• Le Liban existera toujours

    (Un an après l’explosion du port de Beyrouth)

    Comme j’étais heureux ce 2 août 2020 de rentrer finalement au Liban, après avoir été retenu prisonnier en France pendant des mois à cause du covid ! J’étais tellement heureux qu’à mon arrivée j’avais pris toute une série de photos à travers mon hublot sur la gauche de l’avion : la côte libanaise qui approchait, le port de Beyrouth !!, Achrafieh, Hamra, Raoucheh… Je ne pouvais évidemment pas imaginer que ces photos du port allaient devenir « historiques ».

    Eh bien, cette année, après un mois et demi passé de nouveau dans ma famille en France, j’étais encore plus ému de retourner au Liban pour continuer à lui donner ma vie, comme le Liban m’a donné la sienne, depuis plus de 50 ans maintenant. Alors je suis fatigué d’entendre toutes ces phrases terriblement négatives qui voudraient nous dire que le Liban est fini, que plus rien ne sera comme avant depuis le 4 août 2020, etc.

    Bien sûr que le Liban souffre comme il n’a peut-être jamais souffert. Bien sûr que plus rien ne sera comme avant. Mais qu’est-ce que cela veut dire ? Chaque vie est faite d’une série d’étapes qui se succèdent de manière plus ou moins belle ou douloureuse, mais le principe de la vie, c’est justement qu’elle évolue toujours et qu’elle invente toujours quelque chose de nouveau. Et même la mort fait partie de la vie, comme cette image du grain de blé qui meurt en terre pour porter du fruit…

    Le Liban peut même mourir, au moins provisoirement, mais il n’en finira jamais d’exister. Mais qu’est-ce que c’est qu’un pays, une nation, une patrie ? C’est certainement une terre, et la terre libanaise est bien toujours là. Et pourtant il existe des peuples de ce monde qui ont perdu leur terre, en partie ou totalement, et qui continuent d’exister. Combien le peuple arménien en est-il une démonstration merveilleuse.

    Car un pays, au-delà de sa terre, c’est surtout un peuple, une âme, une culture et des valeurs que personne ne pourra jamais lui voler. Je sais combien il est triste en ce moment de voir partir à l’étranger toute une partie de la jeunesse libanaise. Ce ne sont pas des traitres à leur patrie, ce sont au contraire des jeunes pleins de vie qui savent que pour l’instant c’est ailleurs qu’ils parviendront le mieux à exprimer tous leurs talents, et ces talents libanais ne mourront jamais.

    Vous ne savez peut-être pas que, dans ma famille bien française, nous avons découvert avec surprise, en effectuant des recherches dans notre arbre généalogique, que nous avions un ancêtre qui était un esclave noir libéré qui a épousé en Guyane française, il y a un peu plus de 200 ans, une de nos arrière-grand-mères, venue de la région de Toulouse et émigrée justement en Guyane. Quoi de plus triste pour un peuple que d’être déporté en esclavage loin de sa terre. Et je suis ému chaque fois que je pense maintenant que cet ancêtre africain continue en moi à faire du bien à l’humanité chaque fois que je donne ma vie pour quelqu’un, au Liban ou ailleurs.

    Et, à ce sujet, on pourrait reprendre cet exemple merveilleux de l’âme africaine qui continue à vivre par exemple dans le jazz ou le sport de l’Amérique du Nord, apportant toute une culture qui n’en finit pas d’illuminer l’humanité. Tous ces peuples des pays d’immigrations comme le Brésil, l’Argentine, le Canada ou l’Australie, sont faits d’un amalgame d’autres peuples qui continuent à vivre en eux…

    Alors, je vous en prie, ne me dites plus que le Liban ne se relèvera plus de ces dernières blessures. Tant qu’il y aura des Libanais pour vivre ici ou ailleurs les valeurs de l’âme libanaise, tant qu’il y aura des personnes comme moi qui sont devenues amoureuses du Liban et qui en vivent, elles aussi, les valeurs à leur façon, le Liban existera toujours. Il existera sans doute en gémissant, en pleurant, mais en se relevant de nouveau après chaque coup reçu. La maladie est toujours suivie d’une convalescence. La mort est toujours suivie d’une nouvelle vie. C’est tellement triste de voir mourir quelqu’un qu’on aime, mais on sait aussi que sa vie continuera en nous et dans ses descendants, sans compter bien sûr cette vie dans l’au-delà qui nous attend. Mais même sans la foi en Dieu, la foi en l’humanité est déjà une réponse si bouleversante au drame immense que nous sommes en train de vivre.

    Bien sûr que nous sommes en ce moment fatigués, déprimés, exténués. Nous ne voyons même plus la fin de notre tunnel. Mais cela ne veut absolument pas dire que la lumière a fini de briller pour toujours. Le tunnel est une étape de la vie. L’espoir et l’espérance ne mourront jamais, sinon nous devrions tous nous suicider sans attendre. Et chacun de nous porte en lui l’âme de l’humanité en passant par l’âme du peuple qui l’a fait naître et de tous les autres peuples qui l’ont accueilli au cours de sa vie. Et ce merveilleux voyage sur la terre, avec toutes ses épreuves, n’en finira jamais d’être un immense cadeau qui nous remplit d’émotion et de reconnaissance, chaque fois que nous y pensons profondément…

     


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