerce dans le sens qu’il me donne si moi je donne. Non, Dieu donne toujours car il sait qu’au fond de moi je le désire de tout mon cœur, malgré mes moments de faiblesse.

    Reste à voir si, nous aussi, nous voulons traiter les autres comme Dieu nous traite. Si quelqu’un nous a ouvert toute grande sa porte il y a quelques jours et qu’aujourd’hui il semble avoir changé d’attitude, serons-nous capables de continuer à l’aimer sans rien attendre, sans rien prétendre, comme Dieu le fait ? Car le véritable amour est de se mettre d’accord avec cette présence de Dieu dans notre frère que nous avons un instant découverte, et ensuite de ne plus jamais lâcher cette présence, quelles que soient les apparences...

     

    « Ils partirent et proclamèrent qu’il fallait se convertir. » (6,12)

    Moi qui aime tellement les verbes, cœur et vie de la phrase, je suis tombé en extase devant cette petite phrase où ils n’y a pratiquement que des verbes. Quatre verbes et deux sujets. Le premier sujet ce sont les apôtres qui, au nom de Jésus, « partent » pour « proclamer » la Bonne Nouvelle. C’est toujours Jésus qui se donne à nous, directement ou à travers ces frères qu’il nous envoie. C’est Dieu qui se déplace pour nous et qui nous enseigne, nous explique son message d’amour.

    Le deuxième sujet, impersonnel, c’est simplement nous, le lecteur, chaque personne qui a commencé à cheminer avec Jésus. « Il faut » : il y a ici un devoir. Serait-ce que soudain nous ne sommes plus libres. Jésus veut nous obliger à faire quelque chose contre notre gré ? Jamais de la vie. Jésus nous donne ces « ordres » par amour, pour notre bien, car il sait que c’est nous qui le voulons. Il nous dit simplement : si tu veux être heureux, si tu veux me suivre, si tu veux vivre déjà le paradis sur terre, en attendant l’éternité, « il faut » que tu essayes de faire comme je vais te montrer.

    Mais ce qui est étonnant c’est qu’il nous demande au fond quelque chose qui devrait être tout simple : « nous convertir ». Ce verbe veut dire seulement changer de direction, se retourner, prendre la bonne route, ne pas continuer à aller du mauvais côté. Ce ne devrait pas être si difficile que cela de se retourner. Se retourner pour l’accueillir, pour l’écouter, pour le voir arriver chez nous. Un seul petit mouvement initial à recommencer chaque fois que nous avons un peu dévié. Le reste c’est Jésus qui le fera. Mais il a besoin que nous lui fassions signe que nous sommes là à l’attendre. Alors son amour n’aura plus de limites.

    « Venez à l’écart dans un endroit désert, et reposez-vous un peu. » (6,31) « Il s’en alla sur la montagne pour prier. » (6, 46)

    Oui, il y a toujours une part de solitude dans notre aventure avec le Christ et avec nos frères. Solitude bienvenue car elle est le moment où nous nous retrouvons seuls avec Dieu, en face de Lui, à l’écouter et à lui parler. C’est le moment où nous nous rappelons qui nous sommes, où nous prenons conscience un peu plus de ce don de la vie qui nous a été gratuitement octroyé, mais aussi de la responsabilité qui nous incombe de partager nos découvertes avec nos frères.

    Jésus lui-même, qui n’avait sans doute pas besoin de se retirer concrètement pour être avec son Père, nous donne l’exemple. Nous ne sommes pas des esprits désincarnés. Nous vivons dans le temps et dans l’espace. Une grande leçon que Jésus nous donne c’est d’apprendre à inventer le rythme de nos journées. Nous ne pouvons pas faire n’importe quoi comme cela vient, sans réfléchir. Même le fait de vouloir aimer sans fin nos frères dans le besoin, sans penser à nous, pourrait devenir déséquilibré, artificiel. La vie en Dieu et avec les frères a besoin de réflexion, d’organisation, de programmes. La spontanéité totale ne suffit pas. Est-ce que nous nous laissons prendre et manger par les évènements et les personnes toute la journée en pensant être généreux, ou bien nous gardons chaque jour, chaque semaine, chaque mois, ces espaces de temps où nous pouvons reprendre notre souffle, nous reposer, revoir un instant si nous sommes dans la bonne direction, demander à Dieu de reprendre le volant de notre conduite ? Quelle sagesse humaine et divine à la fois dans les paroles et l’attitude de Jésus !

    Une petite remarque tout de même : cette solitude ne veut pas dire que nous devons être physiquement seuls, sans personne autour de nous. Les apôtres se retirent ensemble en groupe. La spiritualité de communion « inventée » par Chiara Lubich nous rappelle que, dans la pleine unité avec nos frères, où Jésus est présent au milieu de nous, nous pouvons Le rencontrer face à face comme si nous étions seuls avec lui. Mieux encore, la « solitude » en unité, si l’on peut dire, est une garantie plus grande d’écouter vraiment la voix de Dieu en nous, car nous savons bien combien il est facile, seul avec Dieu dans la prière, de se laisser distraire par mille choses et de se parler finalement à soi-même dans un monologue égoïste, au lieu d’écouter vraiment ce que Dieu veut nous dire.

     

    « Confiance ! C’est moi ; n’ayez pas peur ! » (6, 50)

    Voyez-vous, comme moi, notre vision des quatre verbes qui réapparaît une fois de plus ? L’être ou plutôt l’Etre lui-même, c’est Jésus : « C’est moi » Ce Dieu qui s ‘est fait connaître autrefois : « Je suis celui qui suis ! » Essayons un instant de le contempler, de le laisser arriver en nous et de pénétrer à notre tour en Lui. Combien tout change d’un seul coup, tout devient plus serein, plus clair, plus lumineux !

    Et cette confiance, n’est-ce pas cet accueil que nous faisons à Jésus qui intervient soudain dans notre vie, cette confiance que nous lui donnons de tout notre cœur ? C’est alors que la peur s’en va, et la peur c’est justement refuser de se donner à Dieu, d’entrer dans sa dynamique, se bloquer sur soi-même.

    Il faudrait encore beaucoup parler de la peur. Même si nous n’aimons pas l’avouer, nous sommes, chacun de nous, remplis de peurs conscientes ou inconscientes, banales ou tragiques. La peur nous paralyse souvent, elle nous empêche d’aimer Dieu et le prochain. Cela devrait peut-être nous consoler, si nous pensons qu’en général ce n’est pas de notre faute si nous avons peur. Cela vient souvent de traumatismes de notre enfance, du souvenir d’évènements difficiles que nous avons vécus. Il est souvent difficile de raisonner la peur. On ne peut jamais juger quelqu’un pour une réaction négative due à la peur. Et souvent on ne peut pas affronter cette peur de face avec ses armes. C’est là que la confiance en Jésus va tout changer, non pas en combattant la peur, mais en nous faisant basculer d’un seul coup sur un autre plan où la peur n’existe plus. La peur nous surprendra toujours, mais Jésus aussi nous surprend, il faut apprendre à se laisser surprendre par ses apparitions. Jésus « est là », tout près de nous, prêt à intervenir à chaque nouvel évènement de notre vie. Essayons de nous laisser surprendre plus souvent par sa présence : nous n’aurons même plus tellement le temps d’avoir peur.

     

    « Ils n’avaient pas compris la signification du miracle des pains : leur cœur était aveuglé. » (6,52)

    « Ils n’avaient pas compris » : « leur cœur était aveuglé ». On voit qu’il s’agit ici d’une compréhension qui n’est pas seulement intellectuelle mais qui implique notre être tout entier, esprit et cœur. Mais ce qui est certain, c’est qu’il est important de comprendre. Il ne faut pas s’étonner peut-être si souvent nous ne comprenons pas, ou pas grand chose. Nous ne devons jamais juger quelqu’un parce qu’il n’a pas compris. Si l’on pense que les apôtres eux-mêmes n’avaient presque rien compris !

    Et pourtant il est important de comprendre, car c’est un talent que Dieu met à notre disposition et qui peut tout changer en nous et autour de nous. Ne pas en profiter serait une grave lacune, une négligence. Nous n’avons plus l’excuse d’être « aveugles » comme les disciples, car Jésus nous a envoyé l’Esprit Saint. Nous avons l’Eglise et l’Evangile et toutes les présences de Dieu répandues sur la terre. Alors il faut tout faire pour comprendre. Si nous n’y arrivons pas tout seuls, nous pouvons toujours chercher quelqu’un qui comprenne mieux que nous. Nous pouvons vivre avec la présence de Jésus au milieu de nous qui pourra nous éclairer, nous « expliquer les Ecritures », comme Jésus aux pèlerins d’Emmaüs. Alors inventons chaque jour quelque chose, secouons-nous, battons-nous, cherchons, mais ne restons pas les bras croisés à ne rien faire, sous prétexte que la vie est trop difficile à comprendre et que nous nous sommes résignés devant trop d’obstacles insurmontables... !

     


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  • Un autre témoin spécial de notre temps, dont la pensée et le cœur font respirer ceux qui s'approchent de lui et font espérer encore un peu plus qu'une humanité pacifiée n'est pas un rêve impossible.

    Tenzin Gyatso - 14th Dalai Lama 

    Il n’importe pas qu’un être soit croyant ou non : il est plus important qu’il soit bon.

    Jugez vos succès d’après ce que vous avez dû sacrifier pour les obtenir.

    Le malheur s’empare de chacun de nous parce que nous nous prenons pour le centre du monde, car nous avons la misérable conviction d’être seuls à souffrir l’insoutenable.

    L’apaisement réside en chacun de nous.

    C’est dans son cœur qu’il faut construire la paix.

    Le désarmement extérieur passe par le désarmement intérieur. Le seul vrai garant de la paix est en soi.

    La faculté  de se mettre dans la peau des autres et de réfléchir à la manière dont on agirait à leur place est très utile si on veut apprendre à aimer quelqu’un.

    Mettez-vous toujours à la place de l’autre. Renoncez un temps à vos opinions, à vos jugements afin de le comprendre. Bien des conflits peuvent ainsi être évités.

    Notre seul pouvoir véritable consiste à aider autrui.

    Je crois que la compassion est l’une des rares choses que nous pouvons pratiquer qui apporteront bonheur immédiat et à long terme à nos vies.

    Nous avons besoin les uns des autres. Nous sommes responsables les uns des autres.

    Si vous avez l’impression d’être trop petit pour changer quelque chose, essayez donc de dormir avec un moustique et vous verrez lequel des deux empêche l’autre de dormir.

    Etre conscient d’un seul de ses défauts est plus utile qu’être informé de mille travers chez quelqu’un d’autre.

    Parce que notre propre existence en tant qu’être humain dépend des autres ; notre besoin d’amour est son fondement même.

    Le respect mutuel est le fondement de la véritable harmonie.

    On s’intéresse à ses membres comme parties de son corps, pourquoi pas aux hommes comme parties de l’humanité ?

    Tenter de changer le monde en se transformant individuellement peut sembler difficile, mais c’est la seule façon.

    L’être humain pense au futur, au point d’oublier le présent, de sorte qu’il ne vit ni dans le présent, ni dans le futur. Finalement, il vit comme s’il n’allait jamais mourir et il meurt comme s’il n’avait jamais vécu.

    Ouvrez vos bras au changement, mais ne laissez pas s’envoler vos valeurs.

    Si vous n’êtes pas ouvert au changement, alors vous serez malheureux.

    Ce n’est pas le nombre de nos échecs qui déterminent notre réussite finale, mais notre capacité à en extraire de la sagesse, puis à passer à autre chose avec une énergie nouvelle.

    Ne craignez pas l’échec. Car l’échec est le précurseur de la réussite. Rien de grand ne s’est accompli sans échec.

    Tout est utile dans la mesure où vous savez saisir les occasions d’apprentissage qui se présentent à vous.

    La question n’est pas de savoir si « la vie a un sens » mais comment pourrais-je donner un sens à ma propre vie.

    Cultivons l’amour et la compassion, ces deux choses qui donnent véritablement un sens à la vie. Le reste est accessoire.

    Nous appartenons tous à la grande famille humaine.

    Dès lors que nous avons une motivation pure et sincère, tout le reste suit.

    Je garde la ferme conviction que la nature humaine est essentiellement bonne et compatissante. C’est là le trait dominant de l’humain.

    Il est important de percevoir combien votre propre bonheur est lié à celui des autres.

     


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  • Puisque nous sommes dans la rubrique « provocations », vous n’allez pas vous fâcher avec moi si je vous provoque un peu. On dit souvent que la liberté, c’est pouvoir faire ce qu’on veut. Pourquoi pas ? Ce n’est pas une si mauvaise définition. Quelquefois même ça marche. Mais, avouez quand même que, le plus souvent, cette liberté ne va pas bien loin. Il suffit que quelqu’un ait juste envie de faire le contraire de ce que je voulais et voilà mon projet à l’eau. Et puis il y a les circonstances de la vie quotidienne, les imprévus qui viennent souvent tout gâcher. Sans compter les limites de toutes sortes de temps et d’espace. Depuis les désirs tout simples de vouloir visiter un ami et d’apprendre qu’il est occupé, jusqu’aux rêves plus profonds de voyages ou de projets professionnels ou familiaux qui ne peuvent se réaliser...

    Alors nous ne sommes pas libres ? Ou bien nous le sommes un peu, ou de temps en temps seulement, si nous avons de la chance, si nous sommes nés sous une bonne étoile ? Nous sommes condamnés à vivre une vie à moitié ? Car il est difficile d’imaginer une vraie vie sans liberté. Sans dire quand même que nous sommes les esclaves des autres ou des circonstances, nous nous résignons souvent à une vie parfois intéressante, parfois triste ou ennuyeuse...

    Et pourtant ne sentons-nous pas qu’être homme cela veut dire être libre ? Les plus grands combats pour l’humanité, ceux d’un Gandhi ou d’un Nelson Mandela, dont nous avons déjà beaucoup parlé dans notre blog, étaient au départ des combats pour la liberté. Car l’homme sent un appel immense à ouvrir toujours plus de nouveaux horizons où il pourrait enfin s’épanouir et développer tous ses talents, satisfaire tous ses rêves, sinon les plus fous, du moins les plus naturels, ceux qui lui permettent vraiment de se réaliser. Tout cela serait finalement impossible ou presque ?

    C’est maintenant que je vais vous provoquer. Et si nous retournions complètement notre phrase ? Non pas « je fais ce que je veux », mais « je veux ce que je fais ». Un simple jeu de mots un peu stupide, qui ne correspond pas à la réalité ou qui est encore plus impossible à vivre que le premier ? Mais, avant de juger trop rapidement, vous avez essayé de vivre cette phrase à l’envers ?

    La liberté c’est finalement l’harmonie entre ce que je veux et ce que je fais. Quand il n’y a plus de contradiction entre les deux, je me sens libre, c’est évident. Alors commençons par vouloir faire ce qui est possible. Je n’ai pas l’argent pour faire un voyage au Japon, je ferai une excursion dans les montagnes de mon pays : pourquoi pas ? Je vais l’organiser de tout mon cœur, je vais y inviter mes meilleurs amis et je vais y passer des moments inoubliables. Je m’y sentirai libre et je ne penserai pas un seul instant qu’il y a des gens plus libres que moi parce qu’ils peuvent se payer un voyage au Japon.

    Là où cela devient plus compliqué c’est quand arrivent des obstacles ou des imprévus. Mais je vais prendre quelques exemples. Je suis à la mer et aujourd’hui elle est un peu agitée : n’est-ce pas amusant d’aller affronter les vagues qui déferlent, qui me jettent presque par terre sur le sable, si je ne fais pas attention, et qui me retournent dans tous les sens ? Jamais il ne me viendrait à l’idée de me plaindre parce qu’aujourd’hui les vagues sont trop fortes et qu’elles m’empêchent de marcher tranquillement sur la plage en toute liberté : cela fait partie du jeu, de l’amour de la nature. On pourrait reprendre des exemples à l’infini, des efforts inouïs qu’on est capable d’accomplir pour grimper au sommet d’une montagne, des heures que passe une maîtresse de maison à la cuisine, dans la chaleur du four, pour donner un peu de joie à ses invités, de la souffrance ou même de l’angoisse qui traverse l’artiste en train de créer une nouvelle œuvre qui va le rendre célèbre. Toutes ces difficultés prévues ou imprévues, avec les problèmes rencontrés et résolus en route, ces souffrances même acceptées à l’avance, c’est cela qui donne du piment à notre vie. Le sportif, la maîtresse de maison ou l’artiste se sentent complètement libres lorsqu’ils se donnent tout entiers à leur passion.

    Alors, finalement, ne pensez-vous pas que si nous considérons toute la vie comme une œuvre d’art, ou une randonnée sportive, avec beaucoup de problèmes imprévus à résoudre, beaucoup d’énergie à dépenser, beaucoup de belles surprises en cours de route, nous pourrions nous sentir libres quoi qu’il arrive. Et si les autres nous empêchent ? Mais vous ne croyez pas que Dieu qui est la liberté même, se sent moins libre de nous aimer si nous nous détournons de lui ? N’est-ce pas cela la liberté : être libre même devant les méchancetés des autres, leur ingratitude, leurs infidélités ? (Toutes chose négatives qui sont le plus souvent bien compensées d’ailleurs par tout ce que les autres aussi nous ont donné de tout leur cœur.) Et être libres devant nos propres peurs, nos défauts, nos limites, nos maladies ?

    Moi qui vis depuis plus de 40 ans au Moyen Orient au milieu de situations insoutenables de violence, de guerres ou d’injustices de toutes sortes, c’est bien moi qui ai décidé de rester ici pour partager ma vie avec ces amis et ces amies qui sont tellement formidables et qui souffrent tellement de se sentir abandonnés parfois par le monde entier. Je vous assure que je me sens libre chaque jour de continuer cette aventure qui a donné un sens à ma vie et tous les problèmes, les souffrances que j’endure avec mes amis sont comme les vagues qui déferlent sur la plage. Un jour j’ai décidé de vouloir ce que je fais. Je veux rester ici, je veux partager jusqu’au bout les joies et les problèmes de mes amis et je vous assure que je me sens libre, parce que je veux vraiment ce que je fais. Utopie ? Peut-être, rien ne vous empêche d’essayer, mais je suis sûr que vous avez sûrement déjà essayé. Ce n’est quand même pas moi qui ai inventé la liberté !


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