• Je crois que la vie devient une véritable libération quand on apprend à ne plus jamais revenir en arrière dans la construction de toutes nos relations avec les autres. Quand il s’agit de pas en avant positifs bien sûr. Si nous avons eu des conflits avec certaines personnes, il est certainement bon de revenir rapidement en arrière et d’essayer de nous réconcilier pour repartir de l’avant, mais ce serait un autre sujet, celui du pardon et de la miséricorde en particulier que nous avons déjà souvent abordé dans le blog.

    Mais il faut peut-être s’expliquer un peu mieux ce que cela voudrait dire de ne pas revenir en arrière, car cela peut avoir des sens parfois différents. Le premier, le plus simple et le plus évident, c’est que lorsque j’ai fait la connaissance d’un nouvel ami, je ne peux évidemment pas le rencontrer le lendemain dans la rue et faire comme si c’était pour moi un inconnu. Quand j’ai commencé à dire bonjour à une personne chaque matin, il sera blessé si, un jour, je ne le salue même pas quand je le rencontre au supermarché. Si j’ai pris l’habitude de serrer la main à un voisin dans l’escalier de l’immeuble, c’est évident que je continuerai toujours (à part les problèmes que nous avons en ce moment pour le coronavirus). Et il en va de même pour un sourire, une plaisanterie, un service, un conseil. C’est tellement beau de tisser ces relations qui se renforcent chaque jour un peu plus par ces signes de confiance réciproque.

    Cela fait réfléchir tout de même que n’importe quel geste, n’importe quelle parole est toujours quelque part un engagement de responsabilité et de fidélité avec les autres. Je ne peux pas commencer à montrer mon amitié et mon affection à quelqu’un pour m’en détourner à la première difficulté. Et cela demande beaucoup d’équilibre dans la vie, car nos programmes changent, nous nous déplaçons d’une ville à une autre et d’un pays à un autre et l’on ne peut évidemment pas continuer à vivre toutes nos relations de la même façon. Mais l’amour et l’amitié savent toujours trouver des moyens d’arriver au cœur de l’autre même quand les circonstances extérieures changent. C’est un beau défi que l’on peut apprendre à regarder comme une belle aventure et non pas comme un poids que l’on traîne et dont on ne sait plus quoi faire.

    Mais ne pas revenir en arrière a aussi un autre sens. J’ai vécu avec telle ou telle personne des moments inoubliables, pendant des vacances, au cours d’un voyage, dans des circonstances douloureuses où nous nous sommes profondément aidés l’un l’autre. Ou bien j’ai vécu des moments de partage intense où j’ai pu ouvrir mon cœur avec quelqu’un ou lui avec moi. Et j’aimerais que ces moments magiques reviennent toujours chaque fois que nous nous rencontrons. C’est bien normal et compréhensible, mais c’est là que commence le danger de regarder toujours en arrière. Le beau passé est passé et il ne se reproduira donc jamais plus, au moins de la même manière. Le présent sera toujours nouveau et on ne doit plus le comparer au passé, sous peine de s’enfermer soi-même dans la prison de ses beaux souvenirs. Triste constatation ? Bien au contraire. Aimer l’autre, c’est croire qu’il a changé comme moi, qu’il a mûri, qu’il porte en lui de nouvelles richesses que je ne soupçonne même pas. Et c’est là que la magie des relations humaines nous surprendra toujours si nous savons les prendre du bon côté sans jamais plus attendre la répétition d’un beau passé, mais en ouvrant notre esprit et notre cœur sur un avenir qui sera encore plus beau, plus profond, si nous continuons à faire confiance à la réciprocité de l’autre qui ne devrait jamais mourir…


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  • Eh oui, vous voulez que je vous le dise, à quoi ça sert d’avoir raison ? D’une manière un peu provocatrice ? Ça ne sert à rien du tout. Ou plutôt, si, ça sert à diviser les gens, à les juger, à les haïr, à se croire supérieur aux autres, à avoir envie de les dominer, de les écraser, de prendre le pouvoir sur eux… à provoquer des guerres qui n’en finissent plus. Mais pourquoi notre belle humanité en est-elle arrivée là ?

    Si nous reprenons les deux mots de notre question, « avoir raison », ils n’ont pourtant rien de négatif au premier abord, bien au contraire. La raison, la raison humaine, c’est une sorte de synonyme de l’intelligence, ce qui nous distingue des animaux, ce qui nous permet de raisonner justement, de penser, de réfléchir, de résoudre des problèmes. Ou bien si l’on prend le mot « raison » dans un autre sens, cela veut dire, un motif pour prendre une décision, un bel argument dans une discussion, une part de la vérité dont on a besoin. Et « avoir » ce devrait être aussi tellement positif. Avoir le temps, avoir de quoi vivre, avoir des amis, ce n’est pas mieux que d’être démuni de tout ? Alors pourquoi « avoir raison » serait devenu tellement négatif ?

    C’est tout simplement qu’on s’est habitué à penser qu’on a toujours raison « contre » quelqu’un qui a tort. Au lieu que la recherche de la vérité fasse progresser l’humanité, voilà qu’elle la morcelle en groupes de personnes qui pensent tous avoir raison les uns contre les autres. Alors que la première vérité devrait être que l’homme a besoin d’amour et d’unité, voilà que la recherche de nos raisons conduit à la haine et à la loi de la jungle. C’est une sorte de détournement de la vérité pour des intérêts personnels, comme on détourne un avion pour commencer une guerre.

    Quand ce n’est plus la recherche de la vérité qui m’intéresse, mais le désir de dominer l’autre et de lui montrer que je suis le plus fort, je ne l’écoute plus pour le comprendre, mais pour trouver les points faibles de son raisonnement pour mieux l’écraser à notre prochaine discussion. Et quand j’ai trouvé des arguments imparables auxquels l’autre n’arrivera plus à répondre, je triompherai de lui et je montrerai finalement au monde entier que c’est bien moi qu’il faut suivre. J’aurais réussi à « posséder » pour moi cette pauvre vérité que je me suis forgée dans la bataille sociale de tous les jours. Et le verbe « avoir » devient une possession égoïste contre les autres, au lieu d’être un don que je peux partager avec les autres et la « raison » une caricature de la vérité, un morceau de vérité qui sert seulement à s’entretuer au lieu de nous faire avancer vers la lumière.

    Alors comment renverser le courant, comment montrer à l’humanité le chemin de la réconciliation ? En commençant moi-même chaque matin à écouter de tout mon cœur les gens que je rencontre, à essayer de les comprendre, de les aimer et de leur faire confiance. Et avec eux de trouver chaque jour un peu plus de vérité qui nous unit et nous libère. C’est ce qu’ont compris des hommes comme Gandhi qui a mis sa vérité au service de tous les Indiens et même des colonisateurs anglais qui étaient pour lui des frères avant d’être des ennemis. C’est ce qu’a compris Nelson Mandela qui voulait libérer en même temps les oppresseurs et les opprimés. Car tous les deux savaient que l’humanité sortirait finalement de son tunnel le jour où nous aurions raison tous ensemble, les uns avec les autres et non pas les uns contre les autres…


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  • « Plus on partage, plus on possède. Voilà le miracle. » C’est une phrase que je viens de découvrir sur Facebook et qui m’a beaucoup gêné. Elle part d’une bonne intention : dans ce monde où règne l’égoïsme, apprendre à partager nous libère de nous-mêmes, nous ouvre sur les autres et nous y gagnons certainement à la fin, à la fois au niveau matériel et surtout dans la beauté des relations humaines de communion et de solidarité, et c’est en effet un vrai miracle par rapport à la mentalité courante.

    Mais dire que le miracle, c’est de posséder, je pense qu’il y a un grand malentendu et une contradiction dans les termes de cette phrase. Le Dieu des béatitudes va nous aider à nous remettre sur le juste chemin. Nous avons été créés pour être un don les uns pour les autres, c’est la loi du ciel et celle de tous ceux qui ont découvert un jour dans leur vie qu’il n’y a rien de plus beau que d’essayer de vivre « sur la terre comme au ciel. »

    C’est aussi une loi de la nature. Les plantes, les arbres reçoivent la vie pour la redonner, jamais pour la posséder. Le cœur qui bat en nous et qui continue à partager le sang dans nos veines en nous permettant ainsi de continuer à vivre, n’imaginerait jamais un instant qu’il pourrait « posséder » ce sang qu’il distribue et qui lui revient sans cesse : ce serait arrêter brutalement la vie et provoquer une mort subite.

    Alors où est le miracle ? C’est toujours à l’image des relations trinitaires entre le Père et le Fils dans l’Esprit : accueillir et donner ou se donner. Quand je partage, c’est d’abord que j’ai reçu, que j’ai accueilli une vie ou des biens qui m’ont été généreusement donnés. Puis cette vie et ces biens, j’ai senti au fond de moi qu’ils étaient là pour être partagés de nouveau avec les autres. Me voilà donc entré dans la dynamique de la communion trinitaire où la vie ne meurt jamais car elle se donne sans cesse, pour se recevoir de nouveau et se redonner.

    Bien sûr que j’exagère. Bien sûr que concrètement je vais devoir « posséder » des biens pour construire ma vie, mon avenir, ma famille. Mais comprenons-nous. Si je garde ces biens pour moi, c’est pour en faire profiter les autres, pas pour me renfermer égoïstement sur mes possessions qu’en fait je n’aurai jamais. Car je ne possède même pas ma vie, ma santé, mon intelligence, mes talents, ma famille : ce sont tous des cadeaux que j’ai reçus pour les partager, pour semer l’amour autour de moi.

    Le jour où nous sommes convaincus que Dieu le premier n’a pas avec la vie, avec la création, l’univers ou chacun de nous, un rapport de possesseur, mais un rapport de source qui donne la vie et qui continue à l’alimenter pour toujours, tout change. Nous ne cherchons plus à « posséder », mais à orienter cette vie qui nous arrive chaque fois comme un don gratuit à partager. Alors bien sûr que partager crée des miracles. Car plus nous partageons plus les autres en font de même avec nous, et plus nous recevons continuellement en retour, et nous faisons alors l’expérience de la providence ou du centuple de l’Evangile qui nous surprend toujours. Et notre esprit devient toujours plus libre, car nous n’avons plus peur qu’on vienne nous prendre ou nous voler nos biens, puisqu’ils sont faits justement pour être partagés. Vision évidemment trop belle pour être réalisée concrètement tous les jours dans notre monde qui pense en général à prendre au lieu de donner. Vivre pour partager sera toujours pour chacun de nous une bataille. Mais quand nous sommes plusieurs avec cet idéal à vivre entre nous et autour de nous, rien n’est impossible : c’est la dynamique de communion des premiers chrétiens qui a envahi le monde, qui s’est peut-être souvent affaiblie en route, mais qui est toujours bien présente comme le feu sous la cendre qui ne demande qu’un petit effort pour brûler de nouveau.

     


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  • Nous expliquions récemment combien il est important de passer de la confiance que l’on pense « avoir », à la confiance que l’on pense « faire ». En général, pour « avoir » confiance en quelqu’un, on se base sur l’expérience passée. Si cette expérience n’a pas été très bonne, on a souvent peur d’avoir confiance et c’est alors la méfiance ou le soupçon qui prennent le dessus.

    Tandis que « faire » confiance à quelqu’un, c’est se tourner vers l’avenir, c’est donner une chance à cette personne de tirer de lui-même quelque chose de bon, c’est un peu comme la foi qui est toujours quelque part un saut dans l’inconnu et qui est beaucoup plus basée sur l’amour pour cette personne, l’espoir qu’il pourra construire quelque chose de positif, que sur des certitudes…

    Il est évident que « faire confiance » à quelqu’un est bien plus difficile et plus risqué que d’ « avoir confiance ». Mais quand nous faisons confiance à quelqu’un nous l’aidons à se dépasser lui-même, nous lui transmettons une confiance en lui qu’il n’avait peut-être même pas au départ, et de nouvelles portes s’ouvrent et la vie se transforme. Ne sommes-nous pas nous-mêmes le fruit de la confiance que nos parents, nos amis, nos connaissances nous ont faite au-delà des apparences à certains moments délicats de notre vie ? Nos vraies relations d’amitié ne sont-elles pas nées quand quelqu’un a eu le courage de « croire » en nous ?

    Le premier miracle de la confiance que l’on « fait », c’est que cette confiance grandit et se multiplie comme les flammes que l’on passe d’une bougie à une autre et qui illuminent tout à coup la nuit au milieu de l’obscurité. La vraie confiance sincère que l’on fait par amour pour l’autre sans trop penser à soi-même et au risque que l’on court, change complètement nos relations humaines et les fait passer d’un monde où l’on s’observe les uns les autres de l’extérieur à un monde où l’on s’entraide et l’on apprend à se donner la vie les uns aux autres.

    Mais le plus grand miracle de la confiance ainsi vécue, c’est qu’elle nous fait entrer dans le cœur de Dieu. Et cela ne peut pas se faire tout seul. Il faut goûter l’amour réciproque que Jésus nous demande, et découvrir la joie de se « faire » réciproquement confiance en Lui, pour voir notre vie désormais à l’image du ciel sur la terre, même si ici-bas c’est toujours avec des hauts et des bas, des chutes et des recommencements. C’est que Dieu ne sait pas faire autre chose que de nous « faire » confiance, comme il l’a fait à Marie, à Pierre malgré ses trahisons, à Saul son persécuteur qui est devenu son plus grand apôtre, et à chacun de nous.

    Lorsque nous pensons avoir été héroïques parce que nous avons fait confiance à une personne difficile, nous ne nous rendons pas compte qu’en fait nous commençons simplement à regarder nos frères et nos sœurs en humanité comme Dieu les voit. Et ce nouveau regard en nous nous ouvre sur une vision complètement nouvelle des évènements et des personnes. Nous apprenons à nous libérer de tellement de peurs, de jugements et de calculs qui paralysent d’habitude les relations entre les hommes. Et si nous prenons ainsi des risques, en commençant par celui d’être persécutés comme l’a été Jésus, nous sommes tellement heureux de commencer à vivre le paradis sur terre que ce bonheur, partagé avec tous ceux que nous aimons et qui nous aiment justement en Jésus, est bien plus grand au fond de nous que toutes les persécutions de ce monde…


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  • Il y a quelques jours, j’ai publié sur Facebook cette phrase que j’avais écrite et qui m’aide beaucoup chaque jour : « La première question à me poser chaque matin au réveil : pour qui et avec qui je vais vivre aujourd’hui ? » Une belle résolution positive. Le désir de donner un sens à ma vie, de sortir toujours un peu plus de moi-même, de vivre justement toujours plus « avec les autres » …

    Et puis la journée n’a pas bien commencé. De plus en plus de problèmes avec internet, tellement important ces jours-ci pour garder le contact avec tout le monde. Et surtout de plus en plus de mauvaises nouvelles de nos amis, entre ceux qui sont malades à la maison, ceux qui sont à l’hôpital, ceux qui cherchent partout un appareil à oxygène pour leurs parents et qui ne le trouvent pas… Je vous avoue qu’à un certain moment je sentais comme un sens de découragement, mêlé à de plus en plus d’inquiétude pour l’avenir, pour ce virus qui nous envahit de partout, et pour le Liban dont le futur semble de plus en plus sombre…

    Et puis, tout d’un coup, j’ai senti au fond de moi comme une voix bien claire qui me disait : « Bien sûr, Roland, c’est vrai tout ce qui se passe, c’est de plus en plus dur, de plus en plus terrible, mais qu’est-ce que ça change pour toi ? » Comme si je me réveillais d’un seul coup à la réalité. Si tu vas mal, si les autres vont mal, qu’est-ce que ça change à ta résolution de vivre cette journée pour les autres et avec les autres ?

    Au contraire, si je ne suis pas replié sur moi-même et mes problèmes personnels, n’est-ce pas justement toute cette situation tragique qui devrait me pousser à sortir encore plus de moi-même, à passer ma journée à chercher à aider, à écouter ceux qui souffrent, à rendre des services concrets, à être simplement présent à tous ceux qui sont en ce moment dans le besoin ?

    Je crois que cela a été pour moi comme une piqûre de rappel. Moi qui suis arrivé au Liban et au Moyen Orient il y a juste 50 ans ce mois-ci, plein de bonnes intentions, moi qui en ai vu de toutes les couleurs, comme on dit, entre les guerres, les catastrophes, les injustices, mais aussi tellement de solidarité et d’amour réciproque qui circule, est-ce que quelque chose a changé dans ma raison d’être au milieu de tous ces amis merveilleux que j’ai appris à connaître et à aimer de plus en plus au fil du temps ?

    Non, c’est simplement une confirmation que le temps m’a donnée. Mon idéal n’a jamais changé, il a simplement mûri avec le temps, il est devenu plus fort, plus concret, il a pris peu à peu tout le fond de mon cœur et de mon esprit. Et c’est seulement cela qui compte aujourd’hui. Et quand la situation s’améliorera, comme nous l’espérons tous au plus profond de nous-mêmes, ce ne sera pas alors pour m’arrêter et me reposer, mais pour en profiter pour continuer à me lever chaque matin en pensant aux autres plus qu’à moi-même. Car c’est comme ça que j’ai trouvé le seul trésor que je cherchais et que j’ai pu le partager avec tellement d’amis. Et tout cela ne changera jamais…


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