• « J’ai eu peur, et je suis allé enfouir ton talent dans la terre. Le voici. Tu as ce qui t’appartient. » (Mt 25,25)

    Dommage, vraiment dommage, mais ce pauvre serviteur n’a rien compris aux intentions de son maître. Il avait pourtant une responsabilité moins grande que les deux autres serviteurs qui avaient reçu, l’un cinq talents et l’autre deux talents. Et malgré cela il a complètement paniqué.

    Il n’a d’abord pas compris que son maître avait placé une grande confiance en lui dont il devait être fier, qui aurait dû lui donner la force et le courage de faire fructifier son talent. C’était déjà une grossière erreur dans sa relation avec le maître. C’est l’erreur de tous ceux qui font de la religion, une pratique extérieure, une morale où l’on se juge les uns les autres et où l’on se fait peur les uns les autres. Alors que notre Dieu est là pour donner sa vie pour nous et non pas pour nous faire passer des examens et nous condamner.

    Mais il y a aussi une autre erreur grossière sur la relation que notre Dieu a avec l’univers, la création et ses richesses, et avec l’homme lui-même qui est le plus grand trésor de cette création. Comme nous l’avons souvent répété dans nos commentaires, le Dieu des béatitudes que l’Evangile nous montre n’est pas un Dieu de possession. Il ne sait même pas posséder. Il sait seulement donner la vie et donner sa vie à tout l’univers pour le faire grandir, se développer et porter du fruit toujours plus abondant.

    Le pauvre serviteur croyait que son maître aimait posséder son talent. Et pour quoi en faire ? Pour le regarder dans un tiroir et se sentir fier d’être riche en se regardant lui-même avec sa richesse ? Non, l’univers n’appartient pas à Dieu, pas plus que l’humanité. Cela ne l’intéresse pas. Dieu n’a pas une âme de propriétaire, mais de source de vie. Dieu a créé chaque réalité de l’univers comme une semence qui va devenir une plante, puis un arbre et qui va porter ses fruits. Dieu aime la vie parce qu’elle sort de Lui. Elle est faite à son image, dans le sens que la vie n’arrête jamais de se développer, de se reproduire. Et si elle semble mourir parfois, comme la semence qui pourrit dans la terre, c’est pour donner ensuite une vie toujours nouvelle.

    Quand Dieu nous confie la vie comme à un associé, au lieu d’avoir peur de cette responsabilité, nous devrions simplement nous laisser faire. Nous devrions être émus par un tel amour divin, une telle confiance. Dieu veut nous élever au rang de véritables partenaires et collaborateurs de sa vie divine. Et il nous demande seulement de commencer le travail, parce qu’en fin de compte l’essentiel de la responsabilité repose toujours sur lui. Il a seulement désiré dans son immense amour inventer quelqu’un dans l’univers avec qui il puisse partager ses pouvoirs divins de donner la vie sans cesse. Et nous sommes tellement stupides ou ingrats que nous sommes capables d’arrêter cette vie qu’il nous confie, de la détourner sur nous, de vouloir la posséder, comme on enferme un oiseau en cage au lieu de le laisser voler. Quel gâchis vraiment l’homme est capable de combiner ! Et pourtant Dieu dans sa miséricorde est toujours prêt à recommencer la vie à zéro avec chacun de nous. Quelle leçon d’amour infini !


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  • « Très bien, serviteur bon et fidèle, tu as été fidèle pour peu de choses, je t’en confierai beaucoup, entre dans la joie de ton maître. » (Mt 25,21.23)

    Oui, elle est étonnante cette phrase. Jésus la répète mot à mot au serviteur à qui il avait confié cinq talents et qui lui en avait rapporté cinq autres et à celui à qui il en a confié deux et qui lui en a rapporté deux autres. Cela veut dire qu’il ne s’agit pas ici d’une question de quantité, mais de qualité ou d’attitude des deux serviteurs fidèles, qui ont fait chacun le mieux possible ce qu’ils pensaient qui donnerait le plus de joie à leur maître. Et tous deux ont réussi.

    Dieu ne sera donc jamais un comptable de nos actions ou de nos progrès, mais un cœur infini qui veut nous faire goûter son amour et sa miséricorde. Un Dieu qui ne demande que « peu de choses », que de simples signes de bonne volonté de notre part et cela lui suffit. Car Dieu n’attend au fond qu’une chose étonnante, c’est que nous prenions au sérieux son invitation à collaborer de tout notre cœur avec Lui. Dieu veut faire de nous des partenaires, des associés et finalement des amis et des frères. Cela devait être bien difficile à comprendre il y a 2000 ans. Mais l’homme d’aujourd’hui est-il beaucoup plus convaincu que Dieu l’invite en quelque sorte à être son égal, à devenir d’une certaine manière Dieu avec Lui, Dieu qui donne la vie à l’univers et qui le fait fructifier ?

    La récompense promise à ces bons serviteurs est complètement disproportionnée avec ce qu’un pauvre homme pourrait s’attendre de ce Dieu tout-puissant. Nous l’avons déjà vu à la fin du chapitre précédent lorsque Jésus nous a parlé de ce maître qui avait décidé de confier à son serviteur fidèle « tous ses biens ». Et c’est finalement ici à peu près la même chose. Dieu va nous confier ici « beaucoup » de choses, là où nous lui en avions apporté « un peu », et cela veut déjà dire un nombre qui n’a pas de limites. Toujours à condition bien sûr que nous traitions les trésors de Dieu comme Dieu les traite, non pas comme une possession que nous allons détourner sur nous-mêmes mais comme un cadeau que nous recevons pour le faire fructifier, grandir et se développer dans le cœur de nos frères, comme le fait Dieu lui-même.

    Mais la nouveauté ici est la fin de la phrase : « Entre dans la joie de ton maître ». Cela nous rappelle la réponse de Jésus à celui qui lui demandait : « Maître, que dois-je faire de bon pour avoir la vie éternelle ? » Et Jésus lui avait répondu : « Si tu veux entrer dans la vie éternelle, observe les commandements. » (Mt 19,16-17). Encore une fois la vie en Dieu n’est pas pour Lui quelque chose que l’on peut avoir ou posséder. La vie en Dieu est une réalité dans laquelle on peut entrer (en sortant de soi-même) et qu’en même temps, en pleine réciprocité, on peut laisser entrer et pénétrer en soi au plus profond de son esprit et de son cœur. Et c’est là que se trouve la joie parfaite, la joie que le Père partage avec le Fils dans l’Esprit de toute éternité et qu’il voudrait tellement partager avec nous maintenant. Il a même envoyé son Fils donner sa vie pour nous pour cela, c’est son plus grand trésor. Et il suffit de commencer tout simplement à répondre à son appel et de se laisser faire, et Dieu fera tout le reste. N’est-ce pas magique ?

     


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  • « ‘Seigneur, Seigneur, ouvre-nous !’ Il leur répondit : ‘Amen, je vous le dis : je ne vous connais pas.’ » (Mt 25,11-12)

    Encore une menace ! Ce Matthieu n’en finit pas de passer des promesses aux menaces et des menaces aux promesses. Heureusement que les menaces passent et que les promesses restent. Et chaque menace est au fond comme le négatif d’une promesse qui nous attend. Je voudrais m’arrêter ici seulement sur la fin de cette phrase terrible que l’époux adresse aux vierges insensées qui étaient arrivées en retard pour l’accueillir : « Je ne vous connais pas. »

    Nous avons médité déjà en Mt 11,27 sur le sens de la connaissance pour Jésus : « Nul ne connaît le Fils si ce n’est le Père et nul ne connaît le Père si ce n’est le Fils et celui à qui le Fils veut bien le révéler. » Il est clair pour Jésus que la seule vraie connaissance qu’il veut nous faire découvrir est une connaissance dans l’amour et dans la réciprocité. Toute connaissance que nous pensons avoir de l’autre de l’extérieur sans nous laisser connaître par lui est en fait un simple jugement qui risque de détruire et qui ne construit rien. Mais quelle joie en revanche quand on se laisse réciproquement connaître par l’autre que l’on aime sans avoir à cacher ses limites et ses défauts, au contraire en s’aidant réciproquement à les dépasser, car c’est dans l’unité la plus forte que l’on est le plus capable d’affronter toutes les batailles de la vie.

    Alors pourquoi l’époux dit-il ici aux vierges insensées qu’il ne les connaît pas. Si l’époux représente Dieu, Dieu n’est-il pas capable de nous connaître, Lui le Tout-puissant ? Bien sûr qu’il nous connaît, mais cette connaissance ne compte pas pour Lui. Car Dieu qui est Amour infini voudrait toujours tout partager avec ses enfants, en commençant par cette connaissance d’amour que l’on vivra un jour définitivement au paradis, mais que nous sommes invités à pratiquer déjà, dans la mesure du possible, sur cette terre.

    Ce que veut dire ici l’époux à chacun d’entre nous, c’est que si nous sommes préoccupés de nous-mêmes au lieu d’être occupés à aimer Dieu et notre prochain, nous allons perdre toutes les occasions de répondre par l’amour à ce Dieu qui nous aime, nous n’allons pas être capables de sortir du cercle fermé de notre égoïsme. Dieu aura beau frapper chaque jour à notre porte, nous ne nous en apercevrons même pas. Et notre vie sera bien triste car nous ne serons jamais entrés dans cette « connaissance » réciproque avec Dieu qui aurait pu tout transformer dans notre vie.

    Leçon de vie, leçon d’amour, leçon de connaissance véritable. Cela fait toujours du bien de s’en souvenir en chemin au cas où nous aurions un peu dévié de notre route. Mais je crois que quand on a commencé à goûter à cette connaissance réciproque qui se vit dans la Trinité, il est difficile de l’oublier pour longtemps, on se sent tellement mal quand nos horizons se rétrécissent, on étouffe, et on attend la première visite de Dieu pour repartir du bon pied, dans sa miséricorde infinie. Sinon tout cela ne serait que de vaines paroles…


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  • « Voici l’époux ! Sortez à sa rencontre. » (Mt 25,6)

    Tout le monde connaît cette petite phrase qui fait partie du fameux récit des vierges sages et des vierges folles. Mais aujourd’hui, j’ai envie de l’enlever complètement de son contexte, cette belle histoire qui nous demande simplement d’être prévoyants et de ne pas rater les belles occasions qui s’offrent à nous dans notre vie avec Dieu. Ce qui serait déjà une belle conquête, mais sans plus peut-être.

    En fait, si l’on s’arrête tout à coup sur ces quelques mots tout simples : « voici », « l’époux », « sortez » et « à sa rencontre », et qu’on se laisse pénétrer par leur lumière intense, on va soudain découvrir qu’on se trouve devant une des plus belles béatitudes de l’Evangile, même si elle ne commence pas comme d’habitude par « heureux » ou « bienheureux » …

    Cette image de l’époux est déjà saisissante quand elle veut qualifier notre relation avec Dieu. Matthieu l’avait déjà utilisée pour dire que les disciples n’avaient pas besoin de jeûner tant que l’époux était avec eux. (Mt 9,15) Mais ici, il ne s’agit plus seulement des disciples mais de chacun de nous. Voilà que Jésus nous présente Dieu comme Quelqu’un qui vit à l’intérieur de Lui-même et avec toute la création une relation sponsale, comme celle de l’époux avec l’épouse, la relation la plus forte et en même temps la plus intime qui puisse être imaginée, une relation qui peut prendre à la fois tout notre cœur, notre esprit et nos forces. A nous d’imaginer le lien le plus merveilleux auquel nous puissions rêver avec une autre personne, et voilà Jésus qui nous dit : c’est à cela que je vous invite, à goûter déjà le plus grand des paradis dès maintenant sur cette terre, en attendant le paradis dans lequel nous baignerons pour toujours dans le cœur de cet Epoux divin qui nous aime et qui nous attend.

    Mais il y a une condition à remplir : il faut tout simplement sortir de soi. Si l’on veut aller à la rencontre de l’époux, on ne peut plus continuer à se regarder, à penser à soi-même et à ses pauvres intérêts. Il faut cesser définitivement de faire de soi-même le centre de notre vie, il faut faire de l’accueil de l’époux qui vient à notre rencontre comme nous allons à sa rencontre, le but de toute notre vie. Se décentrer de soi-même pour vivre l’autre, cet Autre qu’est Dieu, mais aussi cet autre qui est le prochain, en lequel l’époux se trouve secrètement caché, comme Jésus va nous le dire dans quelques lignes.

    Mais n’est-ce pas une condition exagérée que celle-ci ? Je dois vraiment sortir de moi-même et ne plus penser à mes problèmes ? Ne suis-je pas important moi aussi ? Dieu ne veut-il pas mon bonheur au fond ? Mais bien sûr que Dieu veut mon bonheur, mais je n’y parviendrai vraiment que le jour où j’entrerai dans la logique divine qui se vit entre le Père et le Fils dans l’Esprit. Le Père est le bonheur du Fils et le Fils est le bonheur du Père, toujours dans l’Esprit. Et jamais le Père ne pense à Lui-même, car c’est l’Amour du Fils qui le remplit dans l’Esprit et réciproquement.

    Alors, si moi aussi j’entre finalement dans cette dynamique trinitaire et je la laisse pénétrer en moi, je reviendrai à la phrase merveilleuse de Mt 6,33 que nous connaissons bien, mais que nous osons si rarement mettre sérieusement en pratique : « Cherchez d’abord le Royaume de Dieu et sa justice et tout le reste (tout le reste !) vous sera donné par surcroît ! » Oui, tout le reste, tout ce dont nous avons besoin, toute la réalisation de nos rêves et, pour commencer, cette vie d’amour réciproque entre Dieu et nous et entre nos prochains et nous. Et c’est ce que nous confirme en fait le premier mot de notre phrase, ce petit « voici » auquel nous avions à peine fait attention : nous sommes à peine sortis de nous-mêmes, pour aller à la rencontre de l’époux, que l’époux est déjà là, « le voici », à côté de nous, devant nous, en nous, au milieu de nous, pour toujours. Il est là pour nous remplir de sa joie céleste qu’il voudrait tellement partager avec chacun de nous, mais il ne peut pas nous y obliger, il attend seulement un petit signe de notre part et nous voilà embarqués pour toujours dans l’aventure de la réciprocité divine que nous pouvons déjà commencer à vivre ici-bas, « sur la terre comme au ciel » ! Peut-on rêver d’une béatitude plus infinie ?


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  • Vous allez m’excuser, mais je vais vous proposer une interprétation originale de ce chapitre 25 de l’Evangile de Matthieu, le fameux chapitre qui nous parle des vierges sages et des vierges folles, de la parabole des talents et du jugement dernier. Aucune trace chez Marc de ces trois parties si importantes du dernier discours de Jésus avant sa passion, sa mort et sa résurrection. Seule la parabole des talents se retrouve tout de même chez Luc.

    Une première chose qui me frappe une nouvelle fois chez Matthieu, c’est que certaines des déclarations de Jésus sont vraiment effrayantes, et nous allons commencer par elles. « Le Royaume des cieux sera comparable à dix jeunes filles invitées à des noces, qui prirent leur lampe et s’en allèrent à la rencontre de l’époux. Cinq d’entre elles étaient insensées, et cinq étaient prévoyantes : les insensées avaient pris leur lampe sans emporter d’huile, tandis que les prévoyantes avaient pris, avec leur lampe, de l’huile en réserve. Comme l’époux tardait, elles s’assoupirent toutes et s’endormirent. Au milieu de la nuit un cri se fit entendre : ‘Voici l’époux ! Sortez à sa rencontre.’

    Alors toutes ces jeunes filles se réveillèrent et préparèrent leur lampe. Les insensées demandèrent aux prévoyantes : ‘Donnez-nous de votre huile, car nos lampes s’éteignent.’ Les prévoyantes leur répondirent : ‘Jamais cela ne suffira pour nous et pour vous ; allez plutôt vous en procurer chez les marchands’. Pendant qu’elles allaient en acheter, l’époux arriva. Celles qui étaient prêtes entrèrent avec lui dans la salle de noces et l’on ferma la porte. Plus tard, les autres jeunes filles arrivent à leur tour et disent : ‘Seigneur, Seigneur, ouvre-nous !’ Il leur répondit : ‘Amen, je vous le dis : je ne vous connais pas.’ Veillez donc car vous ne savez ni le jour ni l’heure. » (Cette dernière phrase se trouvait déjà telle quelle au chapitre précédent.)

    Tout le récit semble là pour mettre en relief le négatif. Ces pauvres jeunes filles imprévoyantes qui voient la porte fermée pour toujours devant elles, pour quelques minutes de retard. Aucune compassion ni de l’époux ni des vierges sages. Chacun pour soi et la fin est bien triste. On ne nous parle même pas de la joie des noces mais seulement du malheur des jeunes filles insensées.

    La parabole des talents va être encore pire au niveau de la punition infligée au pauvre serviteur qui n’a pas su quoi faire avec le talent que son maître lui avait confié. « C’est comme un homme qui partait en voyage : il appela ses serviteurs et leur confia ses biens. A l’un il donna une somme de cinq talents, à un autre deux talents, au troisième un seul, à chacun selon ses capacités. Puis il partit… » Nous savons tous par cœur ce que firent les deux premiers. Concentrons-nous pour l’instant sur le troisième. « Celui qui n’avait reçu qu’un talent creusa la terre et enfouit l’argent de son maître. Longtemps après, leur maître revient et il leur demande des comptes… Celui qui avait reçu un seul talent s’avança et dit : ‘Seigneur, je savais que tu es un homme dur : tu moissonnes là où tu n’as pas semé, tu ramasses là où tu n’as pas répandu le grain. J’ai eu peur, et je suis allé enfouir ton talent dans la terre. Le voici. Tu as ce qui t’appartient.’ Son maître lui répliqua : ‘Serviteur mauvais et paresseux, tu savais que je moissonne là où je n’ai pas semé, que je ramasse le grain là où je ne l’ai pas répandu. Alors, il fallait placer mon argent à la banque, et, à mon retour, je l’aurais retrouvé avec les intérêts. Enlevez-lui donc son talent et donnez-le à celui qui en a dix. Car celui qui a recevra encore, et il sera dans l’abondance. Mais celui qui n’a rien se fera enlever même ce qu’il a. [A noter que nous avons déjà lu une phrase presque identique, même si c’était dans un autre contexte, en Marc 4,25] Quant à ce serviteur bon à rien, jetez-le dehors dans les ténèbres ; là il y aura des pleurs et des grincements de dents !’ » Jésus y va fort tout de même ! Aucune pitié, aucune miséricorde. Aucune relation entre le serviteur paresseux et les autres serviteurs qui auraient pu tout de même le conseiller. Et pour finir un châtiment qui apparait tout de même disproportionné avec la faute…

    Mais venons-en au jugement dernier. « Quand le Fils de l’homme viendra dans sa gloire, et tous les anges avec lui, alors il siégera sur son trône de gloire. Toutes les nations seront rassemblées devant lui ; il séparera les hommes les uns des autres, comme le berger sépare les brebis des chèvres : il placera les brebis à sa droite, et les chèvres à sa gauche… » Ici encore permettez-moi d’en arriver tout de suite aux « chèvres » : « Alors il dira à ceux qui seront à sa gauche :’Allez-vous-en loin de moi, maudits, dans le feu éternel préparé pour le démon et ses anges. Car j’avais faim et vous ne m’avez pas donné à manger ; j’avais soif et vous ne m’avez pas donné à boire ; j’étais un étranger et vous ne m’avez pas accueilli ; j’étais nu, et vous ne m’avez pas habillé ; j’étais malade et en prison, et vous ne m’avez pas visité.’ Alors ils répondront : ‘Seigneur, quand est-ce que nous t’avons vu avoir faim et soif, être nu, étranger, malade ou en prison, sans nous mettre à ton service ?’ Il leur répondra :’ Amen, je vous le dis : chaque fois que vous ne l’avez pas fait à l’un de ces petits, à moi non plus vous ne l’avez pas fait.’ Et ils s’en iront ceux-ci au châtiment éternel, et les justes, à la vie éternelle. »

    Ainsi se termine le discours de Jésus à ses disciples. Une autre condamnation encore plus effrayante que les deux premières. Si l’on s’arrêtait là, on ne comprendrait plus rien à cet Evangile merveilleux qui nous a dit de pardonner soixante-dix fois sept fois, qui nous a dit que Jésus était venu pour sauver les malades et les pécheurs. On a l’impression de retourner à une religion de la peur comme on la trouve souvent dans certaines pages de l’Ancien Testament. Alors ma proposition va être de ne pas prendre trop au sérieux toutes ces menaces et je vais vous dire pourquoi : simplement parce qu’elles ne s’adressent pas à nous qui sommes en train de lire cet Evangile. Car elles ne s’adressent pas aux disciples à qui Jésus est en train de parler. Bien sûr Jésus s’adresse toujours indirectement à toute l’humanité. Il veut peut-être en passant rappeler que la vie est une chose sérieuse et qu’il y a un certain nombre de règles à respecter. Il veut peut-être faire peur aux ignorants comme on fait peur à un enfant en inventant certaines punitions terribles pour les protéger en fait afin qu’ils ne fassent pas de bêtises. Une simple peur pédagogique en somme. Et il faudrait en plus savoir se remettre dans le contexte de la mentalité de l’époque qui nous échappe certainement.

    Mais c’est là qu’il faut reprendre le texte et lire maintenant à la suite ce qui concerne réellement les disciples et donc chacun de nous qui lisons l’Evangile aujourd’hui à la suite de tous les disciples qui nous ont précédés. Et nous allons de nouveau être émerveillés. Emerveillés d’abord par cette image de l’époux que Jésus avait déjà utilisée quand il disait que ses disciples ne jeunaient pas tant que l’époux était avec eux. On peut déjà rêver à tout ce que cela signifie.

    Mais la parabole des talents va maintenant nous entraîner beaucoup plus loin. « Celui qui avait reçu cinq talents s’occupa de les faire valoir et en gagna cinq autres. De même celui qui en avait reçu deux talents en gagna deux autres…. ‘Seigneur, tu m’as confié cinq talents, j’en ai gagné cinq autres.’ – Très bien, serviteur bon et fidèle, tu as été fidèle pour peu de choses, je t’en confierai beaucoup, entre dans la joie de ton maître’ » Et il en ira de même pour celui qui avait reçu deux talents et en avait gagné deux : « Très bien, serviteur bon et fidèle, tu as été fidèle pour peu de choses, je t’en confierai beaucoup ; entre dans la joie de ton maître. »

    Autant les châtiments que nous avons vus à l’instant étaient disproportionnés avec les fautes qui étaient reprochées, autant la récompense est disproportionnée avec le « peu de choses » réalisées par les bons serviteurs et qui leur vaut une récompense immense avec la joie de leur maître en prime. Cela nous rappelle le maître du chapitre précédent qui avait confié « tous ses biens » à son serviteur fidèle. C’est cela le véritable Evangile, c’est-à-dire la véritable « bonne nouvelle » que Jésus est venu apporter sur la terre. Dieu ne nous demande pas des exploits extraordinaires, mais simplement un peu de générosité, de la bonne volonté, un cœur sincère et cela lui suffit pour qu’il nous transporte déjà avec lui dans son paradis qui a déjà commencé ici-bas.

    Et le récit du jugement dernier va parachever cette immense béatitude qu’est l’Evangile de Matthieu tout entier pour qui sait l’écouter, le comprendre et commencer à le mettre au moins un peu en pratique. « Le Roi dira à ceux qui seront à sa droite : ‘Venez, les bénis de mon Père, recevez en héritage le Royaume préparé pour vous depuis la création du monde. Car j’avais faim et vous m’avez donné à manger ; j’avais soif et vous m’avez donné à boire ; j’étais un étranger et vous m’avez accueilli ; j’étais nu, et vous m’avez habillé ; j’étais malade et vous m’avez visité ; j’étais en prison et vous êtes venus jusqu’à moi.’ » Et à la question posée par ces bienheureux qui sont tellement surpris de cet accueil du Roi, sa réponse toute simple : « Amen, je vous le dis : chaque fois que vous l’avez fait à l’un de ces petits qui sont mes frères, c’est à moi que vous l’avez fait. » Et cela va même suffire pour recevoir en héritage « la vie éternelle ».

    C’est ici que tout l’Evangile de Matthieu s’éclaire. Nous avons découvert qu’on ne pouvait pas arriver au Père sans passer par le Fils. Mais on ne pourra jamais arriver au Fils et donc finalement au Père si l’on ne passe par nos frères. Jésus nous l’avait déjà bien dit sur tous les tons. « Qui accueille un de ces petits, c’est moi qu’il accueille. » « Pardonne-nous nos offenses comme nous pardonnons à ceux qui nous ont offensés » « Quand tu présentes ton offrande… va d’abord te réconcilier avec ton frère » « Pardonnez jusqu’à soixante-dix fois sept fois » « Là où deux ou trois sont réunis en mon nom [ce qui veut dire dans son amour] je suis présent au milieu d’eux » « Aimez vos ennemis » Et la liste serait longue si l’on veut continuer.

    Le message de Jésus est tellement simple et concret : faire la volonté de Dieu, vivre la Parole de Jésus, aimer nos frères dans les services de chaque jour en voyant en eux le visage de Dieu. Contemplation de Dieu dans la prière et action de celui qui donne sa vie pour ses frères et c’est déjà le paradis sur terre car nous sommes entrés dans la dynamique trinitaire de l’accueil et du don dans la réciprocité. Les messages effrayants que nous reportions au début ne sont vraiment pas pour nous, si nous avons commencé à comprendre le cœur de Dieu. Et quand on se rend compte en plus que ce Dieu fait homme va donner maintenant pour toujours sa vie pour nous tous et pour chacun de nous en mourant sur une croix… Jésus n’est pas descendu sur terre pour un tel sacrifice pour ne pas accomplir ensuite jusqu’au bout la réalisation du dessein d’amour qu’il porte en Lui pour chacun de nous. Comme il l’a fait pour Pierre qui l’avait trahi trois fois ou pour Paul qui était allé jusqu’à persécuter ses disciples… C’est là que son message n’aurait plus de sens. Mais il faut se mettre pour toujours dans cette logique divine en nous aimant les uns les autres et en nous aidant à répondre ensemble dignement à un tel amour divin qui dépasse toutes nos pauvres catégories humaines.


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