• De Matthieu à Luc 19 (3)

    [Pour nous préparer à la lecture du chapitre 19 de l’Evangile de Luc, nous reprenons ce commentaire publié dans ce blog en 2021]

    Avoir en Dieu

    « Enlevez-lui donc son talent et donnez-le à celui qui en a dix. Car celui qui a recevra encore, et il sera dans l’abondance. Mais celui qui n’a rien se fera enlever même ce qu’il a. » (Mt 25,28-29) (cf. Lc 19,24-26 : « Retirez-lui la pièce d’or et donnez-la à celui qui en a dix… Celui qui a recevra encore ; celui qui n’a rien se fera enlever même ce qu’il a. »)

    Je crois que nous avons ici une occasion en or d’entrer un peu plus dans le secret de l’amour de Dieu, le secret de la vie et du bonheur, si nous nous arrêtons sérieusement sur cette phrase avec l’aide de l’Esprit Saint qui est en nous et au milieu de nous. C’est une phrase tellement choquante que nous devons percer son mystère, si nous ne voulons pas en tirer des banalités ou même des bêtises.

    Car si je prends cette phrase à la lettre, comme elle se présente, au moins dans nos langues occidentales, je vais devoir conclure que notre Dieu est un tyran qui s’amuse à donner toujours plus aux riches, à leur donner dans l’abondance, jusqu’à priver les pauvres du peu qu’ils ont pour en gratifier encore ces riches, dans un système qui serait basé sur la pire des injustices et la plus grande corruption ! C’est comme cela que se présenterait à nous ce Dieu Amour qui prétend aimer chacun ?

    Il y a évidemment un équivoque, un immense malentendu dans toute cette histoire. Elle vient en fait ici surtout du problème de notre pauvre verbe « avoir » qui prête toujours à confusion. Et il faut bien noter en passant que le verbe « avoir » n’existe pas dans la langue de Jésus et que, jusqu’à nos jours, il n’existe pas dans les langues sémitiques comme l’arabe.

    La confusion vient du fait qu’ « avoir » a en réalité deux sens bien différents. Pour « avoir », il faut en général avoir reçu en cadeau, en don, quelque chose qui nous a été confié. Et c’est ce qui se passe déjà à l’intérieur de la Trinité, telle que l’Evangile nous la révèle. Le Père donne sa vie divine au Fils dans l’Esprit, le Fils reçoit cette vie du Père et il « a » donc en Lui cette vie d’Amour infini qui coule dans tout son être de Fils. Cette vie est à Lui comme le plus beau des cadeaux. Et le Fils la redonne au Père à son tour tout de suite dans l’Esprit, ou bien il la donne à l’humanité que le Père lui a confiée.

    Chacun de nous reçoit à la naissance cette vie de Dieu en lui, comme un trésor qui lui est confié et qu’il va faire grandir et faire fructifier pour la donner à son tour aux personnes que Dieu met sur son chemin. A un certain moment, Dieu va ensuite confier à l’un ou l’autre un mari, une femme, des enfants, des amis, des proches, des connaissances, chacun va recevoir des cadeaux ou des talents de ce genre qui lui sont confiés pour qu’il en prenne soin, pour qu’il les aide à grandir, à respirer, à savoir vivre au milieu des épreuves de l’existence. Une belle mission où nous sentons que nous sommes appelés à donner toute notre vie pour ces beaux talents reçus de Dieu. Et comme il est beau de dire ainsi : « j’ai » une femme ou un mari ou des enfants ou des amis que j’aime plus que moi-même. Je suis dans la dynamique de l’amour trinitaire qui va et qui retourne sans cesse, sans jamais s’arrêter.

    Mais le problème, le péché, le piège c’est quand ce verbe « avoir » prend le sens de « posséder » qu’il a malheureusement si souvent. En un instant tout le paradis de ces belles relations trinitaires s’évanouit comme dans le pire des cauchemars. Car, sans nous en rendre compte, nous avons détourné pour nous-mêmes et nos intérêts égoïstes le plus beau des dons que Dieu nous avait confié. Alors je commence à posséder ma femme, mon mari, mes enfants, mes amis, j’essaye de posséder ma vie, ma santé, mon corps, mon esprit, mon cœur et le cœur des autres. Je deviens un voleur, un escroc, un malfaiteur, parce que j’ai trahi la confiance que Dieu m’avait donnée.

    Alors je commence à comprendre la phrase de Jésus. Celui qui « a » un talent ou des talents qu’il a reçus de Dieu est le plus heureux des hommes, car s’il se donne de tout son cœur pour faire grandir et fructifier ces talents, pour aider par exemple les personnes qu’il aime à trouver toujours plus de paix, d’amour et d’espoir dans leur vie. Dieu va leur confier des cadeaux toujours plus abondants, toujours plus importants, comme il le fait avec les saints comme Mère Teresa, qui n’ont plus une minute à eux parce que, du matin au soir, ils continuent sur terre le travail que Jésus a commencé il y a 2000 ans et ils vivent déjà le paradis ici-bas avant de le retrouver bientôt pour toujours dans la vie éternelle.

    Tandis que le pauvre qui n’a rien compris, celui qui pense que ce qu’il a reçu de Dieu, c’est une possession dont il peut faire ce qu’il veut, de sa propre vie à toutes les personnes qu’il rencontre, voilà qu’il se détache de la source de la vie, qu’il se débranche de la lumière et qu’il se retrouve bientôt sans plus rien entre les mains. Comme un homme insensé qui, au lieu de jouir de la beauté de la mer dans laquelle on se baigne et on se rafraichit, voudrait emporter cette mer dans un sac pour la posséder chez lui : en arrivant à la maison, il ne lui restera plus grand-chose. Tout est là, la différence entre le paradis et le purgatoire ou l’enfer sur cette terre, dont nous sommes entièrement responsables dans la liberté que Dieu nous a donnée. A nous de choisir. Avec tout de même la consolation de savoir que si nous nous sommes trompés en chemin, la miséricorde de Dieu est toujours là pour nous accueillir et nous aider à repartir en Lui comme si de rien n’était…

     

     


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