• Oui, j’ai publié de nouveau cette phrase la semaine dernière : « Il est encore plus beau d’aimer que d’être aimé. » Une de mes meilleures lectrices me répond : « Pas d’accord » Et quand je lui demande pourquoi, elle me dit bien simplement : « Mais c’est toi qui dis que la relation doit être réciproque ! » J’aime bien ce genre de provocations constructives qui peuvent aider à aller encore plus en profondeur : je vais mieux m’expliquer.

    Il est bien évident que c’est très beau d’être aimé, de trouver quelqu’un qui nous accepte tel que nous sommes, qui est content ou heureux de nous voir, qui nous comble d’attentions ou d’affection. Et d’ailleurs nous avons commencé notre vie en étant aimés tout d’abord, par nos parents et notre entourage, avant d’apprendre nous-mêmes à répondre à cet amour.

    Mais nous nous sommes peu à peu jetés à l’eau nous aussi, à aimer les autres et à leur donner de nous-mêmes, avec plus ou moins de réussite, avec des hauts et des bas, mais nous avons commencé à faire l’expérience si belle de la réciprocité, dans laquelle ce n’est plus important de savoir qui a commencé à aimer le premier, car nous sentons une telle harmonie entre nous que le reste devient secondaire.

    Mais nous avons aussi connu les déceptions ou parfois même la trahison dans l’amour, ou bien la jalousie. Nous nous sommes donnés de tout notre cœur à certaines personnes et nous n’avons pas senti cette réciprocité en retour et, pire encore, nous avons reçu parfois du mal en échange du bien que nous avions fait.

    C’est là que nous avons dû choisir entre nous replier sur nous ou continuer à aimer quand même. Nous avons timidement découvert qu’on peut aussi pardonner, aimer gratuitement, aimer sans rien attendre en retour. Et, au-delà des gros efforts que nous avons faits au début, nous avons senti en nous une liberté nouvelle. Nous avons découvert la joie d’aimer même quand on n’est pas aimé. Puis ensuite la joie encore plus grande que cet amour parfois héroïque en nous avait commencé à faire des miracles. Et alors nous avons commencé à comprendre que notre cœur n’était désormais plus le même.

    Au début l’amour était beau, mais simplement naturel, et encore tellement fragile. Mais, à un certain moment, c’est le cœur de Dieu qui est entré en nous. Et, sans nous en rendre compte, nous avons pénétré au sein de la Trinité où le Fils et le Père s’accueillent et se donnent l’un à l’autre en l’Esprit de toute éternité. Nous avons commencé à nous apercevoir, en tout petit d’abord, et de plus en plus clairement par la suite, que nous étions en train de devenir Dieu en quelque sorte, même si avec encore tellement de rechutes.

    Mais désormais nous sentons que l’important et le plus beau, c’est d’aimer toujours comme Dieu, d’accueillir l’amour de l’autre, mais pas pour le garder pour nous, pour le posséder et le mettre égoïstement dans notre coffre-fort, mais pour aimer tout de suite en retour celui ou celle qui nous a aimés et en même temps toute l’humanité qui nous entoure. Alors l’amour n’est plus à moi ou pour moi, mais c’est encore mieux car il est en moi, comme le sens de ma vie et ma propre respiration. Et peu à peu, je deviens moi-même l’amour, car l’Amour demeure en moi et moi en Lui, et surtout l’Amour demeure en nous et nous en Lui. Car ce n’est plus que tous ensemble, avec ceux qui vivent cet amour réciproque, que nous sommes capables de vivre. Et l’on comprend alors, comme l’a dit Chiara Lubich, que « dans l’amour, l’important c’est d’aimer. » … Et cela n’enlève rien à la joie immense d’être aimés en retour, mais dans une réciprocité qui ne nous arrive jamais comme une obligation, mais avec la fraîcheur de la plus belle des gratuités !


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  • Je me trouvais l’autre jour dans la rue avec quelques personnes amies à qui je disais en passant combien je me sentais chanceux d’être revenu de nouveau vivre au Liban (pour la 4e fois de ma vie, il faut le dire, pour un total qui dépasse maintenant les 25 ans !) Et je me suis aperçu qu’un de mes interlocuteurs était presque scandalisé ou incrédule devant mon affirmation : il avait peut-être du mal à croire qu’un étranger qui pouvait théoriquement vivre à l’aise dans son pays prétende être heureux au milieu des épreuves que le Liban traverse depuis maintenant plus de 40 ans. Sa réaction m’a fait réfléchir et je voudrais de tout mon cœur vous dire ici ce que j’ai senti vraiment au fond de moi.

    Oui, je suis heureux, profondément heureux, d’être au Liban en ce moment. Je ne veux pas faire ici de comparaison avec les autres pays du Moyen Orient où j’ai vécu aussi beaucoup de bonheur pendant de si longues années, cela ne servirait à rien. J’ai toujours essayé de ne pas trop me poser de questions et d’accueillir les circonstances de la vie comme elles viennent. J’ai d’abord appris à être homme au Liban où je suis arrivé à l’âge de 22 ans pour la première fois. J’y ai fait des expériences fondamentales de joie, d’amitié et aussi de souffrance, en particulier quand la guerre a éclaté. J’y ai vécu la solidarité, l’enthousiasme, la peur, l’espoir, la compassion, la déception et le pardon. J’y ai connu l’échec, le découragement, mais aussi le courage, l’ardeur, des émotions de toutes sortes qui n’ont jamais laissé vides aucune de mes journées.

    J’ai d’ailleurs raconté déjà dans ce blog les premières années de mon aventure libanaise. Mais ce que je sens aujourd’hui, c’est qu’ici j’ai appris à aimer l’humanité comme elle est, avec sa grandeur et ses faiblesses, avec des gens capables de s’oublier complètement pour sauver la vie des autres ou d’autres qui se refermaient sur eux-mêmes pour se protéger contre trop de souffrance. J’ai appris à prendre ici les gens comme ils sont en essayant de ne jamais les juger, car juger est toujours du temps perdu et on ne sait jamais ce qu’on aurait fait si on avait été à la place de l’autre.

    Mais je voudrais crier ici bien fort que, si j’ai le courage ou l’audace de dire que je suis heureux au milieu de tant d’épreuves et de souffrances qui ne finissent jamais, ce n’est pas de ma part de l’inconscience ou l’égoïsme de quelqu’un qui est tout content dans sa bulle sans se rendre compte des problèmes des gens qui l’entourent. Je pense et j’espère que ce n’est pas cela qui me rend heureux. Je suis heureux parce que c’est au fond dans ces circonstances extrêmes qu’on découvre les trésors cachés de chaque être humain. Chacun porte en lui-même un trésor ou des trésors, qui risquent parfois de rester voilés ou enterrés sous la poussière d’une vie médiocre et terre à terre. Mais quand les difficultés ne s’arrêtent plus, on est obligé de choisir : ou bien décider d’être triste jusqu’à la fin de ses jours, et c’est une option qui peut parfois soulager apparemment. Ou bien décider de prendre sur soi le fardeau des autres et de tracer devant eux ou avec eux des chemins de lumière.

    Et c’est au Liban que j’ai découvert en moi un optimisme que je n’avais pas du tout au départ, comme une mission qui a donné tout à coup un sens à ma vie. Et c’est dans cette bataille pour sortir tous ensemble du tunnel que je me suis mis à aimer vraiment les gens de tout mon cœur, comme je n’imaginais même pas en être capable. Je me suis trouvé ici des frères et des sœurs que j’aime et qui m’aiment plus que ma famille naturelle. Des gens à qui j’ai eu le courage de raconter mes faiblesses et mes angoisses, parce que je sentais confusément que je devenais ainsi plus crédible à leurs yeux, et ce partage a commencé à me lier à ces frères et sœurs pour toujours.

    Moi qui venais d’une expérience familiale douloureuse et qui n’avais pas beaucoup de confiance en moi quand je suis arrivé ici, j’ai trouvé la confiance en moi-même en la donnant aux autres. Moi qui avais manqué d’affection dans ma famille française blessée (aussi par les conséquences des guerres que l’Europe a subies en son temps), j’ai trouvé cette affection en la donnant à ceux que je rencontrais. Et c’est ici que les personnes que j’ai pu aider à être elles-mêmes, au-delà des circonstances de la vie extérieure, ont fini par me convaincre que moi aussi je pouvais être beau ou aimable, ce que j’avais beaucoup de mal à croire au départ. Et c’est ici que j’ai appris à être moi-même en aidant les autres à sentir combien ils étaient finalement chacun tellement important. Jamais je n’aurais imaginé qu’on pouvait connaître des joies aussi fortes et aussi pures, parfois au milieu de quelques larmes, que celles que j’ai eu la chance de vivre ici…


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  • Bien chers lecteurs, vous avez sans doute raté quelques articles ces deux derniers mois, parce que l’activité du blog a été assez intense. Beaucoup de vie et donc beaucoup de réalités à partager, mais trop peut-être pour rappeler ici tous les titres de ces deux mois. Vous pouvez toujours faire des recherches quand vous avez le temps.

    J’ai certainement mis tout mon cœur dans les commentaires au chapitre 6 de l’Evangile de Matthieu dans « Perles de la Parole ». Du 3 au 11 janvier vous trouvez ce que j’ai écrit à propos du « Notre Père » : « Le miracle du ‘Notre Père’ », « Invitation à l’Amour », « Quand le ciel se déverse sur la terre », « Accueillir le don du Père » et « Laisser le Père respirer en nous » ! Puis le 19 janvier « Le trésor du cœur ». Et du 27 janvier au 2 février, la fin de ce même chapitre 6 : « Avec l’œil du cœur de Dieu » … « La vie de Dieu parmi nous ».

    Mais vous trouverez aussi des articles dans dix autres rubriques. Dans « Au bout de soi-même » : le 10 février « Faire semblant d’aller bien ? » et le 24 « S’isoler pour être soi-même ? ». Dans « Batailles » en particulier « Les fleurs de l’autre » du 13 janvier. Dans « Découvertes » : « La sagesse de d’émerveiller » du 17 janvier et « Comment ne pas gâcher notre amour ? » du 23 janvier.

    Avec « Désorientés » : « Quand l’intelligence semble loin de la vie » du 4 février. Dans « Interdépendance » : « Notre ‘propre vie’ » du 25 janvier. Trois articles dans « Passepartout » : « Mais où trouver la vérité ? » du 21 janvier, « Question de regard et d’amour » du 12 février et « Ne jamais descendre du train » du 26 février.

    Et enfin d’autres articles encore dans « Des mots pour de bon », « En vie de vocabulaire », « Provocations » (« Contre les mauvais rêves » du 18 février et « Les bêtises de la littérature » du 20 février) et enfin dans « Reflets du paradis » : « L’amour ne s’arrête jamais » du 6 février.

    Vous voyez, il y a de quoi lire. Merci pour votre fidélité, vos conseils, vos commentaires, vos critiques constructives et surtout l’inspiration que vous me donnez souvent à travers la vie que nous partageons ensemble bien au-delà de ce qui est seulement écrit. Je suis vraiment heureux de continuer avec vous cette aventure qui dure depuis plus de 4 ans désormais…


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  • J’ai perdu récemment un ami très cher. Il avait 92 ans et achevait parmi nous une vie bien remplie. Il nous a quittés dans la paix et même dans la joie, presque jusqu’au dernier moment. Pendant deux ans, il avait en fait été tout près de la mort, puis s’était un peu repris, mais il était resté très faible. Mais malgré sa souffrance, dont il ne se plaignait d’ailleurs pratiquement jamais, il était toujours souriant, inondant de gaité et d’espoir tous ceux qui venaient le visiter. Et à ceux qui lui demandaient le secret de cette sérénité dans une situation pareille, il répétait souvent : « L’important, c’est de ne jamais descendre du train ! »

    Mais dans quel train était-il et voulait-il nous emmener peut-être avec lui ? Je dirais presque que le train est finalement secondaire, car on peut lui donner différentes interprétations. Mais ce que notre ami voulait nous dire, c’est qu’il avait eu la chance de trouver un idéal qui lui avait changé la vie de fond en comble et qu’il avait décidé de ne plus le quitter.

    Il avait, comme tout le monde, passé bien des épreuves dans sa vie. Il avait vécu dans des pays qui n’étaient pas le sien au départ, dans les situations terribles que traverse le Moyen Orient depuis si longtemps, mais on voyait qu’il était heureux d’avoir trouvé cet idéal qui lui permettait de servir et de porter la lumière autour de lui, sans jamais se lasser.

    Chacun de nous est monté dans un train, à certains moments de sa vie. Chacun d’entre nous a entrevu la possibilité de trouver un sens à cette vie en se donnant pour les autres, d’une manière ou d’une autre et y a entrevu un vrai bonheur. Mais combien d’entre nous se sont arrêtés en route, déçus, découragés, incompris, parce qu’il y avait trop d’obstacles en route, trop de malentendus, trop de mauvaise volonté peut-être autour de nous et parfois même de méchanceté ?

    Et pourtant cet ami avait connu tous ces problèmes en chemin, mais il ne s’était pas arrêté. Ce sont des personnes pareilles qui nous font encore espérer en un avenir possible pour l’humanité. Leçon de vie, même devant la mort et les difficultés, mais surtout leçon de persévérance qui n’est possible qu’ensemble. Car le train de notre ami, c’était les relations qu’il avait tissées tout au long de sa vie et qui faisaient qu’il n’était jamais seul et qu’il trouvait toujours quelqu’un pour continuer son travail quand lui-même était bloqué.

    Le train de la vie dont nous ne devrions jamais descendre, c’est de choisir des amis qui croient que le service et l’écoute des autres, la solidarité et la construction de la paix et de la justice passent avant tout le reste, même notre réussite personnelle. Car la véritable réussite, c’est de rester soi-même serein avec nos amis même au milieu de la tempête et de prouver au monde que nous serons toujours libres quelque part de rester positifs au fond de notre cœur, quelles que soient les circonstances du voyage de notre vie !

    Et si jamais nous sommes descendus quand même de notre train en chemin, pour une période plus ou moins longue de notre vie, nous devons toujours penser que le train est encore là qui nous attend et nous remettre en voyage, car le passé peut toujours être réparé et l’avenir n’est jamais condamné, mais il faut savoir choisir son train et ses amis, personne ne nous empêchera jamais de le faire !


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  • Encore une provocation qui m’a fait bondir. Cette fois-ci elle est de Charles Bukowski, le fameux poète et romancier né en Allemagne en 1920 et mort aux Etats-Unis en 1994. Voyez ce qu’il nous dit : « Seuls les fous et les solitaires peuvent se permettre d’être eux-mêmes. Les solitaires n’ont personne à qui plaire et les fous s’en foutent complètement de plaire ou pas. »

    Belle constatation, n’est-ce pas ? On devrait donc souhaiter d’être fou ou solitaire pour finalement pouvoir être soi-même. Que pensez-vous d’une telle énormité ?

    La première chose à faire est de se demander s’il est tellement important de se permettre d’être soi-même. Si cela veut dire être simple avec les autres, ne pas se cacher derrière des masques quand on se présente dans la société, avoir le courage de ses opinions, tout cela est certainement positif. Mais est-ce que c’est mon idéal de sortir le matin de chez moi en me disant : « Aujourd’hui je vais me permettre d’être moi-même, quoi que les gens pensent de moi, qu’ils me trouvent sympathique ou non. Et s’ils ne m’acceptent pas, tant pis pour eux, moi je suis ce que je suis et je n’ai de compte à rendre à personne. » ? N’est-ce pas ainsi qu’on présente souvent l’idéal de la construction de sa propre personnalité ? Avec malheureusement tellement d’échecs et de déceptions.

    Il faudrait évidemment des pages et des pages pour traiter un sujet aussi important. Je vais me contenter de faire ici une ou deux constatations. La première, c’est que nous ne sommes pas nés pour passer notre temps à nous regarder, mais pour regarder les autres, nous laisser regarder par eux, et, avec eux, regarder ensemble les autres, le monde et nous-mêmes, comme dans une grande mosaïque. Je ne suis jamais seul dans la vie. Et mon moi, en lui-même, n’existerait même pas, s’il n’avait pas rencontré d’autres « moi » pour l’enrichir dans une relation de découverte de l’autre dans la réciprocité.

    Avant de penser à moi-même et comment je vais me présenter aux autres, je devrais me demander comment je peux penser aux autres pendant ma journée, comment les accueillir et me donner à eux de tout mon cœur. Et c’est en me jetant dans la relation la plus vraie, sincère et transparente possible avec l’autre que je vais découvrir en route des trésors que je cachais en moi et dont je ne me rendais même pas compte, et dont les autres vont tout à coup me remercier.

    Alors la vie change totalement, car il se produit un miracle merveilleux, ce sont les autres qui me permettent d’être moi-même, ce sont les autres qui me disent : « Nous avons besoin de toi, parce que tu portes en toi une lumière unique qui nous fait du bien. » Je vais passer mon temps à aider les autres à être eux-mêmes et ce sont les autres qui vont me faire découvrir finalement la véritable réalité de mon « moi-même ». Et ce moi-même ne sera jamais une sorte de « moi » du passé que je devrais essayer de défendre ou de protéger, mais un « moi » qui va se construire peu à peu sur la route de la vie, comme on découvre en chemin les paysages merveilleux d’une montagne qu’on escalade. Si vous voyez une autre manière positive de réussir à être « soi-même », dites-le-moi !


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