• Matthieu 5

    Je viens de lire et de relire ce chapitre extraordinaire de l’Evangile de Matthieu que je connais pourtant presque par cœur, et j’en ai encore le souffle coupé. Il suffirait de mettre en pratique ces quelques lignes et l’humanité serait sauvée, elle retrouverait finalement la lumière. Il y a là une révolution totale par rapport à la mentalité courante dans laquelle nous sommes enveloppés du matin au soir à travers les réseaux sociaux.

    Mais comment a-t-on pu en arriver là ? Simplement parce que presque personne, en 20 siècles de christianisme, n’a eu l’intelligence ou la patience ou le courage de mettre en pratique ces simples vérités. Ou bien parce que nous n’avons pas essayé de comprendre vraiment ce message venu du ciel pour nous illuminer, mais qui était peut-être trop fort à digérer. Ou bien parce que certains chrétiens ont compris le message, mais ils ont essayé de le vivre seuls dans leur coin et cela n’a pas porté les fruits escomptés…

    Mais quand on relit l’histoire, quand on revient à la période de la révolution française qui a prétendu avoir découvert les valeurs de « liberté, égalité et fraternité », comme si c’était la première fois, et qu’on revient à l’Evangile, et qu’on y voit à chaque page cette « liberté », cette « égalité » et cette « fraternité » et bien plus encore, on se demande où se sont cachées ces valeurs en cours de route.

    Mais venons-en à notre texte. C’est un texte complètement original, par rapport à l’Evangile de Marc qui l’a précédé, à part les quelques phrases sur le « sel de la terre ». On retrouvera quelques lignes semblables en Luc, mais on sent chez Matthieu un souffle tellement original qu’on l’imagine directement branché à la source divine qu’il a pu connaître et contempler personnellement et dont il a apparemment vraiment profité.

    L’introduction de notre chapitre est toute simple : « Quand Jésus vit la foule, il gravit sur la montagne. Il s’assit, et ses disciples s’approchèrent. Alors, ouvrant la bouche, il se mit à les instruire. » Jésus qui passe son temps dans l’Evangile à courir de village en village, de Nazareth à Capharnaüm ou à Jérusalem, va s’arrêter ici pour un bon moment. La foule et les malades, les pharisiens et les pécheurs, tout le monde a disparu tout à coup. Il ne reste que les disciples qui s’approchent pour écouter la Parole qui descend du ciel… et nous avec eux, 2000 ans plus tard. On se demande avec étonnement pourquoi avoir dit que Jésus ouvre la bouche pour parler : mais ce n’est pas une lapalissade, c’est l’attention portée sur cette « bouche » divine, qui est la bouche du Verbe, de la Parole même de Dieu, une bouche qui est source de vie pour tout homme qui veut bien l’écouter. Alors, écoutons-la !

    Je ne ferai ici que quelques remarques rapides, pour m’arrêter ensuite sur les phrases les plus importantes que nous reprendrons comme « Perles de la Parole », car ce chapitre est si riche qu’il nous faudrait des centaines de pages pour y pénétrer en profondeur…

    Les premières lignes, ce sont les fameuses « béatitudes ». La traduction hésite entre « heureux » et « bienheureux » : « heureux les pauvres de cœur », « heureux les doux… les miséricordieux… les cœurs purs… », mais quelle différence au fond ? Bienheureux veut dire d’une joie béate, comme les béatitudes, c’est une sorte de bonheur divin, spirituel, qui prend toute l’âme et tout l’esprit en même temps, et heureux voudrait dire un bonheur plus humain, plus incarné. Mais vivre l’Evangile nous porte à tout cela à la fois, car nous marchons à la suite d’un maître qui est à la fois complètement Dieu et complètement homme, où l’on ne peut plus séparer ce qui est divin et terrestre. C’est nous qui inventons parfois certaines distinctions en nous compliquant la vie. Ce qui est sûr ici, c’est que suivre les « béatitudes » est une voie définitive de bonheur total, même au milieu de la souffrance, et c’est cela la première révolution !

    La deuxième révolution, c’est que chacun de nous, au-delà et même au plus profond de nos faiblesses et de nos limites, nous pouvons être le « sel de la terre » et la « lumière du monde ». « Vous êtes le sel de la terre. Si le sel se dénature, comment redeviendra-t-il du sel ? Il n’est plus bon à rien : on le jette dehors et les gens le piétinent. » « Vous êtes la lumière du monde. Une ville située sur une montagne ne peut être cachée. Et l’on n’allume pas une lampe pour la mettre sous le boisseau ; on la met sur le lampadaire, et elle brille pour tous ceux qui sont dans la maison. De même que votre lumière brille devant les hommes : alors, en voyant ce que vous faites de bien, ils rendront gloire à votre Père qui est aux cieux. »

    Et la troisième révolution c’est notre relation à la Loi et la liberté nouvelle apportée par Jésus par rapport à cette Loi même qu’il nous demande de suivre. Jusqu’à aujourd’hui les croyants et théologiens de tous bords continuent à se disputer sur la juste interprétation à donner à ces paroles. « Ne pensez pas que je suis venu abolir la Loi ou les Prophètes : je ne suis pas venu abolir mais accomplir. Amen, je vous le dis : Avant que le ciel et la terre disparaissent, pas une lettre, pas un seul petit trait ne disparaitra de la Loi jusqu’à ce que tout se réalise. Donc, celui qui rejettera un seul de ces plus petits commandements, et qui enseignera aux hommes à faire ainsi, sera déclaré le plus petit dans le Royaume des cieux. Mais celui qui les observera et les enseignera sera déclaré grand dans le Royaume des cieux. » A noter ici que personne n’est rejeté du Royaume parce qu’il a mal agi : tous restent dans le Royaume des cieux, mais seulement certains y sont « petits » et d’autres « grands ».

    Le problème, c’est que tout de suite après, Jésus va nous dire de dépasser complètement cette Loi et de nous en libérer pour respirer cet air des « béatitudes » qu’il vient à peine de nous donner. Il nous demande de respecter cette Loi, mais de ne pas y rester collés, comme les pharisiens qui ne sont pas capables d’aller plus loin vers le Royaume : « Je vous le dis en effet : si votre justice ne surpasse pas celle des scribes et des pharisiens, vous n’entrerez pas dans le Royaume des cieux. »

    A partir de là, Jésus va presque systématiquement bouleverser cette Loi qu’il nous a à peine demandé de suivre : « Vous avez appris qu’il a été dit aux anciens : ‘Tu ne commettras pas de meurtre’… Eh bien moi, je vous dis : Tout homme qui se met en colère contre son frère… » « Vous avez appris qu’il a été dit : ‘Tu ne commettras pas d’adultère’. Eh bien moi, je vous dis… » « Il a été dit encore : ‘Si quelqu’un renvoie sa femme…’ Eh bien moi, je vous dis… » « Vous avez encore appris qu’il a été dit aux anciens : ‘Tu ne feras pas de faux serments…’ Eh bien moi je vous dis de ne faire aucun serment… » « Vous avez appris qu’il a été dit : ‘Œil pour œil, dent pour dent’. Eh bien moi, je vous dis de ne pas riposter au méchant… » « Vous avez appris qu’il a été dit : ‘Tu aimeras ton prochain et tu haïras ton ennemi’. Eh bien moi, je vous dis : aimez vos ennemis… »

    Il faut avouer que la tête nous tourne un peu ou même beaucoup devant cette révolution en acte. Nous reviendrons sur les phrases les plus importantes. Mais il n’est en effet pas simple de comprendre où nous emmène Jésus qui nous dit au départ que si nous n’observons pas les commandements, nous restons quand même dans le Royaume des cieux et qui nous dit ensuite : « Si ton œil droit entraine ta chute, arrache-le et jette-le loin de toi : car c’est ton intérêt de perdre un de tes membres, et que ton corps tout entier ne soit pas jeté dans la géhenne. » « Et si ta main droite entraine ta chute, coupe-la et jette-la loin de toi : car c’est ton intérêt de perdre un de tes membres et que ton corps tout entier ne s’en aille pas dans la géhenne » Alors doit-on avoir peur de la Loi ou non ? C’est un dilemme qui n’a pas toujours été facile à résoudre.

    Mais s’arrêter à une Loi qui fait peur n’est sûrement pas le but de Jésus. Son but est en fait très clair : créer une véritable fraternité entre les hommes et vivre ainsi la loi divine de l’amour réciproque sur la terre comme au ciel. Mais reprenons encore les passages du chapitre qui peuvent nous éclairer en ce sens. « Donc, lorsque tu vas présenter ton offrande sur l’autel, si, là, tu te souviens que ton frère a quelque chose contre toi, laisse ton offrande là, devant l’autel, va d’abord te réconcilier avec ton frère, et ensuite viens présenter ton offrande. » L’amour du prochain est donc bien plus important que tous les autres commandements.

    Ensuite, quand on se perd dans des discussions morales sans fin sur la mise en pratique de la Loi, on devient comme les pharisiens qui ont oublié en chemin la simplicité du message de Dieu : « Quand vous dites ‘oui’, que ce soit un ‘oui’, quand vous dites ‘non’, que ce soit un ‘non’. Tout ce qui est en plus vient du Mauvais. »

    L’important n’est donc plus la Loi, mais cet amour du Père pour tous les hommes sans distinction, qui nous permet d’être « vraiment les fils de ‘notre’ Père qui est dans les cieux ». Et la conclusion du chapitre est tellement claire : « Si vous aimez ceux qui vous aiment, quelle récompense aurez-vous ? Les publicains eux-mêmes n’en font-ils pas autant ? Et si vous ne saluez que vos frères, que faites-vous d’extraordinaire ? Les païens eux-mêmes n’en font-ils pas autant ? Vous donc, soyez parfaits comme votre Père céleste est parfait. »

    Alors à quoi sert encore la Loi dans tout cela ? Elle sert sans doute quand nous sommes perdus, quand nous avons égaré l’amour de Dieu et du prochain, elle permet de remettre des bases plus saines à notre vie pour avancer et ne pas faire trop de bêtises. Elle ne doit surtout pas devenir une morale qui sert surtout en fin de compte à juger les gens au lieu de les aimer. Mais quand on a connu, goûté et mis en pratique l’amour des béatitudes, sur lequel nous allons revenir très bientôt, on n’a plus trop besoin de la Loi, on baigne dans la béatitude céleste d’un amour infini qui nous porte et nous donne la force de ressembler à Dieu, au-delà de toute notre petitesse. L’aventure commence et ne s’arrêtera que si nous-mêmes l’oublions en route, et ce serait tellement dommage, quand on a enfin découvert le trésor.


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