• « Quand tu donnes un déjeuner ou un dîner, n’invite pas tes amis, ni tes frères, ni tes parents, ni de riches voisins ; sinon, eux aussi t’inviteraient en retour, et la politesse te serait rendue. Au contraire, quand tu donnes un festin, invite des pauvres, des estropiés, des boiteux, des aveugles ; et tu seras heureux, parce qu’ils n’ont rien à te rendre ; cela te sera rendu à la résurrection des justes. » (Lc 14,12-14)

    Je crois que cette fois-ci je vais vous scandaliser. Ou plutôt, non, je vais vous aider à vous laisser scandaliser par Jésus. C’est ce qui vient de m’arriver quand j’ai décidé de lire et de relire ce passage assez choquant de notre Evangile jusqu’à ce que je sente qu’enfin il a commencé à m’interpeller en profondeur. Car il y a toujours une lecture belle et sympathique des paroles de Jésus qui nous aide un moment mais qui ne nous touche pas vraiment jusqu’au fond, et une autre lecture qui devient une véritable rencontre avec le cœur de Jésus.

    En fait, si on accepte de lire cette histoire, on est obligé de constater que Jésus n’aime pas la politesse. Entendons-nous, Jésus aime tout et tout le monde, il est Dieu Amour, on le sait. Et ce qu’il déteste seulement c’est le mal absolu. Oui, mais il ne supporte pas les soi-disant valeurs superficielles qui ne mènent pas loin, qui créent une bonne conscience facile, mais qui ne vont pas au fond des choses et des problèmes et qui laissent finalement le mal continuer à guider le monde. Ces fausses valeurs ce sont justement ces valeurs relationnelles du genre de la politesse, du respect ou d’une certaine gentillesse de façade. Bien sûr Jésus comprend la bonne politesse, le bon respect, la bonne gentillesse qui sont une première étape dans notre relation d’amour avec le prochain.

    Mais il est une politesse fondamentalement égoïste qui te fait être poli avec le voisin parce que comme cela le voisin sera obligé d’être poli avec toi et il ne te dérangera plus. Il existe un respect qui tient l’autre à distance de toi pour qu’il n’entre pas trop dans ta vie intime. Ou une certaine gentillesse qui oblige l’autre à être gentil avec toi et ainsi chacun pourra rester tranquille dans son coin. Et le résultat de toutes ces relations superficielles ? C’est justement ce que vient de nous dire Jésus au chapitre 12 de Luc: si l’on ne parvient à construire entre nous de véritables relations d’amour comme Jésus les vit avec le Père et l’Esprit Saint dans la Trinité, même les plus belles familles seront bientôt divisées, « le père contre le fils et la mère contre la fille… » et toute la société finira par se désagréger.

    En fin de compte que sont les vraies valeurs ? Ce sont celles qui conduisent à aimer gratuitement, sans intérêt, sans attendre une réponse de l’autre qui devient peu à peu une sorte de chantage : je t’aime si tu m’aimes, je te fais confiance si tu me fais confiance. Même cette « réciprocité » divine qui est une des plus belles réalités de l’Evangile peut être vidée de tout son sens si je vis la réciprocité pour obliger l’autre à m’aimer, ce qui serait une tentation terrible de tomber dans un amour de possession qui va tout gâcher.

    Tandis que si je vis avec le prochain cet amour qui sait accueillir et se donner comme Dieu, quelle que soit la réponse de l’autre, je libère l’autre et bientôt il se met m’aimer non plus par devoir mais par amour. Ce devoir apparemment nécessaire qui a fait du message chrétien une sorte de prison morale dont l’humanité a fini en grande partie par se libérer, et c’est ce qui explique que tellement d’églises sont vides dans notre monde moderne. Mais elles se rempliront bien vite quand nous prendrons au sérieux et de tout notre cœur l’amour de Dieu qui libère et fait respirer. Un amour tel que c’est Dieu lui-même qui te répond, « à la résurrection des justes » bien sûr, mais déjà ici-bas quand on a le courage de commencer à vivre « sur la terre comme au ciel ».

     


    votre commentaire
  • Ce chapitre de Luc est relativement court. On n’y trouve pas d’épisode extraordinaire, ni de conseils spéciaux aux disciples comme nous en rencontrerons encore avant l’arrivée définitive à Jérusalem qui approche.  Jésus s’adresse ici encore aux pharisiens et à la foule qui le suit. Et tout y est empreint d’une immense sagesse. Ces passages sont originaux, mais ils ressemblent encore à d’autres passages connus en Marc et Matthieu et on y retrouve un certain nombre de phrases-clés qui sonnent comme de véritables proverbes, que l’on a pu lire déjà ici et là dans différents contextes des autres Evangiles. Jésus y partage encore toute sa lumière, à la fois en vue du Royaume de Dieu qui nous attend et pour apprendre comment mieux vivre dans le quotidien de nos relations humaines.

    « Un jour de sabbat, Jésus était entré chez un chef des pharisiens pour y prendre son repas, et on l’observait. Justement, un homme atteint d’hydropisie était là devant lui. Jésus s’adressa aux docteurs de la Loi et aux pharisiens pour leur demander : ‘Est-il permis, oui ou non, de faire une guérison le jour du sabbat ?’ Ils gardèrent le silence. Jésus saisit alors le malade, le guérit et le renvoya. Puis il leur dit : ‘Si l’un de vous a son fils ou son bœuf qui tombe dans un puits, ne va-t-il pas l’en retirer aussitôt, le jour même du sabbat ?’ Et ils furent incapables de trouver une réponse.

    Remarquant que les invités choisissaient les premières places, il leur dit cette parabole : ‘Quand tu es invité à des noces, ne va pas te mettre à la première place, car on peut avoir invité quelqu’un de plus important que toi. Alors, celui qui vous a invités, toi et lui, viendrait te dire : ‘Cède-lui ta place.’ Et tu iras, plein de honte, prendre la dernière place. Au contraire, quand tu es invité, va te mettre à la dernière place. Alors, quand viendra celui qui t’a invité, il te dira : ‘Mon ami, avance plus haut’, et ce sera pour toi un honneur aux yeux de tous ceux qui sont à table avec toi. Qui s’élève sera abaissé ; qui s’abaisse sera élevé.’

    Jésus disait aussi à celui qui l’avait invité : ‘Quand tu donnes un déjeuner ou un dîner, n’invite pas tes amis, ni tes frères, ni tes parents, ni de riches voisins ; sinon, eux aussi t’inviteraient en retour, et la politesse te serait rendue. Au contraire, quand tu donnes un festin, invite des pauvres, des estropiés, des boiteux, des aveugles ; et tu seras heureux, parce qu’ils n’ont rien à te rendre ; cela te sera rendu à la résurrection des justes.’ En entendant parler Jésus, un des convives lui dit : ‘Heureux celui qui participera au repas dans le royaume de Dieu.’ »

    Nous reviendrons bien sûr sur ce passage tellement original et cette nouvelle béatitude qui lui sert de conclusion. Jésus nous surprend toujours par ses pensées qui devaient être bien révolutionnaires à l’époque et qui ne le sont pas moins aujourd’hui. Pour répondre à la béatitude de ce convive, Luc va nous présenter maintenant un nouvel épisode original mais qui ressemble étonnamment à celui de Matthieu qui nous parlait du roi qui lançait des invitations pour les noces de son fils, même si on notera tout de même des différences.

    « Jésus lui dit : ‘Un homme donnait un grand dîner, et il avait invité beaucoup de monde. A l’heure du dîner, il envoya son serviteur dire aux invités : ‘Venez, maintenant le repas est prêt.’ Mais tous se mirent à s’excuser de la même façon. Le premier lui dit : ‘J’ai acheté un champ, et je suis obligé d’aller le voir : je t’en prie, excuse-moi.’ Un autre dit : ‘J’ai acheté cinq paires de bœufs, et je pars les essayer ; je t’en prie, excuse-moi.’ Un troisième dit : ‘Je viens de me marier, et, pour cette raison, je ne peux pas venir.’ A son retour, le serviteur rapporta ces paroles à son maître. Plein de colère, le maître de maison dit à son serviteur : ‘Dépêche-toi d’aller sur les places et dans les rues de la ville, et amène ici les pauvres, les estropiés, les aveugles et les boiteux.’ Le serviteur revint lui dire : ‘Maître, ce que tu as ordonné est fait, et il reste de la place.’ Le maître dit alors au serviteur : ‘Va sur les routes et dans les sentiers, et insiste pour faire entrer les gens, afin que ma maison soit remplie. Car, je vous le dis, aucun de ces hommes qui avaient été invités ne profitera de mon dîner.’ »

    L’épisode de Matthieu est évidemment bien différent, puisque les serviteurs et même le fils du roi ont été finalement tués par les invités et le roi les a tous fait massacrer, mais la leçon est au fond la même : nous sommes tous invités au royaume, ne perdons pas cette occasion que nous offre l’amour de Dieu, mais encore faut-il s’en rendre compte…

    Notre chapitre rapide va déjà se terminer maintenant par de nouvelles perles de Jésus adressées à la foule et que nous essayerons ensuite d’approfondir ensemble : « De grandes foules faisaient route avec Jésus ; il se retourna et leur dit : ‘Si quelqu’un vient à moi sans me préférer à son père, sa mère, sa femme, ses enfants, ses frères et sœurs et même sa propre vie, il ne peut pas être mon disciple. Celui qui ne porte pas sa croix pour marcher derrière moi ne peut pas être mon disciple.

    Quel est celui d’entre vous qui veut bâtir une tour, et qui ne commence pas par s’asseoir pour calculer la dépense et voir s’il a de quoi aller jusqu’au bout ? Car, s’il pose les fondations et ne peut pas achever, tous ceux qui le verront se moqueront de lui : ‘Voilà un homme qui commence à bâtir et qui ne peut pas achever !’

    Et quel est le roi qui part en guerre contre un autre roi, et qui ne commence pas par s’asseoir pour voir s’il peut, avec dix mille hommes, affronter l’autre qui vient l’attaquer avec vingt mille ? S’il ne le peut pas, il envoie, pendant que l’autre est encore loin, une délégation pour demander la paix. De même, celui d’entre vous qui ne renonce pas à tout ce qui lui appartient ne peut pas être mon disciple.

    C’est une bonne chose que le sel ; mais si le sel lui-même se dénature, avec quoi lui rendra-t-on sa force ? Il ne peut servir ni pour la terre, ni pour le fumier : on le jette dehors ! Celui qui a des oreilles pour entendre, qu’il entende !’ »

    Après une telle nouvelle avalanche de pensées et de conseils, on a envie de s’arrêter et de lire et relire pour entrer dans le cœur de ce que Jésus tient tellement à nous dire, pour ouvrir nos oreilles et notre esprit pour pénétrer un peu plus dans le mystère. C’est ce que nous tenterons de commencer à faire en reprenant de nouveau quelques-unes au moins de ces « perles » si particulières…


    votre commentaire
  • [Pour nous préparer à la lecture du chapitre 14 de l’Evangile de Luc, nous reprenons ce commentaire publié dans ce blog en 2015]

    « Si quelqu’un a des oreilles pour entendre, qu’il entende ! » (Mc 7,16) (cf. Lc 14, 35b : « Celui qui a des oreilles pour entendre, qu’il entende ! » cf. aussi Mc 4,9.23, Mt 11,15 et 13,9 et Lc 8,8)

    Entendre, écouter ! Un proverbe africain dit que Dieu a donné à l’homme une seule bouche mais deux oreilles parce qu’il devrait écouter deux fois plus qu’il ne parle : si vraiment nous étions des hommes sages... Ecouter, c’est accueillir, comprendre, pénétrer au cœur des choses et des gens. Ecouter c’est connaître de l’intérieur les réalités telles qu’elles sont et non pas telles que notre imagination a envie de les forger selon ses caprices.

    Si l’on passait sa journée à entendre et écouter, combien de bêtises seraient évitées, combien de mauvaises directions seraient redressées, combien la vie deviendrait moins chaotique et plus harmonieuse, car elle serait telle qu’elle est. Bien sûr, il y a des problèmes dans la vie, de graves problèmes, mais ce n’est pas par la panique et l’agitation que nous allons les résoudre, mais en nous arrêtant complètement de courir, en éteignant tous les bruits qui nous empêchent de comprendre et en écoutant la vérité. Et la vérité, qui se trouve en Dieu et parmi nos frères nous redonnera la lumière.


    votre commentaire
  • [Pour nous préparer à la lecture du chapitre 14 de l’Evangile de Luc, nous reprenons ce commentaire publié dans ce blog en 2015]

    « C’est une bonne chose que le sel ; mais si le sel cesse d’être du sel, avec quoi allez-vous lui rendre sa force ? Ayez du sel en vous-mêmes et vivez en paix entre vous. » (Mc 9,50) (cf. Lc 14,34-35a : « C’est une bonne chose que le sel ; mais si le sel lui-même se dénature, avec quoi lui rendra-ton sa force ? Il ne peut servir ni pour la terre, ni pour le fumier : on le jette dehors ! » cf. aussi Mt 5,13)

    On peut sans doute trouver beaucoup d’interprétations à la signification du « sel » dans ce chapitre de Marc. Le sel, c’est ce qui donne du goût et en même temps un élément indispensable à la santé. Le sel, ce ne peut être ici que la vie de Dieu en nous et entre nous. Et, pour être conséquents avec cette découverte que nous continuons à faire, pas à pas, à la lecture de l’Evangile, cette découverte du cœur de la vie trinitaire qui est accueil et don dans la réciprocité, ce sel ne pourra pas être autre chose que cette dynamique trinitaire en nous et parmi nous. Notre mentalité occidentale qui tend à l’individualisme a enlevé beaucoup de sel au message du Christ. On nous a formés pendant des générations à un idéal de sainteté qui risquait d’être trop personnel, trop égoïste en fin de compte. Cette petite phrase qui relie le « sel » à « la paix entre nous », n’est-elle pas une confirmation de ce que nous avons trouvé à chaque page de notre Evangile, le lien tellement étroit entre l’amour de Dieu, l’amour du prochain et surtout la réciprocité de cet amour, à l’image de ce que le Père, le Fils et l’Esprit vivent ensemble et pour nous de toute éternité ?

     


    votre commentaire
  • [Pour nous préparer à la lecture du chapitre 14 de l’Evangile de Luc, nous reprenons ce commentaire publié dans ce blog en 2015]

    « Si quelqu’un veut marcher derrière moi, qu’il renonce à lui-même, qu’il prenne sa croix, et qu’il me suive. » (Mc 8,34) (cf. Lc 14,27 : « Celui qui ne porte pas sa croix pour marcher derrière moi ne peut pas être mon disciple. » cf. aussi Mt 16,24 et Lc 9,23)

    On ne peut évidemment pas imaginer de déclaration qui aille plus à contre-courant de la mentalité ordinaire. Cette petite phrase est de la même dimension que tout le sermon des béatitudes. Elle révolutionne complètement notre vie. Elle est d’une logique qui nous échappe au départ et qu’on ne pourra comprendre qu’en la mettant en pratique. Ce qu’il y a d’extraordinaire dans l’Evangile, c’est qu’on peut toujours essayer de le mettre en pratique et qu’on peut donc vérifier si ce que Jésus nous dit est vrai ou non. Et heureusement que nous avons devant nous des témoins de l’Evangile qui nous ont frayé le chemin et qui sont parvenus au but par cette méthode apparemment si étrange, preuve que la révolution de l’Evangile n’est pas une utopie.

    Mais je voudrais faire ici une considération à laquelle on oublie en général de penser, quand on lit cette fameuse déclaration de Jésus. Si on prenait cette phrase à la lettre, elle serait absolument impossible à vivre. Car Dieu nous demande d’un côté de nous arrêter (renoncer à soi-même) et de porter notre croix (qui devrait normalement nous écraser complètement de son poids, si c’est une vraie croix) et il nous demande de marcher à sa suite, de le suivre. Comment faire ? C’est qu’en réalité Jésus nous demande seulement de faire le premier pas vers lui, d’avoir l’intention de porter notre croix et en même temps la sienne. Mais la vérité, c’est que lui-même va porter tout de suite cette croix avec nous et nous allons la trouver soudain si légère que vraiment nous pourrons le suivre. Là est le secret de son amour. Renoncer à nous-mêmes pas pour nous arrêter de faire ou de vivre ce que nous faisons et ce que nous vivons, mais pour tout orienter vers lui. Car c’est en nous repliant sur nous-mêmes que nous risquons en fait de nous arrêter au lieu de le suivre. Et c’est en refusant notre croix que nous allons perdre notre chemin et ne plus savoir où trouver la route qui nous mène à lui.

     


    votre commentaire


    Suivre le flux RSS des articles de cette rubrique
    Suivre le flux RSS des commentaires de cette rubrique