• Marc 3

    Quelle sublime chorégraphie que ce troisième chapitre de Marc ! C’est un immense mouvement où sont entrainés à la fois Jésus, ses disciples, la foule, sa famille et jusqu’à ses adversaires. Chacun à sa manière, bien sûr, et selon ce qu’il a dans le cœur. « Jésus entra dans une synagogue. » (C’est d’ailleurs une des dernières fois qu’il le fait : il va surtout passer son temps maintenant « au bord du lac » avec la foule et ses disciples.) « Jésus se retire avec ses disciples. » « Ceux qui souffraient de quelque mal se précipitaient sur lui pour le toucher. » « Lorsque les esprits mauvais le voyaient, ils se prosternaient devant lui et criaient : ‘Tu es le Fils de Dieu !’ » «Jésus gravit la montagne, et il appelait ceux qu’il voulait. » « Ils vinrent auprès de lui et il en institua douze... » « Jésus entre dans une maison, où de nouveau la foule se rassemble... » Jésus est le centre de tout. Tout se passe « sur lui », « devant lui », « auprès de lui », « avec lui », « près de lui », « autour de lui».

    On entre un peu plus encore dans la découverte de la personnalité de Jésus et, à travers Lui, révélation du Père et de la Trinité toute entière, on entrevoit un peu plus la grandeur de l’Etre de Dieu. Jésus continue à exprimer tout cet « être » qui est en Lui, qu’il est Lui-même, cet être qui est amour, spécialement pour ceux qui souffrent, cet être dynamique qui continue à accueillir et à donner. Car Jésus ne cesse de donner et de se donner et en même temps d’accueillir ses disciples qu’il appelle et qu’il envoie, ces malades qu’il guérit et même les scribes venus l’observer. En se donnant Jésus parle et agit, il dit et il fait et l’harmonie entre la parole et les actes est totale en lui : « Il dit à l’homme : ‘Etends la main.’ Il l’étendit et sa main redevint normale. »

    On voit un peu mieux toute la personnalité à la fois humaine et divine de Jésus qui promène sur les scribes « un regard de colère, navré de l’endurcissement de leur cœur. » Enfin on peut entrer un peu plus dans le secret de cet être qui est aussi à la fois pouvoir et vouloir. Et là encore ce pouvoir et ce vouloir sont à la fois tout puissants et en harmonie parfaite. Nous l’avions déjà entrevu avec la guérison du lépreux : « Si tu le veux, tu peux me purifier. » (1,40) Ce pouvoir, il va commencer déjà à le transmettre à ses disciples : il va « les envoyer prêcher, avec le pouvoir de chasser les esprits mauvais ». Et, en même temps tout est lié à sa volonté divine, volonté signe aussi de liberté absolue : « il appela ceux qu’il voulait » et volonté d’amour qui va devenir la principale caractéristique du véritable disciple : « Celui qui fait la volonté de Dieu, celui-là est mon frère, ma sœur, ma mère. »

    Ceci dit, la situation devient désormais de plus en plus tendue autour de Jésus, alors qu’on en est seulement au début de sa vie publique. Si la foule le suit encore, s’il commence à avoir de vrais disciples, ses adversaires augmentent. Jésus va trouver maintenant des adversaires dans sa propre famille. Encore faut-il distinguer tout de même entre ses parents, qui s’opposent à lui sans doute pour son bien, et ses véritables adversaires, les scribes et les pharisiens, qui sont vraiment décidés à s’opposer à son action. « Sa famille, l’apprenant, vint pour se saisir de lui, car ils affirmaient : ‘Il a perdu la tête’. »...  « Alors arrivèrent sa mère et ses frères. Restant au dehors, ils le font demander. » On peut se mettre à la place de ses parents, ses cousins, qui ne comprenaient pas ce qui se passait, qui voyaient les dangers arriver et qui avaient peur pour lui et probablement aussi pour eux-mêmes. A noter ici que Marie, la mère de Jésus (qui devait bien comprendre quelque chose, même confusément) n’apparait pratiquement pas dans l’Evangile de Marc : oubli voulu ? Marc ne pouvait pas tout dire et la figure de Marie n’était sans doute pas encore venue en évidence comme elle le sera plus tard avec les autres Evangiles et surtout le développement de la théologie et de la vie de l’Eglise. On verra plus tard qu’il n’y a là aucune contradiction et que l’Evangile de Marc peut lui-même nous aider à mieux comprendre Marie, mais c’est encore un peu tôt pour se lancer dans cette histoire.

    Les véritables adversaires de Jésus sont bien sûr les scribes et les pharisiens et certainement toute une partie de la foule qu’ils entrainaient déjà avec eux : « On observait Jésus pour voir s’il le guérirait le jour du sabbat ; on pourrait ainsi l’accuser. » Les scribes ne s’adressent même plus à Jésus directement. Ils l’observent de loin pour recueillir d’autres éléments pour pouvoir l’accabler. Il ne s’agit même plus de s’opposer à lui d’une manière ou d’une autre, on pense déjà à le faire mourir : une violence extrême s’est emparée de leurs cœurs. « Une fois sortis, les pharisiens se réunirent avec les partisans d’Hérode contre Jésus, pour voir comment le faire périr. » Et tout de suite après ils passent à l’attaque. « Les scribes, qui étaient descendus de Jérusalem, disaient : ‘Il est possédé par Béelzéboul ; c’est par le chef des démons qu’il expulse les démons.» Jésus va répondre tout de suite à cette attaque : il ne peut que refuser de tout son être cette mise en scène diabolique qui l’accuse d’être lui-même un instrument du diable et qui, à travers lui, accuse Dieu tout entier, Père et Esprit de n’être qu’un immense mensonge. « Si quelqu’un blasphème contre l’Esprit Saint, il n’obtiendra jamais le pardon. Il est coupable d’un péché pour toujours. »

    En fait il n’est pas si facile de bien comprendre ce que veut Jésus. Dans la synagogue, il est clair que Jésus n’a aucune intention de se cacher. « Il dit à l’homme qui avait la main paralysée : ‘Viens te mettre là devant tout le monde.’ Et s’adressant aux autres : ‘Est-il permis, le jour du sabbat, de faire le bien, ou de faire le mal ? de sauver ou de tuer ?’ » Puis il guérit le malade comme une provocation évidente contre la tyrannie du sabbat qui était devenu un but en lui-même au lieu d’être au service du Dieu de la vie. On pourrait dire qu’en un sens Jésus a bien cherché la réaction violente des pharisiens. Pourtant, quelques lignes plus loin, l’attitude de Jésus est bien différente. « Lorsque les esprits mauvais le voyaient, ils se prosternaient devant lui et criaient : ‘Tu es le Fils de Dieu !’. Mais il leur défendait vivement de le faire connaître. » C’est que d’une part Jésus voudrait que son message soit sans ambiguïté dès le départ malgré les dangers qu’il court et d’autre part il ne peut pas prendre le risque qu’on l’arrête au début de sa mission, quand il n’a pas encore eu le temps en particulier de former ses disciples et de lancer la « Bonne nouvelle » dans toute son ampleur. Un équilibre sur le fil du rasoir qui va le suivre tout au long de sa vie publique.

    Mais au delà de ce que veut Jésus, c’est sur ce que veut la Trinité toute entière que nous devrions nous interroger. Dieu, le Père, le Fils et le Saint Esprit n’avaient sans doute pas un grand choix. L’humanité était trop loin de Dieu pour pouvoir comprendre ce qui allait se passer, trop faible, malade, immature pour être à la hauteur du défi. Mais il fallait bien se lancer un jour, sinon attendre jusqu’à quand ? Attendre que l’humanité soit assez mûre pour comprendre le message ? Sans la venue de Jésus comment pouvait-elle mûrir, si elle n’avait déjà pas compris grand chose aux interventions des prophètes ? Nous devons raisonnablement penser que Dieu amour a choisi le moment le meilleur, tout en étant conscient qu’il n’y a aucun moment vraiment « meilleur » : à n’importe quel moment le prix allait être lourd à payer ; folie d’un Dieu qui nous aime et qui ne pouvait pas, par son être-même, faire autrement que de se donner à nous totalement quelles qu’en soient les conditions.

    Le monde était d’ailleurs trop bien organisé à sa façon, en quelque sorte sans Dieu, avec des structures en grande partie fondées sur l’égoïsme, pour qu’il y ait la place pour une intervention divine. La venue de Jésus était d’abord quelque chose qui allait déranger autant que guérir. Jésus en est bien conscient qui demande « à ses disciples de tenir une barque à sa disposition pour qu’il ne soit pas écrasé par la foule ». Un peu plus loin, « Jésus entre dans une maison, où de nouveau la foule se rassemble, si bien qu’il n’était pas possible de manger ». Nous avons déjà vu des gens obligés de faire un trou dans le toit d’une maison pour permettre à un paralysé de se faire guérir par Jésus. (2,4) On comprend ses parents qui pensent qu’ « il a perdu la tête ».

    Comment Jésus va-t-il se sortir de cette situation inextricable ? Il va faire peut-être quelques miracles comme lors de la multiplication des pains, quand l’ampleur de la foule affamée risquait de conduire à une catastrophe humanitaire ? Mais il ne pourra pas s’en sortir bien longtemps. En fait, son but principal sera de préparer et d’organiser l’avenir. Jésus est là pour donner sa vie pour nous maintenant, mais aussi pour fonder son Eglise, ce groupe de disciples qui va continuer avec lui à porter son message jusqu’à la fin des temps. Alors tout s’explique. La folie aimante de Dieu est d’une intelligence inouïe : c’est la sagesse de Dieu lui-même.

    Jésus se met donc à former ses disciples, les Douze pour commencer : « Il institua les Douze », de Pierre (« c’est le nom qu’il donna à Simon ») à Judas Iscariote, « celui-là même qui le livra ». Et, avec les Douze, il prêche la Bonne Nouvelle à tous ceux qui sont prêts à faire « la volonté de Dieu ». Sa formation va être longue et complexe. Elle a commencé déjà par le sens de la relation entre la vie et la loi (celle du sabbat en particulier). Il y a dans notre chapitre, indirectement, toute une formation importante à l’unité. « Si un royaume se divise, ce royaume ne peut pas tenir. Si une famille se divise, cette famille ne pourra pas tenir. » Et là se fait plus évident le plan de Dieu : Jésus veut faire de nous, de ses disciples et de l’humanité toute entière, une « famille ». C’est pour cela qu’il peut dire : « Celui qui fait la volonté de Dieu, celui-là est mon frère, ma sœur, ma mère. » Paroles étonnantes d’un Dieu prêt à nous donner ce qui lui est le plus cher, à nous faire entrer pleinement dans sa famille. Il lui restera encore un peu de temps pour nous expliquer ce qu’il entend par « volonté de Dieu ». Mais les bases sont mises et l’aventure divine et humaine de Jésus sur la terre est en train d’arriver maintenant à son sommet.

    Une dernière réflexion pour conclure notre lecture rapide de ce chapitre (avant de passer aux « perles de la parole », en nous concentrant sur les phrases qui nous interpellent le plus) : comme il est difficile d’être homme et d’être chrétien sur cette terre ! Si l’on regarde l’aventure de Jésus parmi nous on pourrait déjà penser que tout va être gâché maintenant. Désormais il ne pourra plus faire un seul pas sans qu’on pense à ces pharisiens et à ces scribes prêts à l’arrêter pour « le faire périr ». La joie d’être « avec l’Epoux » est-elle compatible avec un tel drame ? Comment Jésus a-t-il pu parler de cette joie devant la mort toute proche ? Peut-être devons-nous ici distinguer entre la situation des disciples et notre situation.

    Les disciples ne pouvaient pas encore se rendre compte de ce qui allait se passer et ils pouvaient sans doute se laisser pleinement aller, au moins pour quelque temps, à la joie de la Bonne Nouvelle. C’est qu’ils n’avaient pas compris encore grand chose : ils ne pouvaient connaître ni l’horreur de la mort de Jésus en croix, ni la gloire de la résurrection, ni la consolation de la descente de l’Esprit. Pour nous, comme pour l’auteur de l’Evangile, tout a changé. Désormais tout est lié, il n’y aura plus de mort sans résurrection, donc plus de drame irrémédiable. Mais, en même temps, être chrétien ou simplement homme voudra toujours dire, sur cette terre, se préparer à la mort, mort à soi-même tout au long de la vie et mort finale dans notre passage à l’éternité. Ce sera là la base de notre formation pour toujours. La mort sera bien présente, mais elle n’entrera plus en contradiction avec la joie de la résurrection et de la présence de Dieu Amour au milieu de nous. Ce ne sera pas toujours facile de gérer une telle aventure à couper le souffle, mais qui a des oreilles pour entendre a une clé de lecture fascinante qui nous accompagnera maintenant à chaque pas.

     

     

     

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                PERLES DE LA PAROLE

     

              « Viens te mettre là devant tout le monde. » (3,3)

    Lorsque, dans les années 60, juste après le Concile Vatican II, on a commencé dans l’Eglise catholique à mettre en commun les expériences de la Parole de l’Evangile vécue, beaucoup de gens se scandalisaient. Les expériences intimes de notre relation avec Dieu étaient encore du domaine de la vie privée. On n’avait pas à les étaler sur la place publique. C’était une manière de se montrer qui semblait en contradiction avec l’humilité de la vie chrétienne où la main gauche ne doit pas savoir ce que fait la main droite, par peur de tomber dans un péché d’orgueil. Comme on était loin alors de l’esprit de Jésus dans l’Evangile. Ce Jésus qui demande justement à l’homme dont la main est paralysée : « Viens te mettre là devant tout le monde. » Il ne s’agit pas de se montrer soi-même, car chacun de nous sans Dieu serait pire l’un que l’autre, mais de montrer à « tout le monde » les merveilles que Jésus a réussi à faire en nous, malgré nos limites et nos faiblesses. Non, notre relation à Dieu ne peut jamais être une affaire privée qui ne regarde que nous. Jésus est venu sur terre pour faire de nous une famille. Et, dans une famille, les frères et sœurs doivent se serrer les coudes, s’aider dans les moments difficiles, partager les découvertes qui illuminent leur chemin. Il est beau de remercier Dieu pour les grâces qu’il nous donne chaque jour et spécialement dans les moments d’épreuve, mais il ne suffit pas de le remercier au fond de notre cœur, nous sommes appelés à crier sur les toits la joie qu’il nous donne. C’est que Jésus a besoin de nous pour répandre un peu plus sa Bonne Nouvelle. Sinon ce cadeau reçu s’arrêterait à nous pour moisir sans porter de fruit. Jésus a besoin de nous et nous avons besoin les uns des autres pour aller de l’avant. L’avenir du message de Jésus est dans une « spiritualité collective » où nous devons enfin dépasser nos tendances individualistes. Cela coûte parfois des efforts contre notre timidité ou notre paresse, mais c’est bien peu de chose pour remercier ce Dieu qui a donné sa vie pour nous.

     

              « Il dit à l’homme : ‘Etends ta main.’ Il l’étendit et sa main redevint normale. » (3,5)

    Si on regarde cette phrase un peu vite, superficiellement, elle peut sembler toute simple, presque banale. Et pourtant, il s’agit bien d’un miracle qui se déroule sous nos yeux. Cet homme avait la main paralysée, Jésus est venu, il a eu pitié de lui et il l’a guéri. Mais d’abord, comme toujours, il a eu besoin de la participation active du malade : c’est bien le malade qui, en fin de compte, doit décider de croire que Jésus l’a guéri et d’étendre en conséquence cette main paralysée. Nous avons toujours ici ce rapport de réciprocité entre Dieu et l’homme qui collaborent ensemble, qui ont besoin l’un de l’autre pour le bien de l’humanité.

    Mais un autre aspect est frappant dans l’action de Jésus : sa parole est toujours en harmonie avec son action. Il suffit qu’il dise quelque chose pour que sa parole se réalise aussitôt, pour qu’elle porte du fruit. Jésus n’aurait pas fait cette proposition au malade devant tout le monde, s’il n’était pas sûr du résultat. En Jésus tout est un, son être, sa parole et son action. Cela paraît si simple qu’on oublie combien, pour chacun de nous, cette unité entre la parole et l’action est une conquête énorme de chaque jour. Nous reviendrons souvent là-dessus.

    Un dernier aspect : ce que Jésus demande ou ordonne au malade, comme à n’importe quel homme, est toujours pour son bien. C’est cela la « volonté de Dieu », il ne peut en avoir une autre. Mais sommes-nous capables d’être attentifs à chaque instant à cette voix qui nous interpelle et qui ne cesse de nous conseiller, de nous exhorter et de nous pousser à faire ce qui pourrait changer justement le sens de notre vie, faire que tout ce qui nous arrive, positif ou négatif (comme la maladie de l’homme paralysé) serve finalement à notre bien et au bien de ceux qui nous entourent ?

     

              « Si une famille se divise, cette famille ne pourra pas tenir. » (3,25)

    On dirait ici un proverbe de sagesse populaire. Là encore une idée toute simple, bien évidente. Si une famille se divise, si n’importe quel groupe humain se divise, il n’est plus capable d’affronter les épreuves de la vie et bien vite les personnes qui en font partie n’arrivent plus à se comprendre. La division commence alors à naître dans les cœurs et les esprits, pour devenir ensuite réelle et concrète : on n’a plus qu’à se séparer, car la vie ensemble est devenue un enfer, la famille « n’a pas tenu », on n’a plus qu’à chercher peut-être d’autres personnes qui nous comprennent enfin et on peut passer sa vie comme un papillon de groupe en groupe, sans illusion, pour se retrouver finalement seul comme un chien, déçu, aigri et peut-être même désespéré.

    Jésus parlera encore de l’unité de la famille et, à la fin de sa vie sur terre, il demandera au Père « que tous soient un ». Jésus ne peut voir les choses, les évènements et les personnes que dans l’unité. Car il vit Lui-même de l’unité avec le Père et le Saint Esprit, il ne peut concevoir une autre vie, une autre vision. Cette unité, qui sera toujours son modèle et notre modèle, est à la fois la chose la plus belle et la plus difficile.

    Il suffit de regarder notre belle et pauvre Eglise. L’Eglise est belle car elle est le Corps du Christ Lui-même, mais elle est bien pauvre car, dès le premier jour, elle a connu la division. Et ici il y aurait beaucoup à dire : notre Eglise a-t-elle tenu au cours des siècles ? Certainement plus que tous les royaumes de ce monde. Mais en même temps elle n’a pas vraiment tenu, elle est même rejetée maintenant par beaucoup de ses enfants, ses propres enfants se sont entredéchirés pendant des siècles.

    Mais il faudrait essayer de voir ici l’Eglise et son histoire comme Dieu la voit. Dieu ne peut la voir que dans l’unité et cette unité n’a jamais cessé d’exister malgré tout, grâce à Lui et grâce aux saints et à toutes les personnes qui ont été capables de rester unies à Dieu et entre elles, de quelque « Eglise » particulière ou de quelque rite ou confession chrétienne qu’elles soient. C’est là une forte leçon que Dieu nous donne. Il n’abandonnera jamais son Eglise, car, en Lui et grâce à tous ceux qui restent pleinement fidèles à l’esprit d’unité, l’Eglise « tiendra » toujours. Mais comme elle « tiendrait » bien mieux encore si nous savions placer l’unité avant toutes nos autres préoccupations. Notre époque est peut-être le début du printemps de l’Eglise et de son unité, depuis l’étreinte pleine d’amour divin du Patriarche Athénagoras et de Paul VI et tous ces signes des temps qui peuvent nous donner un immense espoir : l’Eglise a réalisé à la fois beaucoup et bien peu en 2000 ans, mais le jour où nous aurons le courage de vivre seulement pour l’unité, Dieu sait de quel miracles nous serons enfin témoins dans ce monde qui attend l’unité mais qui la trouvera bien difficilement si les disciples de Jésus continuent à parler d’unité mais ne savent pas la vivre !

     

              « Amen, je vous le dis : Dieu pardonnera tout aux enfants des hommes, tous les péchés et tous les blasphèmes qu’ils auront faits... » (3,28)

    Je ne sais pas ce que vous pensez en lisant cette petite phrase. Je me suis moi-même demandé si je l’avais un jour regardée vraiment, si je m’y étais arrêté sérieusement au moins une fois. Et pourtant, c’est bien écrit noir sur blanc : Dieu va tout nous pardonner, absolument tout (à part ce blasphème contre l’Esprit que nous allons examiner ensuite avec la prochaine phrase). Dieu a envoyé son Fils pour nous sauver et nous pardonner. Et cela fait presque 2000 ans maintenant que nous continuons à nous juger et à nous condamner les uns les autres sur la base de l’Evangile. Nous avons fait de la Bonne Nouvelle une sorte de loi morale, pour classer les gens en catégories de saints et de pécheurs, de bons et de mauvais chrétiens, pour nous plaindre sans cesse les uns des autres parce que l’autre ne veut pas comprendre... et c’est aussi ce que je suis en train de faire maintenant : je suis capable de ne pas pardonner à ceux qui ne pardonnent pas. C’est un cercle vicieux sans fin, comme un chat qui courrait après sa queue sans réussir jamais à l’attraper.

    Combien d’énergie gaspillée pour bien peu de résultats dans notre bataille morale pour convertir le monde alors qu’il nous suffisait de l’aimer, de lui pardonner et de le libérer de lui-même en lui faisant voir une autre lumière qui l’aurait guéri pour toujours. Mais il est peut-être temps de recommencer. Dieu nous pardonnera en tous cas tout de suite ces bêtises si nous savons enfin comprendre sa miséricorde. Mais que dis-je ? Dieu nous pardonnera de toute façon, même si nous nous entêtons dans ces bêtises. C’est nous qui mettons des conditions : Jésus n’a pas dit que Dieu nous pardonnera si...nous changeons, si...nous nous repentons. Non, il a dit qu’il nous pardonnera de toute façon. Mais ce serait seulement plus intelligent de profiter de son pardon et de se décider de vivre avec Lui dans la lumière. Et surtout ce serait bien de passer tout le temps qui nous reste à vivre à répandre autour de nous la Bonne Nouvelle : Dieu nous aime et il est venu nous pardonner. D’où vient cette peur de l’enfer, ces complexes et ces scrupules qui ont fait des chrétiens les clients les plus nombreux parfois des cabinets de psychiatres, alors que nous devrions être simplement remplis de la joie de vivre ?

     

              « Mais si quelqu’un blasphème contre l’Esprit Saint, il n’obtiendra jamais le pardon. Il est coupable d’un péché pour toujours. » (3,29)

    Là, par contre, on a un peu peur. Ça a l’air sérieux et ça l’est effectivement. Jésus n’est pas en train de plaisanter. Espérons que ces pauvres scribes et pharisiens n’aient pas su au fond ce qu’ils faisaient : accuser l’esprit de Dieu de faire le travail du diable ! Dieu leur a sans doute pardonné à eux aussi. Il a bien pardonné à Paul qui était un de ces pharisiens qui avaient mis à mort Etienne, le premier martyr chrétien. Et il en a fait le plus grand des apôtres, avec sa libre collaboration bien sûr.

    Mais que veut nous dire ici Jésus ? C’est qu’on ne peut pas regarder en face la grandeur de ce Dieu amour, la force de son pardon, la beauté du salut qu’il apporte à l’humanité, la libération qu’il nous donne, le bien qu’il fait à tous ces malades qui souffrent et déclarer que tout cela vient de Satan, que tout ce bien est le mal absolu. Ou bien on ne se rend pas compte de ce qu’on dit et de ce qu’on fait (et alors Dieu nous pardonnera sans doute là aussi), ou bien on se laisse consciemment posséder par l’esprit du diable et alors sans doute la conversion et le pardon deviennent bien difficiles. Ce ne sont là certainement que des cas extrêmes et nous pouvons espérer qu’ils n’ont jamais existé et qu’ils n’existeront jamais. Mais Dieu nous a laissés libres et il n’est pas mauvais de nous souvenir parfois que cette liberté est en même temps une responsabilité extrême que nous ne devons pas prendre à la légère.

     

              « Voici ma mère et mes frères. Celui qui fait la volonté de Dieu, celui-là est mon frère, ma sœur, ma mère. » (3,34-35)

    Il y a deux aspects importants dans ces deux petites phrases : celui de la volonté de Dieu et celui de la famille que Jésus est en train de former autour de lui. « Celui qui fait la volonté de Dieu... » dit-il, mais quelle est-elle au juste ? Nous en avons certainement une idée belle et complexe à la fois. Contentons-nous ici, pour l’instant, de nous rappeler tout ce que ces trois premiers chapitres de Marc nous ont révélé à ce sujet.

    « Préparez le chemin du Seigneur, aplanissez sa route. » (1,3) « Convertissez-vous et croyez à la Bonne Nouvelle. » (1,15) « Je le veux, sois purifié. » (1,41) « Mon fils, tes péchés sont pardonnés. » (2,5) « Lève-toi, prends ton brancard et rentre chez toi. » (2,9) « Suis-moi. » (2,14) Et à ces quelques phrases on pourrait ajouter cette exhortation claire à rester unis et toute l’action de Jésus et de ses disciples pour guérir les malades et chasser les esprits mauvais. La volonté de Dieu est déjà bien claire dans tout cela. Avant tout guérir cette humanité malade, la guérir physiquement, psychologiquement, moralement et spirituellement à la fois. Libérer l’homme de son péché, tout lui pardonner si possible et, en même temps lui faire prendre conscience de cette Bonne Nouvelle extraordinaire qui vient de lui arriver et qui peut changer toute sa vie. La volonté de Dieu va donc être simplement de participer à son action bienfaisante pour l’humanité, pour chaque homme que nous rencontrons, être par nos paroles et nos actes la continuation de l’œuvre de Jésus.

    En même temps il est clair que Jésus veut faire de nous une famille, sa famille. C’est sa volonté la plus profonde, le visage le plus extraordinaire de son amour infini : n’importe quel homme, quelle femme, même le plus grand pécheur, peut devenir son frère ou sa sœur, mieux même Jésus nous dit qu’il peut devenir « sa mère ». Il ne parle pas ici de père parce qu’il n’a qu’un seul Père, son Père unique avec lequel il ne peut pas y avoir de confusion, mais cela revient tout de même à dire que nous pouvons devenir les parents de Jésus. Jésus se met ainsi dans l’humble attitude de celui qui voudrait recevoir de nous la vie, comme il la reçoit de son Père céleste. Il nous fait déjà entrer dans le mystère de l’amour trinitaire où chacune des trois Personnes est, tour à tour celui qui donne et celui qui accueille ou qui reçoit. C’est cela la « famille » de Jésus, à l’image de l’expérience vécue de toute éternité dans le Ciel de la Trinité. Quelle volonté de Dieu sublime et impensable, quel miracle d’amour ! Nous en sommes seulement à la fin du troisième chapitre de notre Evangile et on pourrait  penser déjà que tout est dit. Mais, au paradis de Dieu, on va toujours de surprise en surprise.

     

     


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