• Arrêtons de nous juger

    Je voudrais aujourd’hui vous ouvrir mon cœur sur une difficulté que je ressens à certains moments et qui me fait très mal. La situation au Liban est vraiment catastrophique et, une fois passé le premier impact de ce choc que personne n’aurait jamais pu prévoir, le moment est venu de panser les plaies physiques ou morales de pratiquement tout le peuple libanais. Dans une période où, en plus, nous ne pouvons pas nous réunir à cause du coronavirus, nous pouvons seulement faire quelques visites rapides et passer le plus clair de notre journée au téléphone, à s’écouter les uns les autres et à essayer de se redonner réciproquement courage, à trouver des solutions concrètes pour une foule de problèmes qui nous submergent tout à coup et qui nous laissent avec un grand sentiment d’impuissance, car il ne s’agit pas seulement de questions d’argent, mais de l’âme et de l’avenir de tout un peuple.

    Au milieu de tout cela, je vous avoue que je suis édifié par le courage de la plupart des amis que j’ai pu entendre. Je suis ému d’écouter leurs histoires et leur immense désir de continuer à vivre malgré tout, de leur esprit concret et héroïque de famille et de solidarité. C’est dans ce contexte que ceux qui, comme moi peut-être, sentent encore la paix ou l’espoir dans leur cœur, ont la mission et le devoir de n’abandonner personne tout seul à son désespoir. Cela provoque des conversations émouvantes, pathétiques au téléphone, où l’on a d’abord les larmes aux yeux et où, peu à peu, on se donne mutuellement courage.

    Mais ce qui m’a choqué dans tout cela, c’est que certaines personnes sont tellement désespérées qu’elles n’acceptent même plus qu’on leur parle d’une lueur à l’horizon, parce qu’elles croient que nous sommes en train de les juger. Elles pensent que nous, qui espérons encore, nous nous sentons meilleurs qu’elles et que nous pensons qu’elles sont des personnes mauvaises ou incapables, parce qu’elles n’arrivent pas à dépasser leur souffrance.

    Mais comment peut-on avoir des pensées pareilles ? Comment moi, qui suis arrivé au Liban il y a presque 50 ans, qui ai vécu déjà la guerre de 16 ans qui a commencé à détruire le pays de fond en comble, qui ai partagé pendant si longtemps les souffrances et les joies de mes amis, de mes frères et sœurs libanais, je pourrais me permettre un instant de penser que telle personne ne vaut rien parce qu’elle n’arrive pas à se relever de sa souffrance ? Ce serait mieux que je retourne dans mon pays et que je me résigne pour toujours à ne plus m’occuper de l’humanité.

    Mais non, vous voulez que je vous dise quelle est peut-être la cause principale de ces réactions douloureuses ? Vous allez vous scandaliser, mais je ne peux pas me taire. C’est la faute d’une grande partie de nos responsables d’Eglise qui ont déformé depuis des siècles le message de l’Evangile, qui ont transformé les paroles de Jésus en une morale pour juger les gens. Une morale où chacun essayait tout seul de parvenir à je ne sais quelle sainteté personnelle, du haut de laquelle on se permettait de juger et de mépriser « ces pauvres gens » qui n’avaient rien compris au christianisme, comme les pharisiens de l’époque de Jésus.

    Mais Jésus n’est pas venu pour juger, il est venu pour sauver, l’Evangile est tellement clair là-dessus. Alors, si je vois un frère ou une sœur qui souffre tellement qu’il a perdu l’espoir, qui suis-je pour lui mettre une étiquette dessus en pensant par exemple que c’est un mauvais chrétien parce qu’il a des idées noires au lieu de croire à la résurrection ? Non, la seule chose que j’ai à faire dans des cas pareils, c’est de donner ma vie, par tous les moyens, de donner mon temps pour commencer, mes forces, mon esprit et mon cœur pour toutes ces personnes angoissées, afin qu’elles aient la force d’avancer de nouveau vers la lumière qui se trouve au bout du tunnel.

    Finissons-en avec ces jugements les uns contre les autres. Surtout que personne ne sera jamais meilleur que les autres tout seul, ce serait un piège maléfique. Nous serons « meilleurs » seulement tous ensemble. Le peuple libanais retrouvera le sourire le jour où au moins une grande partie d’entre nous aura eu le courage de vivre cet amour réciproque qui est la seule solution à tous les problèmes, et non pas les fausses promesses des puissants de ce monde qui ne savent plus ce qu’ils disent et ce qu’ils font.


  • Commentaires

    1
    Hayat Fallah
    Mercredi 19 Août 2020 à 00:23
    Oh oui ! L'amour réciproque ouvre les voies de l'espoir, de la vie, du bien...
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