• L'enfer, c'est les autres? (2)

    Je repars de la conclusion de mon article précédent et je vais essayer maintenant de m’expliquer. Je disais, il y a deux jours : « Ce qui est sûr aussi c’est que l’autre sera pour moi toujours une sorte de surprise, comme moi-même je serai pour lui toujours imprévisible. Et c’est là que tout va se jouer, si la surprise de l’autre devient pour moi un enfer ou un paradis ou si moi-même je parviens à transformer l’enfer de l’autre ou son paradis en une nouvelle réalité qui va nous surprendre tous les deux… »

    La première vérité, bien évidente, c’est que l’autre m’échappera toujours quelque part, comme moi-même je lui échapperai. C’est en un sens une chance et une bénédiction, puisque jamais je ne pourrai enfermer ou posséder l’autre et jamais l’autre ne pourra faire de moi ce qu’il veut, même si l’homme est tellement tordu quelquefois qu’il essaye quand même de mettre l’autre dans sa propre prison. Mais d’un autre côté c’est aussi un défi continuel, une sorte de souffrance perpétuelle, parce que nous ne serons jamais définitivement tranquilles dans notre relation avec les autres. Et c’est certainement cela qui fait la beauté de la vie : imaginons que l’autre et moi-même soyons chaque jour toujours les mêmes ou toujours correspondants aux attentes du jour précédent, quel ennui et quelle monotonie cela serait !

    L’autre va donc être pour moi cette surprise qui va me faire sentir tout à coup en enfer ou au paradis. Et c’est là qu’intervient surtout, comme nous le disions plus tôt, la dimension de l’amitié ou de l’amour. Si cette surprise est désagréable, si j’ai donné à l’autre toute ma confiance et que je me sens tout à coup trahi, je vais certainement me sentir en enfer, ou au moins au purgatoire. Mais si l’autre, à qui je me suis donné de tout mon cœur, invente aujourd’hui, en pleine réciprocité, un nouveau cadeau de lui-même que je n’aurais jamais imaginé, où il touche les cordes de mon cœur les plus sensibles comme seul lui ou elle sait le faire, alors je vais me sentir emporté au paradis pour toujours… même si je m’apercevrai bien vite que nous sommes encore sur cette terre et que ce paradis est à réinventer chaque jour.

     

    Mais c’est ici qu’intervient un élément encore plus profond et plus beau. Ma relation avec l’autre n’est pas simplement l’addition de mon moi ajouté banalement à celui de l’autre, ce qui voudrait dire seulement : un plus un = deux. Je vais découvrir peu à peu que la relation à l’autre est elle-même un mystère qui nous dépasse tous les deux et qui nous empêche d’être en fin de compte conditionnés réciproquement par la liberté et la volonté de l’autre. Je peux en effet, de multiples manières, transformer la réaction de l’autre qui me semblait terrible au départ, en un nouveau paradis qui va faire se réjouir l’autre en même temps que moi-même. C’est l’expérience du pardon, par exemple, qui va m’unir à l’autre bien plus que nous étions unis au départ, car le ciel bleu est encore plus bleu et plus limpide après la tempête. La beauté de la vie est quelque part cette liberté infinie que j’ai au fond de moi-même de faire de toute relation un paradis… comme un enfer. C’est la grandeur de l’humanité tout entière qui dépasse de tellement loin tous nos petits calculs, nos pauvres peurs ou appréhensions, et qui nous ouvre chaque jour sur des horizons immenses que jamais la veille nous n’aurions imaginés. Mais ce qui est sûr c’est que l’autre sera toujours un passage obligé vers ces nouveaux horizons, passage parfois tellement étroit, mais en même temps libération totale de ce moi qui pourrait être en réalité bien plus dangereux que l’autre ne peut l’être pour moi-même. De quoi vraiment avoir le vertige, mais un beau vertige !


    Tags Tags : , , , , , , , , , , , , , , , ,
  • Commentaires

    Aucun commentaire pour le moment

    Suivre le flux RSS des commentaires


    Ajouter un commentaire

    Nom / Pseudo :

    E-mail (facultatif) :

    Site Web (facultatif) :

    Commentaire :