• Marc 7

    Nous voici devant un nouveau chapitre assez court qui pourrait sembler au premier abord un simple chapitre de transition sans grande importance, et nous allons pourtant y faire des découvertes surprenantes : c’est cela la Parole de Dieu.

    Jésus est bien sûr toujours le centre du récit. Au début, il prend le repas avec ses disciples et sans doute avec beaucoup d’autres gens, puisque voilà même les pharisiens et les scribes qui se réunissent autour de lui. Après avoir répondu aux critiques des pharisiens et des scribes et enseigné de nouveau aux disciples et à la foule, Jésus continue à se déplacer. Le cercle de son rayon d’action s’élargit de plus en plus. Le voici maintenant au pays de Tyr et de Sidon et de nouveau dans la Décapole pour finir. C’est dans ces deux régions, où se trouvent surtout des païens, qu’il accomplit encore des miracles, signes de l’universalité de sa mission. Le premier avec la fille d’une syro-phénicienne (ancêtre des Libanais d’aujourd’hui) qui était possédée par un démon, et le second avec un sourd muet qu’on lui amène.

    Jésus est donc là qui se donne, dans son enseignement et ses miracles, et qui donne, à ceux qui veulent bien le recevoir, santé et lumière avec une vision toute nouvelle des réalités. « Accueillir et donner », disons-nous toujours. Et c’est étonnant de voir combien Jésus, avant même de donner, est capable d’accueillir, d’écouter, de comprendre, d’entrer dans le cœur de son interlocuteur. C’est Dieu qui pénètre au plus intime de l’homme. Jésus ne parle jamais de l’extérieur, au contraire de ce que nous faisons malheureusement si souvent. Il saisit les pensées et les désirs les plus secrets de l’homme et peut ainsi y répondre. Mais accueillir ne veut pas dire forcément qu’il accepte tout ce que l’autre lui dit ou lui propose. Jésus accueille les pharisiens et les scribes pour mieux refuser leur hypocrisie et leur arrogance : « Isaïe a fait une bonne prophétie sur vous, hypocrites... vous annulez la parole de Dieu par la tradition que vous transmettez. »

    Mais si son interlocuteur est sincère, alors lui aussi lui ouvre son cœur, avec toute la puissance divine qui est en lui. Et son but est finalement toujours positif. C’est pour le bien de la foule et des disciples qu’il répond de manière si forte aux pharisiens : pour qu’il n’y ait ensuite plus de confusion dans leurs esprits. Et puis il y a l’épisode un peu bizarre du dialogue entre Jésus et la syro-phénicienne. Beaucoup d’exégètes ont écrit sur ce sujet, sans être tous d’accord sur le sens de cette phrase apparemment blessante de Jésus : « Laisse d’abord les enfants manger à leur faim, car il n’est pas bien de prendre le pain des enfants pour le donner aux petits chiens. » Est-il possible que Jésus ait voulu blesser la dignité de cette femme ? Il est vrai qu’il la compare aux « petits chiens » et non pas aux « chiens » tout court, ce qui aurait été beaucoup plus fort. Je crois que mes années d’inculturation au Moyen Orient me donnent le courage d’avancer une proposition de compréhension. Ici au Liban, ou en Palestine et en Egypte par exemple, les gens se provoquent souvent, on dirait parfois même qu’ils s’insultent si on ne les connaissait pas, mais ils le font en fait avec humour, pour montrer à l’autre qu’ils sont tellement proches l’un de l’autre qu’ils peuvent se sentir libres de jouer à se maltraiter : se laisser faire à ce jeu est un signe de grande amitié. On peut imaginer que les disciples eux-mêmes aient repoussé cette femme en rappelant à Jésus qu’il était là seulement pour les fils d’Israël. Jésus se moque donc à la fois de ses disciples et de la syro-phénicienne : il montre qu’il est libre de toutes ces catégories sociales artificielles créées par l’homme. Et la grandeur extraordinaire de cette femme, c’est qu’elle ne se fâche pas, elle se laisse prendre au jeu, elle saisit l’intention profonde de Jésus qui l’aime déjà, car il veut sauver toute l’humanité...

    L’épisode de la guérison du sourd-muet est une merveille de délicatesse. « On lui amène un sourd-muet et on le prie de poser la main sur lui. Jésus l’emmena à l’écart, loin de la foule, lui mit les doigts dans les oreilles, et, prenant de la salive, lui toucha la langue. Puis, les yeux levés au ciel, il soupira et lui dit : ‘Effata !’, c’est-à-dire : ‘Ouvre-toi !’ Ses oreilles s’ouvrirent ; aussitôt sa langue se délia, et il parlait correctement. » Ici aussi Jésus commence par accueillir ces gens qui lui amènent le sourd-muet : il est déjà touché par leur foi, comme pour le paralytique et tous ces autres malades que nous avons déjà vus, amenés par la foule. Et voilà que Jésus l’emmène à l’écart : il ne veut pas cacher le miracle, tout le monde va vite s’en apercevoir, mais c’est sa relation personnelle avec le sourd-muet qui compte. Jésus veut lui montrer que Dieu l’aime personnellement, tel qu’il est, qu’il a un rapport spécial et unique avec lui, que les autres ne connaitront jamais vraiment. Et c’est seul avec lui qu’il dévoile tous ses secrets, sa relation avec le Père (« les yeux levés au ciel ») qui lui donne la puissance de réaliser le miracle. De pauvre handicapé dont la foule devait avoir pitié, voilà que notre infirme est entré pour toujours dans l’intimité de Dieu lui-même, miracle encore plus grand que la guérison de son infirmité. Et, en lui, Jésus veut nous montrer la relation que chaque homme peut établir avec lui s’il est prêt à se présenter sincèrement à lui pour être guéri de tout ce qui le bloque, le limite, le paralyse. Quelle leçon d’humanité et de divinité à la fois !

    Mais ce chapitre est particulièrement frappant pour tout ce que Jésus nous y enseigne sur la pureté. Son débat avec les pharisiens et les scribes qui accusent ses disciples de « prendre leur repas avec des mains impures » n’est que le début d’un enseignement révolutionnaire qui porte finalement sur la liberté et la responsabilité de l’homme, plus encore peut-être que sur la pureté. « Ecoutez-moi tous, et comprenez bien. Rien de ce qui est extérieur à l’homme et qui pénètre en lui ne peut le rendre impur. Mais ce qui sort de l’homme, voilà ce qui rend l’homme impur. » Paroles révolutionnaires que les disciples eux-mêmes ont bien du mal à saisir : « Ainsi, vous aussi, vous êtes incapables de comprendre ? Ne voyez-vous pas que tout ce qui entre dans l’homme, en venant du dehors, ne peut pas le rendre impur, parce que cela n’entre pas dans son cœur, mais dans son ventre pour être éliminé ? » Et l’Evangile conclut : « C’est ainsi que Jésus déclarait purs tous les aliments. »

    Ces quelques mots ont des conséquences prodigieuses, si on s’y arrête sérieusement seulement quelques instants. Bien au delà d’une polémique sur les aliments, il s’agit ici d’une conception complètement nouvelle de l’homme dont, même 2000 ans, plus tard nous n’avons sans doute pas compris encore grand chose. Ce n’est pas l’extérieur qui compte, ce ne sont pas les apparences. On ne peut juger l’homme que dans son cœur, ce qui veut dire finalement que seul Dieu peut juger l’homme, aucun de nous ne devrait oser se prendre pour Dieu à juger ses frères et pourtant nous le faisons allègrement à longueur de journée. Et quand on comprend ensuite que Dieu lui-même ne nous juge pas... Où en sommes-nous de tout cela ?

    Autre conséquence : au delà de tous nos conditionnements, de toutes nos limites d’espace et de temps, Dieu a mis en nous une semence divine, faite à son image, qui est une goutte de Dieu en nous, capable d’aimer comme Lui aime, capable de décider comme Dieu pour le bien, en toute liberté. C’est « ce qui sort de l’homme ». Mais si l’homme est libre de faire « sortir » de son cœur ce qu’il veut, si personne ne l’y oblige, cela veut dire aussi qu’il est responsable de « ce qui sort de son cœur » ! On pourrait évidemment discuter à l’infini sur cette liberté et cette responsabilité humaines. Nous voyons bien qu’elles sont en fait toujours conditionnées par un tas de limites physiques, psychologiques, intellectuelles. Aucun homme n’est parfait, nous sommes tous le résultat d’une foule de facteurs sociaux, économiques, culturels, moraux, spirituels, etc. qui font que parfois nous décidons quelque chose ou nous réagissons à un problème et une heure plus tard nous changeons d’avis, nous ne savons plus quoi penser : où est la pleine liberté dans tout cela ?

    Jésus connaît bien notre condition humaine qu’il a partagée pleinement. Il sait bien que nous ne sommes pas des robots artificiels et parfaits. Mais il nous accepte comme nous sommes et là est encore plus grande notre liberté : c’est qu’au fond de notre cœur, de notre conscience, il y a toujours un coin secret, caché, recouvert souvent de poussière, dans lequel, si nous sommes capables d’être un peu attentifs, Dieu nous appelle, nous tend la main et nous redonne à chaque instant cette possibilité d’être « purs » avec lui, en nous laissant pénétrer par sa lumière et sa sagesse. C’est la liberté de ne pas être complètement libres et d’être sûrs qu’il y a toujours en nous quelque part un angle de vraie pureté divine que Dieu nous garde et nous renouvelle à chaque instant où nous faisons l’effort de vouloir nous jeter en Lui.

    Mais l’aspect qui me frappe le plus dans tout ce chapitre en est encore un autre. Si on regarde bien la situation de Jésus, du début à la fin de ce passage, on pourrait penser qu’elle est catastrophique. Les pharisiens et les scribes, qui sont les autorités religieuses locales, se déchainent contre Jésus. Les disciples ne comprennent pas grand chose. Puis Jésus essaie de ne pas se faire voir et il n’y parvient pas : « En partant de là, Jésus se rendit dans la région de Tyr. Il était entré dans une maison et il voulait que personne ne sache qu’il était là ; mais il ne réussit pas à se cacher. » Ensuite il doit pratiquement obéir à la demande de la syro-phénicienne, même si cela pouvait sembler au début contre son gré. Et enfin, après la guérison du sourd-muet, Jésus recommande aux gens présents de ne « rien dire à personne ; mais plus il le leur recommandait, plus ils le proclamaient. » C’est cela le Dieu tout puissant qui règne sur le monde, qui fait ce qu’il veut et impose sa volonté à la création tout entière ?

    Il faut bien avouer que l’Evangile nous donne une image de Dieu pour le moins inattendue. Un Dieu faible, sans autorité, que personne n’écoute... Et c’est là que notre compréhension de l’amour de Dieu devrait commencer à faire un grand pas dans le mystère. Dieu nous aime tellement, depuis le jour où il nous a créés, qu’il accepte tout de nous. Il n’a pas voulu faire de nous des marionnettes qui suivent aveuglément sa volonté, mais des êtres libres, à l’image de sa divinité. Et le voilà qui joue avec nous, qui attend de voir ce que nous allons faire, pour continuer à nous aimer. Et il va nous prendre dans n’importe quelle position et tout faire pour nous aider à continuer notre chemin vers lui. Nous l’acceptons ? Il s’en réjouit et nous fait entrer en plénitude dans son mystère. Nous hésitons, nous nous arrêtons ? Il attend tranquillement que nous nous décidions. Nous le rejetons ? Il nous accueille quand même, joue avec nous d’une autre façon, met sur notre chemin des bouées de secours qui pourront nous sauver lorsque nous comprendrons la situation. Mais il veut que la décision définitive vienne de nous. Un échec ? Jamais de la vie. L’amour de Dieu gagne toujours, même si l’humanité se mettait soudain toute entière contre lui. C’est cela la toute puissance de la liberté divine : Jésus n’est pas quelqu’un qui change en route de disposition au gré du nombre d’obstacles qu’il trouve sur sa route. Il est toujours Dieu qui va de l’avant dans son projet d’amour, qui ne nous juge jamais, qui invente à chacun de nos pas, positifs ou négatifs, une nouvelle manière qui nous aidera à nous en sortir. C’est cela sa grandeur. Quelle leçon inouïe d’un Dieu qui s’est abaissé totalement à notre niveau mais qui reste toujours Lui-même, au delà des apparences ! Et si nous apprenions au moins un peu à jouer ce rôle divin avec nos frères, quelle que soit la manière dont ils nous traitent, même s’ils semblent répondre de travers à notre amour limité : nous ferions à notre tour avec eux une expérience de liberté qui changerait bien des aspects de notre vie et de leur vie!

     

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    Perles de la Parole

     

    « Ce peuple m’honore des lèvres, mais son cœur est loin de moi. » (7,6)

    Ici, c’est bien simple. Jésus nous met en garde contre l’hypocrisie, voulue ou inconsciente. Mais l’hypocrisie est sans doute le plus souvent inconsciente, elle n’est pas forcément méchante, mais elle gâche tout sur son passage. Nous disons quelque chose et nous faisons ensuite le contraire. Distraction, oubli ? Peu importe, car le mal est fait. Les gens auront bien du mal à nous croire à l’avenir. Ils iront chercher ailleurs. Combien de familles détruites par ce manque de cohérence, combien de communautés d’Eglise déchirées à la base !

    Que faire alors ? Parlons un peu moins peut-être. Affirmons les choses lorsque nous sommes sûrs qu’elles correspondent à la vérité. Vivons avant de parler. Soyons un en nous-mêmes et avec les autres. Et surtout vivons de l’intérieur, vivons avec notre cœur, là où Dieu est sans cesse présent avec nous et au milieu de nous. Soyons proches de Dieu et de nos frères avec notre cœur et non pas avec nos paroles. Alors nos paroles suivront ou, mieux même, nous n’aurons pas besoin de parler, ce seront les autres qui témoigneront de la vie qu’ils auront trouvée en nous et autour de nous. Tout sera mis en harmonie et nos familles et nos communautés pourront respirer. Les accidents de parcours seront seulement quelques obstacles à surmonter ensemble, car la confiance règnera et rien n’est plus beau que la confiance réciproque.

     

    « Rien de ce qui est extérieur à l’homme et qui pénètre en lui ne peut le rendre impur. Mais ce qui sort de l’homme, voilà ce qui rend l’homme impur. » (7,15)

    Combien de fois par jour et tout au long de notre vie nous nous arrêtons sur les apparences ! Nous jugeons les évènements et les personnes sur la manière dont ils se présentent, dont ils correspondent aux traditions, à la mode. Une réalité ou une personne qui nous avait attirés hier devient soudain la pire des choses ou la pire des personnes, parce qu’elle ne correspond plus aux apparences que nous attendions. Jésus était le sauveur de son peuple, celui qui faisait des miracles et voilà maintenant qu’il est un traître qui doit être mis à mort. Le peuple a changé complètement en quelques jours sur des signes extérieurs, des mots entendus, des jugements hâtifs. Personne n’a été capable d’aller voir à la racine de quoi il s’agissait vraiment.

    Mais faisons-nous mieux que les contemporains de Jésus ? Ne passons-nous pas notre temps à juger, condamner, avant même de savoir la vérité tout entière ? Et même si ces signes extérieurs correspondent vraiment à une réalité négative au cœur de l’autre, est-ce une raison pour le rayer définitivement de la carte de nos relations sans aller voir les autres aspects positifs de sa personne, cachés peut-être sous la poussière, mais que Dieu a mis sûrement au fond de lui ?

     

    « Si quelqu’un a des oreilles pour entendre, qu’il entende ! » (7,16)

    Entendre, écouter ! Un proverbe africain dit que Dieu a donné à l’homme une seule bouche mais deux oreilles parce qu’il devrait écouter deux fois plus qu’il ne parle : si vraiment nous étions des hommes sages... Ecouter, c’est accueillir, comprendre, pénétrer au cœur des choses et des gens. Ecouter c’est connaître de l’intérieur les réalités telles qu’elles sont et non pas telles que notre imagination a envie de les forger selon ses caprices.

    Si l’on passait sa journée à entendre et écouter, combien de bêtises seraient évitées, combien de mauvaises directions seraient redressées, combien la vie deviendrait moins chaotique et plus harmonieuse, car elle serait telle qu’elle est. Bien sûr, il y a des problèmes dans la vie, de graves problèmes, mais ce n’est pas par la panique et l’agitation que nous allons les résoudre, mais en nous arrêtant complètement de courir, en éteignant tous les bruits qui nous empêchent de comprendre et en écoutant la vérité. Et la vérité, qui se trouve en Dieu et parmi nos frères nous redonnera la lumière.

     

    « C’est du dedans, du cœur de l’homme, que sortent les pensées perverses : inconduite, vols, meurtres, adultères, cupidités, méchancetés,  fraude, débauche, envie, diffamation, orgueil et démesure. » (7,22)

    Je ne sais pas comment vous vous sentez devant une telle liste d’abominations. La tentation est grande de faire comme le pharisien qui remerciait Dieu d’être un homme juste, car il était convaincu que tous ces péchés ne l’avaient jamais effleuré comme les pauvres gens de ce monde. Peut-être que nous n’avons jamais volé ou été adultères, mais si nous sommes sincères, je crois que nous finirions par nous retrouver dans chacun de ces mots terribles. Car au fond toutes ces attitudes horribles pourraient se résumer en une seule chose : utiliser égoïstement pour soi, détourner pour soi tout ce que Dieu nous présente ou nous donne, au lieu de le recevoir pour le donner à notre tour comme nous l’avons reçu, en esprit de communion réciproque.

    Tout est là. N’avons-nous pas découvert déjà, dès les premières pages de notre Evangile, que la vie de Dieu est au fond toute simple ? Accueillir celui qui nous donne et donner à notre tour dans la réciprocité. Ce qui « sort » alors de notre cœur sera seulement don et accueil, accueil et don, tout au long de la journée, et cela rendra « pure » notre vie et la vie de ceux que nous aimons. Dieu ne se lasse jamais de ce mouvement incessant qui part de son amour et qui y retourne pour y repartir de nouveau avec encore plus d’élan. Imaginons qu’un jour Dieu s’arrête d’aimer, qu’il reprenne pour lui tout ce qu’il nous a offert et qu’il continue à chaque instant à nous offrir. Evidemment notre monde disparaitrait à l’instant.

    Ce serait tellement absurde de penser un seul moment que Dieu cesse soudain d’être Dieu et de faire « sortir » de son cœur de Dieu tout cet amour. Mais alors pourquoi ne faisons-nous pas comme lui nous aussi, au lieu de nous inventer des raisons pour casser cette réciprocité avec nos frères, peut-être « parce que c’est l’autre qui a commencé » ou « parce que nous avons raison » comme nous disons si souvent : prétextes mesquins et stupides qui voudraient justifier notre manque d’amour ? Mais, quelle que soit la « méchanceté » de l’autre, rien ne nous obligera jamais à être « impurs » nous aussi en faisant « sortir » de nous la méfiance, l’indignation, la rancune ou toutes les attitudes que nous connaissons, qui servent seulement à diviser encore plus et à nous isoler des autres et de Dieu. Si nous avons oublié cela en route, ce n’est pas grave, nous ne sommes pas des machines à aimer, mais au moins avouons tout de suite que nous sommes malades et que nous avons besoin de la miséricorde de Dieu pour nous remettre à aimer, mais n’allons pas chercher des excuses terribles pour nous cacher dans notre coin et participer nous aussi à la désintégration de l’humanité.

     

    « La mère d’une petite fille possédée par un esprit mauvais avait appris sa présence, et aussitôt elle vint se jeter à ses pieds. » (7,25)

    Elle « avait appris sa présence » et « aussitôt elle vint se jeter à ses pieds ». Tout est là en quelques mots. Il y a d’abord la présence de Dieu. Dieu est présent : est-ce que nous imaginons ce que cela veut dire ? Penser un seul instant que Dieu puisse être absent. Oui, cela peut arriver dans les épreuves spirituelles des saints que Dieu permette à une âme de sentir que Dieu est absent, c’est tellement terrible. Le jour où cela nous arrivera, Dieu nous donnera en même temps la grâce de ne pas nous arrêter. Mais pour l’instant c’est tellement rassurant de savoir que Dieu est présent. Et pourtant nous agissons si souvent comme si cette présence ne servait à rien...

    Notre amie syro-phénicienne, elle, a bien compris la situation. Elle a « appris » que Jésus était là, sans doute aussi parce qu’elle a su « écouter ». Tout est logique avec Jésus, tout se retrouve, se recoupe, s’harmonise, si on se laisse prendre par Lui. Mais ce qui est frappant ici, c’est que la mère de notre petite malade passe tout de suite de la connaissance à l’action. Combien de fois trouvons-nous dans l’Evangile ce petit mot « aussitôt ». Combien souvent nous comprenons certaines situations, mais nous ne faisons rien, nous n’agissons pas, nous ne laissons pas Dieu résoudre les choses. Notre « foi » en Dieu et ses mystères reste parfois une réalité toute théorique qui ne change rien à nos attitudes de chaque jour. Si nous avions seulement la simplicité d’écouter comme la syro-phénicienne, d’apprendre et de comprendre et de nous jeter « aussitôt » aux pieds de Jésus, c’est à dire de lui demander humblement son aide, de lui demander de prendre en mains notre vie et celle de nos frères, la vie serait un peu plus facile...

     

    « A cause de cette parole, va : le démon est sorti de ta fille. » (7,29)

    Eh oui : il a suffi d’une parole, une phrase, une petite phrase, et Dieu a pu faire le miracle. Dieu ne nous demande pas grand chose au fond. Pourquoi nous compliquons-nous autant la vie ? A chaque étape Jésus est là, présent, qui veut seulement notre accord, rien de plus, un signe de nous, une parole qui veuille dire que nous prenons simplement, en toute liberté, notre responsabilité. Dieu ne nous respecterait pas dans cette liberté s’il nous guérissait contre notre gré ou à notre insu, il veut que nous participions volontiers à son action créatrice et rédemptrice, sinon tout perdrait son sens. Alors, essayons seulement de lui faire signe un peu plus souvent !

     

    « Jésus lui dit : ‘Effata !’, c’est-à-dire : ‘Ouvre-toi !’ » (7,34)

    Nous avons déjà fait dans ce blog de belles recherches sur le verbe « ouvrir » (« Au cœur du verbe »). C’est sans doute un des verbes les plus beaux pour décrire l’action de Dieu. Jésus est là pour ouvrir les portes du Paradis et nous faire entrer dans l’intimité qu’il vit avec le Père et le Saint Esprit. Jésus nous ouvre le chemin, puisqu’il est Lui-même « le chemin ». Jésus nous ouvre les yeux, les oreilles, les mains, l’esprit et le cœur. Il nous ouvre tout pour que rien en nous ne fasse obstacle à la venue de sa source jaillissante d’eau vive, à l’action de son pain de vie, qu’il est encore Lui-même, à l’action de l’esprit qui transforme tout sur son passage. Dieu est ouverture réciproque et infinie : quelle joie de participer, dans la limite de nos capacités humaines, à cette ouverture sans fin qui nous conduira peu à peu à la joie et au bonheur éternels que nous pouvons déjà commencer à goûter ensemble sur cette terre en étant nous aussi ouverts les uns aux autres !

     

     

     


  • Commentaires

    1
    Hayat
    Dimanche 13 Septembre 2015 à 12:46
    Quel beau cadeau que cette analyse méditative !
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