• Les dangers de la miséricorde

    Le Pape François a lancé cette année une « année de la miséricorde ». Nos amis musulmans se réfèrent toujours à Dieu comme étant « clément et miséricordieux ». On parle beaucoup de miséricorde et de pardon ces temps-ci, qui sont souvent des temps de conflits, de guerres et d’injustices de toutes sortes.

    Mais pourquoi la miséricorde semble-t-elle si belle et si importante et est-elle au fond si difficile à vivre, au point que la plupart des gens la considèrent comme impossible ou utopique, sinon même négative ?

    C’est que la miséricorde est une arme et une arme extrêmement puissante, avec un effet extraordinaire quand on sait s’en servir, mais si on l’utilise de travers elle peut blesser, manquer son but et se retourner même contre celui qui s’en sert.

    Car la miséricorde a une fonction extrêmement délicate. Elle pénètre dans les recoins les plus sensibles de l’homme, là où l’on ressent des blessures profondes, là où ces blessures ne sont pas encore cicatrisées. Et il est évident que toucher à tout ce qui fait mal, en nous et chez l’autre, peut avoir des conséquences encore plus négatives que la blessure elle-même.

    Alors je crois qu’il faut reprendre un ou deux principes de base qui permettent d’éviter tous ces dangers et ces déformations. D’abord la miséricorde ne pose pas de conditions et n’attend rien en retour. Lorsque je pardonne à quelqu’un et que je le lui fais savoir bien clairement, que je n’ai plus rien contre lui, c’est une décision définitive que je prends en toute conscience au fond de mon cœur et que je ne vais jamais regretter, même si l’autre continue à me rejeter et à me faire du mal. Je pardonne pour moi, avant de pardonner pour l’autre. Il existe d’ailleurs des formes de thérapies, de guérison au niveau psychologique, par le pardon et la miséricorde.

    Lorsque je fais le pas de pardonner à celui qui m’a fait du mal, ou qui a fait du mal à ceux qui me sont chers, c’est un mur à l’intérieur de moi qui s’écroule, avec une véritable libération et c’est moi qui y gagne en premier, avant même de savoir si celui à qui j’ai pardonné va changer lui aussi d’attitude envers moi.

    La miséricorde est donc totale et irréversible, sinon elle va devenir pour moi une véritable torture morale, avec des regrets, des scrupules, des peurs, des angoisses et il aurait peut-être mieux valu ne pas l’utiliser. Alors n’y touchons plus, dira-t-on. C’est bon pour des saints et des héros, capables de pardonner à n’importe qui et n’importe quand, mais ce serait finalement une attitude un peu contre nature, trop idéaliste pour le commun des mortels.

    Trop de dangers donc à se servir de la miséricorde ? Je pense que, comme pour toutes les réalités, il suffit d’un peu de sagesse pour parvenir à la lumière sans trop s’agiter. La vérité c’est que pour vivre vraiment la miséricorde envers l’autre il faut d’abord l’avoir expérimentée sur soi de la part de l’autre, de n’importe quel autre. La miséricorde est comme la vie, il faut d’abord la recevoir si on veut être capable de la donner.

    Il est évident que l’expérience spirituelle que l’on peut faire dans le christianisme et dans la plupart des grandes religions est une porte toute grande ouverte pour expérimenter personnellement la miséricorde. Mais bien des hommes et des femmes sans référence religieuse ont fait eux aussi cette expérience dans des moments tragiques de conflits, là où l’humanité profonde de certaines personnes est parvenue à prendre le dessus sur la rancœur, la haine ou le désir de vengeance. La non-violence est déjà une forme de miséricorde.

    Le premier pas à faire est donc de s’assurer que j’ai vraiment expérimenté sur moi la miséricorde et que je suis déjà miséricordieux envers moi-même avant de l’être avec les autres. La miséricorde, c’est d’abord m’accepter moi-même comme je suis, puisque j’ai trouvé quelqu’un, que ce soit Dieu ou un ami ou un frère qui m’aime et m’accepte comme je suis et qui m’a déjà complètement pardonné. Puis à moi de me jeter dans la bataille de la miséricorde, à moi de la partager avec le plus de gens possible autour de moi, car il suffit parfois d’une seule personne qui nous accepte jusqu’au fond comme nous sommes pour libérer une chaîne de miséricorde sans fin qui fera tache d’huile autour de nous.

    Et enfin sur cette base de miséricorde, nous pouvons changer nos cœurs et changer le monde autour de nous. Car s’accepter soi-même et accepter l’autre tel qu’il est, lui pardonner du fond du cœur, ne veut pas dire que la lutte est finie. Ce qui est mal est mal et le pardon n’est jamais une justification pour recommencer à faire du mal, mais c’est déjà là un autre sujet qui nous porterait trop loin pour aujourd’hui…

     

     


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  • Commentaires

    1
    JPR
    Lundi 21 Mars 2016 à 11:44

    Un très bon texte, qui fait preuve d'une grande maturité et peut être très utile à beaucoup. A diffuser largement, notamment dans certains mouvements de renouveau religieux !

     

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