• [Suite des « perles de la Parole » du chapitre 10 de l’Evangile de Marc]

    « Laissez les enfants venir à moi. Ne les empêchez pas, car le royaume de Dieu est à ceux qui lui ressemblent. Amen, je vous les dis : celui qui n’accueille pas le royaume de Dieu à la manière d’un enfant n’y entrera pas. » (10,14-15)

    Il y a ici un autre verbe qui vient éclairer notre accueil : « laissez venir ». Accueillir l’autre, c’est le laisser venir, à ses conditions à lui, comme il est, quand il veut et comme il veut. Cela signifie une grande capacité de s’abandonner qui n’est pas tellement évidente au premier abord. Il suffit de penser au drame que vit notre monde d’aujourd’hui dans l’accueil des réfugiés de toutes sortes. Drame des réfugiés, bien sûr, mais drame même de ceux qui accueillent ces réfugiés et qui se sentent tout à coup tellement compliqués, remplis de peurs, absolument pas libres de « laisser venir » ces frères et sœurs en détresse comme ils en auraient besoin. C’est sans doute là qu’il faudrait refaire l’expérience d’être accueillis par Dieu, directement ou à travers nos frères, pour avoir la force et la joie d’accueillir à notre tour tous ceux que Dieu nous envoie. Beau et bon programme qui change la vie et la fait passer à un niveau tellement plus passionnant.


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  • [Nous continuons pour un peu de temps notre commentaire des « perles » du chapitre 10 de l’Evangile de Marc]

    « L’homme quittera son père et sa mère, il s’attachera à sa femme, et tous deux ne feront plus qu’un. Ainsi, ils ne sont plus deux, mais ils ne font qu’un. Donc, ce que Dieu a uni, que l’homme ne le sépare pas ! » (10,7-9)

    L’Evangile de Marc n’est certainement pas spécialiste de l’unité comme celui de Jean. Et pourtant, dans sa simplicité, il nous donne déjà l’essentiel. Nous désirons tous être « un » avec quelqu’un, ce doit être une libération de soi-même. Mais de quelle unité parle-t-on ? De deux êtres qui s’assemblent pour se posséder l’un l’autre ? De quelqu’un qui veut dominer son frère ou sa femme, en pensant l’aimer ? L’unité a bien des conditions. Il faut d’abord quitter son monde précédent (« son père et sa mère » et tout ce qui faisait jusqu’à présent nos certitudes). Car, pour être un avec quelqu’un, il faut accepter de sortir de notre monde connu pour entrer dans un monde que nous avons encore tout à découvrir et à accepter en même temps. Aventure qui demande beaucoup de confiance en l’autre et qui pose question : car si l’autre allait profiter de cette vulnérabilité dans laquelle je suis en train de me glisser ?

    Mais c’est là qu’intervient la garantie de Dieu. Il est inutile de penser s’unir à quelqu’un sans l’aide de Dieu, ce serait un piège qui risquerait de ne laisser à la fin que beaucoup d’amertume. Je ne veux pas dire par là que deux athées ne peuvent pas connaître la joie de l’unité, ce serait terrible. N’oublions pas que beaucoup d’athées, dans leur pauvreté spirituelle apparente, sont bien plus proches de Dieu qu’un croyant riche de la foi qu’il croit posséder. Mais c’est là un autre discours. Ce qui saute aux yeux, c’est que l’amour à deux (un amour qui ne serait pas ouvert sur un troisième élément qui peut être au fond toute l’humanité) est toujours dangereux, il se déséquilibre à la première occasion, tandis que l’amour avec Dieu au milieu de nous, à l’image de la présence de l’Esprit Saint entre Jésus et le Père, est toujours source de paix et d’équilibre.

    Mais tout cela a des conséquences. S’unir à quelqu’un au nom de Dieu est le début d’un pacte de fidélité qui durera pour toujours. Il y a bien sûr une grande différence entre l’unité d’un couple marié, ou l’amitié d’une simple communauté, ou de frères et sœurs en humanité. Ce qui est sûr, c’est que, quand on s’est engagé avec quelqu’un avec n’importe quel lien d’unité, ou d’amour, ou simplement d’amitié, on ne peut plus revenir en arrière, sous peine de blesser profondément l’autre et de se blesser soi-même. Tout cela parce que chacun est unique et ne peut être remplacé par personne. Je ne peux pas remplacer ma femme par une autre. Je ne peux pas même remplacer un ami par un autre, car Dieu, lorsqu’il s’est engagé avec moi, ne pourra jamais me dire que maintenant il m’abandonne pour un autre. Les circonstances de la vie peuvent parfois nous séparer, mais les relations entre les hommes ne sont pas comme celles avec les objets de la société de consommation : quand je suis fatigué, je jette… ! Il y a là une conversion totale à faire par rapport à la mentalité courante.


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  • [Pour commencer, une vue d’ensemble de ce chapitre merveilleux de l’Evangile selon Saint Marc. Et, dans les prochains jours, quelques « perles » de cette « Parole"]

    Un nouveau chapitre exceptionnel. Et pourtant, si on le lit un peu superficiellement, c’est vrai qu’il est fait de passages importants, bien connus, mais on peut se demander l’unité d’ensemble, la logique qui relie les différents morceaux. Mais voyez vous-mêmes. Jésus est bien sûr toujours le personnage central, avec encore un certain nombre de titres : Maître, Rabbouni, Fils de l’homme, Fils de David. La foule se presse toujours autour de Lui, mais il y a parmi elle les pharisiens qui essayent de le mettre à l’épreuve, les gens qui veulent lui faire toucher leurs enfants, le jeune homme riche qui veut comprendre un peu plus et Bartimée, le mendiant aveugle de Jéricho qui veut enfin voir. Et l’on voit surtout les disciples que Jésus continue à instruire, comme il peut.

    C’est encore notre clé de lecture des « quatre verbes » (être, accueillir, donner et refuser) qui va nous aider à relier ensemble tous les épisodes. L’être de Jésus qui continue à accueillir et à se donner en nous faisant entrer avec Lui dans sa dynamique céleste. Mais l’on peut être étonné dans ce chapitre de voir l’importance du refus. C’est la première clé de lecture que je voudrais vous proposer. Nous avons déjà dit auparavant que ce refus est d’abord le signe de la liberté de l’homme qui n’est pas obligé d’accepter Dieu comme un robot. Et l’on voit ici bien des refus qui s’accumulent de manière impressionnante. Les pharisiens pour commencer, qui mettent Jésus à l’épreuve, en essayant de lui poser des questions qui puissent le prendre au piège, pour pouvoir ensuite l’accuser : « Est-il permis à un mari de renvoyer sa femme ? » Avec, en toile de fond, la méchanceté de ces hommes de tous les temps qui refusent justement d’être fidèles à leur femme.

    Puis on trouve le refus, un peu superficiel, des disciples qui ne veulent pas déranger Jésus et qui écartent les enfants qu’on essaye de lui présenter, ou bien les gens de la foule qui veulent faire taire le pauvre Bartimée qui crie : « Fils de David, aie pitié de moi ! » Et puis le refus, déjà bien plus grave, du jeune homme riche qui ne veut pas vendre ses biens pour suivre Jésus et qui fera dire à Jésus : « Comme il sera difficile à ceux qui possèdent des richesses d’entrer dans le royaume de Dieu. »

    Mais tout cela n’est rien à côté de qui va arriver à Jésus dans quelque temps, comme il l’annonce pour la troisième fois à ses disciples : « Voici que nous montons à Jérusalem. Le Fils de l’homme sera livré au chef des prêtres et aux scribes, ils le condamneront à mort, ils le livreront aux païens, ils se moqueront de lui, ils cracheront sur lui, ils le flagelleront et le tueront, et trois jours après, il ressuscitera. » C’est encore plus clair et plus terrible que lors des précédentes annonces.

    Jésus est donc constamment entouré de refus, refus de l’égoïsme de l’homme, refus parfois superficiels, mais aussi refus qui sont la marque d’un mal immense au cœur de l’homme, capable de tuer ce Dieu qui est venu lui donner sa vie. Mystère de l’homme et mystère du mal.

    Tant qu’il le peut, lorsqu’on l’écoute au moins un peu, il va essayer de refuser lui aussi ces attitudes insensées. Il va se fâcher contre ses apôtres qui veulent l’empêcher de toucher les enfants. Il demande à la foule de lui amener le pauvre aveugle. Il rappelle au jeune homme riche les commandements de la loi, qui sont encore des refus du mal : « Tu connais les commandements : ne commets pas de meurtre, ne commets pas d’adultère, ne commets pas de vol, ne porte pas de faux témoignage, ne fais de tort à personne, honore ton père et ta mère. » Seul le dernier commandement est positif. Puis Jésus va essayer de redresser les idées bizarres de Jacques et Jean : « Accorde-nous de siéger, l’un à ta droite et l’autre à ta gauche, dans ta gloire. »

    Mais, en fin de compte, Jésus ne pourra pas faire grand-chose. Il va bientôt être balayé par cette avalanche de mal qui, dès sa première apparition, a décidé de le faire périr. Et c’est là que s’ouvre une spirale extraordinaire que personne n’aurait pu imaginer. Jésus ne va même plus s’opposer à la violence de son ennemi, il va finalement l’accepter, l’ « accueillir », se laisser faire. Deux images étonnantes vont nous éclairer à ce point crucial. A Jacques et Jean, qui n’ont rien compris encore, Jésus va répondre par cette phrase mystérieuse : « Vous ne savez pas ce que vous demandez. Pouvez-vous boire à la coupe que je vais boire, recevoir le baptême dans lequel je vais être plongé ? » Voilà que toute cette persécution terrible, cette cruauté gratuite, inimaginable, Jésus l’appelle une « coupe » et un « baptême » ! Une coupe, c’est le symbole de la communion avec Dieu, de la communion eucharistique qui va bientôt avoir lieu. Le baptême, c’est ce passage de purification nécessaire pour entrer dans la vie de Dieu. Nous sommes tellement habitués désormais à ce vocabulaire qu’il ne nous touche presque plus, comme si tout était normal, mais comment ces mots devaient-ils résonner à l’oreille des disciples ? Ce n’était pas incompréhensible, presque scandaleux ? Et pourtant c’est ainsi que Jésus voyait les choses et qu’il les exprimait. Mystère du mal et mystère de la victoire sur le mal, par le passage de la croix vers la résurrection. Nous y reviendrons encore…

    Quand tout cela est clair et accepté, dans la mesure du possible et de nos limites et faiblesses humaines, on peut recommencer à cheminer avec Jésus dans sa dynamique trinitaire : accueillir et donner, se donner, pour « être » avec les Trois, ici déjà sur terre, anticipation du paradis qui nous attend pour toujours. On se remet donc à accueillir avec Jésus ces enfants dont les disciples n’avaient pas encore compris l’importance. « Laissez les enfants venir à moi. Ne les empêchez pas, car le royaume de Dieu est à ceux qui leur ressemblent. Amen, je vous le dis : celui qui n’accueille pas le royaume de Dieu à la manière d’un enfant n’y entrera pas. » En accueillant un seul de ces petits que sont les enfants, mais aussi n’importe lequel de nos frères, nous entrons dans le royaume de Dieu !

    Et c’est le même accueil pour le jeune homme riche. Jésus avait embrassé les enfants en les bénissant. Maintenant le voilà qui pose son regard sur ce nouveau frère qui s’approche. « Jésus se mit à l’aimer. » Jésus aime toujours, sans condition. Il a sans doute compris dès le premier abord que le jeune homme riche ne va pas être capable de répondre à son appel, mais il l’aime. Jésus ne peut qu’aimer et nous accepter tels que nous sommes, dans notre liberté. Et comme devait être spécial son regard qui se posait sur chacun, tour à tour, avec l’intensité de l’amour de Dieu !

    Accueillir et donner, continuons-nous à dire. Mais il y a ici un problème, un passage qui ne va pas se faire tout seul. En Dieu tout doit être si simple. Les Trois personnes de la Trinité ne savent pas faire autre chose que de répondre éternellement chacun à l’amour de l’autre qui se donne à eux et qui les accueille. Nous aussi, nous sommes appelés à cette dynamique du paradis. Mais que se passe-t-il ? S’il peut sembler simple et beau d’accueillir, de recevoir dans la joie un tel cadeau qu’on nous présente, la suite n’est pas évidente. C’est ici que notre cœur, notre intelligence et tout notre être se trouvent devant un choix tellement délicat qu’il peut conditionner pour le bien ou le mal toute notre vie. Mais c’est un choix qu’heureusement on peut renouveler à chaque instant jusqu’au moment de notre mort. C’est le choix de redonner tout de suite le don que nous venons de recevoir, le donner à Dieu et à nos frères pour qu’eux aussi continuent à l’accueillir et à le donner, dans cette chaine d’amour infini.

    C’est là que la tentation est énorme de s’arrêter un instant ou peut-être beaucoup plus encore sur ce don qui nous a été fait, pour le conserver au moins un moment pour nous, pour le « posséder » égoïstement pour nous-mêmes, en oubliant ou en refusant même d’en faire profiter nos frères qui attendent. La chaine d’amour infini est tout à coup rompue avec tout son enchantement, nous avons détourné le don de Dieu, comme on détourne un avion de sa destination prévue, et alors tout peut arriver…

    Jésus nous propose déjà sur terre de goûter au paradis. Ce paradis qui est représenté au début du chapitre par l’amour de l’homme et de la femme qui, unis en Dieu, ne font déjà plus qu’un. Mais pour vivre cette unité, il faut de nouveau passer par un refus, ce « refus » qui ne nous abandonnera jamais tant que nous sommes sur cette terre. Mais cette fois-ci, c’est un refus positif, c’est simplement la renonciation à soi-même, pour aimer Dieu et le frère. Ce renoncement est la condition nécessaire et indispensable pour « entrer » dans le royaume de Dieu dès maintenant. Et quelle différence de vocabulaire entre la mentalité du jeune homme riche qui demande à Dieu comment faire pour « avoir en héritage » la vie éternelle et celle de Jésus qui nous parle simplement d’ « entrer » dans le royaume de Dieu. Il utilise ce mot « entrer » à plusieurs reprises, tellement ce verbe est important pour lui. Car, en Dieu, l’amour est éternellement en mouvement, alors que la possession est horriblement statique. Posséder, c’est s’arrêter sur ses richesses en croyant ainsi être heureux, alors qu’aimer c’est sortir pour entrer dans le cœur de Dieu et de l’autre. C’est là toute la différence, mais elle est énorme, comme entre le jour et la nuit.

    Si l’on veut entrer dans l’autre, il faut sortir, sortir de soi-même et de ses possessions. C’est lorsque Jésus est sorti de l’eau de son baptême que le ciel s’est ouvert au-dessus de sa tête comme nous l’avons vu dès la première page de notre Evangile. Sortir, renoncer, cela voudra dire aussi « quitter », quitter ses biens et même des êtres chers pour répondre à l’appel de Dieu. Et c’est là une des nouveautés de ce chapitre exceptionnel. Cela n’a rien à voir avec cet homme méchant qui veut quitter sa femme et la répudier pour en choisir une autre par égoïsme. Non, il s’agit maintenant de quitter quelqu’un ou quelque chose pour suivre Dieu. « Pierre se mit à dire à Jésus : ‘Voilà que nous avons tout quitté pour te suivre’. Jésus leur déclara : ‘Amen, je vous le dis : personne n’aura quitté, à cause de moi et de l’Evangile, une maison, des frères, des sœurs, une mère, un père, des enfants ou une terre, sans qu’il reçoive, en ce temps déjà, le centuple : maisons, frères, sœurs, mères, enfants et terres, avec des persécutions, et, dans le monde à venir, la vie éternelle.’ »

    Quelle merveilleuse description ! On se croirait déjà au paradis. Heureusement que le mot « persécutions » est là pour nous rappeler que nous sommes encore sur cette terre. Mais ce sont tout de même des persécutions, comme nous venons de le voir, qui elles aussi vont nous porter à la résurrection. A partir de là tout devient logique. La prétention de Jacques et Jean de siéger à la droite et à la gauche de Jésus dans son royaume devient soudain complètement ridicule. C’est que, dans le royaume de Dieu, il n’y a pas de places plus importantes que d’autres, il n’y a pas de premiers ni de derniers. Ou plutôt, dans la dynamique de l’amour, chacun va se considérer comme le « dernier » de l’autre et l’autre va aussitôt le considérer comme « premier » par rapport à lui, dans la réciprocité. C’est le sens du discours de Jésus, qui a encore bien du mal à se faire comprendre des disciples, tellement la mentalité humaine des fausses grandeurs est ancrée en eux, comme elle est ancrée en chacun de nous.

    « Vous le savez : ceux que l’on regarde comme chefs des nations païennes commandent en maîtres ; les grands leur font sentir leur pouvoir. Parmi vous, il ne doit pas en être ainsi. Celui qui veut devenir grand sera votre serviteur. Celui qui veut être le premier sera l’esclave de tous : car le Fils de l’homme n’est pas venu pour être servi, mais pour servir, et donner sa vie en rançon pour la multitude. » C’est la logique des béatitudes. Une libération, une dépossession de tous ces liens qui nous empêchent d’être disponibles à l’appel de Dieu.

    Nous sommes finalement tous un peu comme Bartimée, ce pauvre mendiant aveugle, probablement méprisé et rejeté de tous, que la foule ne veut même pas aider à rencontrer Jésus, mais qui ressent déjà en son cœur l’appel de Jésus à être libéré. Un épisode qui clôt notre chapitre en nous faisant respirer par cette insistance sur la foi et la confiance dans l’appel de Dieu, auquel nous pouvons répondre simplement à chaque instant de notre vie, sans trop réfléchir à toutes les « persécutions » terribles qui peut-être nous attendent, mais que Dieu nous donnera la grâce de supporter en temps voulu. « … Bartimée, le fils de Timée, était assis au bord de la route. Apprenant que c’était Jésus de Nazareth, il se mit à crier : ‘Jésus, Fils de David, aie pitié de moi !’ Beaucoup de gens l’interpellaient vivement pour le faire taire, mais il criait de plus belle : ‘Fils de David, aie pitié de moi !’ Jésus s’arrête et dit : ‘Appelez-le.’ On appelle donc l’aveugle et on lui dit : ‘confiance, lève-toi ; il t’appelle.’ L’aveugle jeta son manteau, bondit et courut vers Jésus. Jésus lui dit : ‘Que veux-tu que je fasse pour toi ?’ ‘Rabbouni, que je voie.’ Et Jésus lui dit : ‘Va, ta foi t’a sauvé !’  Aussitôt l’homme se mit à voir et il suivait Jésus sur la route. »

    Que dire devant ce tourbillon de pensées et d’évènements à couper le souffle ? Notre pauvre humanité blessée et fragile est-elle capable de résister à un tel choc ? Le jeune homme riche, qui était plein de bonne volonté au départ, est devenu « sombre » et s’en est allé « tout triste ». Les disciples eux-mêmes étaient, tour à tour « stupéfaits », « déconcertés », « il est difficile d’entrer dans le royaume de Dieu ! Il est plus facile à un chameau de passer par le trou d’une aiguille qu’à un riche d’entrer dans le royaume de Dieu. » Et « les disciples se demandaient entre eux : ‘Mais alors qui peut être sauvé ?’ » Bonne question, car nous sommes tous plus ou moins « riches », de nos possessions et de nous-mêmes. Mais « Jésus les regarde et répond : ‘Pour les hommes, cela est impossible, mais pas pour Dieu, car tout est possible à Dieu.’ » Mystère de ce Dieu, trop grand pour nous et qui est pourtant descendu pour nous sur terre, dans son amour infini.

     

     

     


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  • Dans le site www.humanite-biodiversite.fr (catégorie éthique-philosophie-art), on peut trouver un article étonnant de l’académicien Michel Serres, que j’ai voulu reprendre dans ma rubrique « Provocations ». Michel Serres dit tout simplement que « nous vivons des temps de paix ». Il a au moins l’honnêteté de dire que cette affirmation est le point de vue d’un Européen : « En regard de ce que j’ai vécu durant le premier tiers de ma vie, nous vivons des temps de paix. J’oserai même dire que l’Europe occidentale vit une époque paradisiaque. »

    Statistiques à l’appui, il prouve son raisonnement. Les millions de morts de la seconde guerre mondiale, les bombes atomiques d’Hiroshima e Nagasaki, les massacres d’Hitler ou de Staline, ont évidemment causé plus de morts que les conflits actuels.

    Mais pourquoi en Europe cette peur terrible du terrorisme « qui est pourtant la dernière cause de mortalité dans le monde » ? C’est, nous dit Michel Serres, « parce que nous vivons dans un îlot de paix, à l'abri des grands conflits, que nous sommes hypersensibles au moindre frémissement de tragique, à la moindre déflagration de violence. » Jusque-là cela peut sembler un raisonnement logique.

    Mais de quelle paix parle-t-il ? Se rend-il compte que la paix artificielle de l’Occident et son bien-être actuels ne sont possibles que grâce à l’exploitation sauvage de l’Afrique et de bien d’autres pays du monde ou à la vente irresponsable d’armes à un grand nombre de pays comme ceux du Moyen Orient ? Ne voit-il pas que c’est cette politique d’injustice systématique et éhontée qui continue à produire des conflits, des guerres, des génocides et du terrorisme, qui, bien évidemment, font trembler maintenant le monde entier, car personne n’est plus à l’abri des retombées de ces catastrophes ?

    Notre cher académicien a-t-il un peu l’idée de ce que vivent en ce moment les peuples de Lybie, du Sud Soudan, du Congo, de Syrie, d’Irak ou du Yémen ? Un Européen peut-il se croire au paradis quand ses frères vivent dans la détresse quotidienne, sans plus aucun espoir pour l’avenir, et se jettent à la mer malgré les risques, préférant une mort possible à l’enfer auquel ils ne savent plus comment échapper ?

    Quand l’Europe et l’Occident se réveilleront-ils et comprendront-ils que la paix de demain ne sera possible que si on lui donne aujourd’hui des fondements solides et durables ? Sinon ce ne sera qu’un peu de poudre aux yeux passagère et les générations futures nous maudiront de leur avoir laissé en héritage un monde apparemment brillant mais rempli de mensonges. Moi qui suis européen, mais qui vis au Moyen Orient depuis 45 ans, je n’arrive plus à comprendre.

     


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  • Il y a quelques jours, j’ai accompagné un ami dans un camp de réfugiés au nord du Liban. Il y connaissait un volontaire étranger qui vit là-bas sous une tente et qui partage entièrement les conditions de vie extrêmement précaires de ces personnes démunies.

    Jamais je ne me serais attendu à un tel accueil. Les deux familles que nous avons visitées avec ce volontaire nous ont reçus comme si nous étions leurs plus proches parents. Nous avons passé avec eux quelques heures inoubliables. Je ne sais d’ailleurs pas comment, dans la pauvreté qui est la leur, ils ont réussi à nous préparer un repas somptueux où rien ne manquait. Mais ce qui était le plus touchant, à faire venir les larmes aux yeux, c’était la qualité profonde de notre partage. Des gens qui avaient presque tout perdu, même des êtres chers, et qui nous parlaient pourtant avec une grande dignité, sans presque se plaindre, sans même montrer de haine pour ceux qui avaient été la cause de tous leurs malheurs. Des gens qui, malgré tout, conservaient encore de l’espoir dans le cœur, et qui, au moins entre eux, avaient une relation merveilleuse, pleine d’attentions délicates : peut-être au fond le seul trésor qui leur restait.

    Sur le chemin du retour, je ne sais au fond pas pourquoi, j’ai tenu à dire à mon ami que cette visite avait été très belle, mais que nous avions tout de même pris des risques à venir dans cette zone connue pour être particulièrement sensible. Et là, mon ami a mal réagi, je l’ai vu devenir tout à coup tout triste. J’ai compris que j’avais tout gâché. Comme s’il ne savait pas lui-même que cette zone était dangereuse. Et alors ? Quelle disproportion entre ce risque minime que nous avions pris et la joie que nous avions donnée à ces frères et sœurs dans la détresse, qui ne voulaient plus nous laisser partir et qui nous embrassaient à la fin comme des membres de leur propre famille, alors que le matin même nous ne nous étions jamais rencontrés.

    Cela a été pour moi une leçon de vie que je n’arrête plus de méditer chaque jour. J’ai compris que j’avais en quelque sorte coupé les ailes de mon ami. Lui qui voulait de tout son cœur donner un peu de sa vie à ces gens-là, je voulais l’en empêcher. Et, depuis lors, je me suis mis à revoir tous les épisodes de ma vie ou des amis proches bien intentionnés, ou des parents, avaient tout fait eux aussi pour m’empêcher d’aimer, soi-disant pour me protéger.

    Nous avons une seule vie et, au lieu de la donner de tout notre cœur, pour qu’elle serve au moins à quelque chose, nous nous aidons à l’ensevelir sous terre pour qu’elle ne prenne pas de risque. Et notre vie pourrit dans sa prison sans donner de fruit. Nous avons des ailes pour voler et nous nous aidons les uns les autres à rester bien sagement à l’intérieur de la cage que nous nous sommes nous-mêmes inventée. Nous sommes nés pour aimer, nous avons le droit d’aimer et nous le refusons non seulement aux personnes qui nous sont étrangères, mais même aux êtres les plus proches, sous prétexte de les tenir à l’abri. Nous confondons la paix avec le sentiment de sécurité.

    Je ne pense pas que le droit d’aimer fasse partie de la liste officielle des droits de l’homme, comme le droit à la nourriture ou à l’éducation, car aimer est un concept sans doute trop vague, trop difficile à discerner. Et pourtant ce devrait être le premier de nos droits. Pour donner un sens à notre vie. Pour que, le jour de notre mort, on ne soit pas surpris qu’il n’y ait pas besoin de nous enterrer, parce que nous étions déjà sous terre depuis longtemps !

     


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