• Posséder (suite)

    J’ai envie de parler aujourd’hui encore de ce misérable « posséder ». Il y a une phrase de Mère Teresa qui m’a beaucoup frappé : « Moins nous possédons et plus nous pouvons donner. »

    Si on la prend tout de suite à la lettre, elle n’est pas logique. Si un pauvre me demande de l’argent et que je n’en ai pas, comment faire pour lui en donner ? Si je ne possède rien, je ne pourrai servir personne dans la vie, ni ma famille, ni mes enfants, ni mes amis. Il est évident que ce n’est pas sur ce plan trop terre à terre que se place Mère Teresa. Mais qu’a-t-elle voulu dire exactement ?

    Je crois qu’il y a ici deux interprétations possibles. La première c’est de penser que plus je possède, plus j’ai envie de posséder, plus je deviens avide d’avoir toujours et toujours plus, et moins je serai libre de donner. Les vrais riches se condamnent eux-mêmes à rester enfermés dans leur tour d’ivoire toute leur vie et ils n’ont même plus le temps de penser aux autres et de s’apercevoir que ces « autres » auraient peut-être besoin d’un minimum d’aide. C’est la négation même de toute véritable relation sociale.

    Mais je pense que l’interprétation la plus juste en est encore une autre, un peu plus complexe, mais tellement vraie. Le véritable problème ce n’est pas la quantité de biens matériels qui sont entre nos mains, mais la relation que nous avons avec ces biens matériels, le sens de notre « avoir ».

    Le véritable secret, ce que Mère Teresa essaye de nous dire, c’est que nous devrions parvenir un jour à « avoir » sans « posséder ». Une plaisanterie ? Non, c’est très sérieux. Il s’agit de comprendre comment nous considérons tout ce qui nous appartient d’une manière ou d’une autre.

    Il y a évidemment une différence entre de l’argent, des biens durables comme une maison, des meubles, une voiture, d’autres biens que l’on change plus souvent comme des habits, ou ce que nous consommons chaque jour comme de la nourriture, un journal ou des instruments ou des ingrédients qui nous servent à tenir propre notre appartement…

    Mais au fond le rapport avec tous ces objets ne va pas changer beaucoup. Et on peut considérer ici, de manière évidemment caricaturale, qu’il y a deux manières de nous rapporter à toutes nos « richesses ». Ou bien penser que nous les « possédons », car nous les avons payées, achetées, gagnées d’une manière ou d’une autre. Elles sont donc bien à nous et il n’y a aucune raison que les autres nous les prennent : ils n’ont qu’à s’arranger eux aussi pour « posséder » les biens dont ils ont besoin.

    Ou bien considérer que tout ce qui passe entre nos mains ou dans notre vie de tous les jours est simplement un cadeau de la nature, un trésor que la vie nous a confié pour nous aider à vivre et à grandir, mais surtout pour en faire un instrument à mettre au service de nos compagnons de voyage sur cette terre. Si j’ai la chance d’ « avoir » un certain nombre de choses à ma disposition, et surtout si d’autres autour de moi n’ont pas cette même chance, voilà une responsabilité évidente : celle de partager pour que tous puissent jouir avec la même intensité des richesses de la terre et de la société.

    Car si l’humanité est une famille, tout ce que je reçois, tout ce que j’acquiers en chemin est peut-être pour moi, mais c’est aussi bien pour mes frères ou pour mes sœurs. Je n’ai alors même plus le temps ni l’envie de « posséder », car je suis seulement occupé, cœur et esprit, à me servir tout au long de la journée de ce que j’ai reçu pour en faire profiter les autres. Rien n’est au fond à moi pour toujours, pas même la vie, ni mon corps tel qu’il est au moins sur cette terre. Ce qui est à moi c’est uniquement mon « moi », ce qui fait de moi ma personnalité, mais cela non plus n’est pas une possession, c’est plutôt un courant vital que j’ai reçu et que j’ai appris à conduire sur les chemins de la vie vers des horizons toujours plus grands, où l’on respire toujours plus.

     

    Arrêter toute ce flux vital en moi et autour de moi pour vouloir le « posséder » serait simplement une sorte de suicide avant le temps, ce serait me condamner à une vie repliée sur moi-même et mes « possessions », où je n’aurais plus aucune relation vraie avec les autres… Ce sont évidemment là les deux extrêmes de notre caricature, mais la phrase de Mère Teresa peut nous faire au moins réfléchir un peu ou beaucoup et nous libérer peu à peu de tout ce que nous croyions « posséder », car tout cela est simplement une chance que nous avons de « donner » et de laisser à travers nous la vie se répandre dans la joie sur tous ceux qui nous entourent et qui seront tellement heureux eux aussi de nous donner à leur tour. Le paradis sur terre ? Encore un peu d’utopie ? Chacun est libre d’essayer et de voir où cela le mène !


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  • Commentaires

    1
    Hayat
    Samedi 30 Avril 2016 à 15:05
    Le hic c'est que parfois on ne voit plus ce qu'on a ...on ne s'arrête pas un instant pour le voir...mais le besoin de l'autre vient nous réveiller !
    Mais que veux-tu dire par" suicide avant le temps "?
    Autre chose :ce besoin parfois exacerbé de "posséder" me semble lié à la "peur",une peur inconsciente en fait ....
      • Lundi 2 Mai 2016 à 08:43

        Le suicide c'est arrêter la vie au lieu de la laisser suivre son cours. Puisque suivre le cours de la vie, c'est continuer à donner et partager ce flux vital qui continuellement nous arrive, arrêter ce courant bienfaisant est certainement arrêter la vie, et c'est donc une forme de suicide, dont on n'a malheureusement pas conscience.

        Quant aux raisons de cette manie de vouloir toujours posséder, il y a évidemment certainement la peur, due à de mauvaises expériences passées. C'est pour cela que nous ne devons jamais juger ceux qui veulent à tout prix "posséder" au lieu de donner: ce sont peut-être des victimes qui n'ont plus la force de partager. Et c'est pour cela que nous devons nous battre pour une culture du don qui libérera l'homme de ses fausses assurances qui ne servent qu'à le replier sur lui-même...

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