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Je ne sais pas combien de gens se rendent compte que ce qui fait le plus de mal à nos relations humaines de toutes sortes, ce sont les étiquettes que nous nous mettons les uns sur les autres à longueur de journée, comme points de repère pour savoir comment nous comporter avec chacun.
Il est bien naturel de vouloir comprendre l’autre, sa personnalité, son caractère, ses qualités et ses défauts, pour savoir au moins comment l’aborder, quel type de relation nous pourrons construire avec lui. Mais le problème, c’est qu’on passe sans s’en rendre compte d’un premier regard de découverte à un désir d’analyse, à l’envie de définir l’autre et de le cerner. Et ce regard se fait souvent méfiant, comme si l’autre était déjà au départ un danger pour nous qu’il faut bien déchiffrer pour pouvoir l’affronter…
On peut mettre ainsi sur l’autre des étiquettes positives comme des étiquettes négatives. On peut admirer l’autre ou en être jaloux, on peut mépriser l’autre ou essayer de l’éviter. Tout cela vient justement des étiquettes dans lesquelles nous l’avons peu à peu enfermé. Mais ce dont nous ne nous rendons pas compte, c’est qu’en enfermant l’autre dans ces espèces de caricatures que nous nous forgeons du matin au soir, nous nous enfermons nous-mêmes, comme dans des prisons réciproques que nous dressons entre nous et qui finalement nous paralysent. Et nous remplissons ainsi une grande partie de notre temps à faire des commérages plus ou moins superficiels sur les gens que nous connaissons et la vie nous semble bien vide.
Le problème véritable ce ne sont pas les étiquettes en soi, mais le fait que notre société est de plus en plus une sorte de grand spectacle, où nous regardons les autres du fauteuil de notre personnalité, comme nous suivons les nouvelles à la télévision. Nous finissons par ne plus savoir interagir avec les autres, nous laisser toucher par eux, être prêts à ce que l’autre entre dans notre vie, notre esprit et notre cœur et vienne peut-être bouleverser l’équilibre fragile que nous nous étions fait jusque-là.
Nous sommes à une époque où tout le monde cherche son indépendance. L’indépendance est bien sûr un pas en avant par rapport à la dépendance que nous subissons devant quelqu’un qui va jusqu’à nous dominer et nous écraser. Mais on oublie que l’indépendance n’est que la préparation à l’interdépendance entre des partenaires qui sont assez mûrs pour savoir ce qu’ils veulent, mais qui savent que la vie est avant tout don de soi à l’autre dans la réciprocité, si nous ne voulons pas faire de la société un véritable enfer où chacun a peur d’être envahi par les autres.
Quand nous devenons capables de regarder l’autre de l’intérieur le plus possible, de l’intérieur de nous-mêmes à l’intérieur de lui-même, de cœur à cœur, et non pas du dehors en restant finalement prisonnier des apparences, les relations humaines deviennent une belle aventure tellement passionnante. Et qui dit aventure ne dit pas que tout est facile, mais que tout prend un sens tellement plus fort, car nous sommes nés pour créer des rapports, pour nous entrechoquer le plus positivement possible et non pas pour passer notre temps à nous observer les uns les autres de loin comme des étrangers.
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A part ma rubrique « Perles de la Parole » et parfois « Reflets du paradis », je n’ai pas l’habitude dans ce blog de parler beaucoup de religion et de m’adresser particulièrement à mes amis chrétiens, mais cette fois-ci je vais le faire…
Ce qui m’a provoqué encore une fois, c’est une de ces phrases terribles qui circulent sur les réseaux sociaux et qui nous bombardent chaque jour. Mais écoutez donc celle-là : « Ce qui m’importe, c’est l’éternelle vivacité et non pas la vie éternelle. » Elle est de Nietzsche, le fameux philosophe allemand de la « mort de Dieu ». Celui qui présentait justement les chrétiens comme des gens qui ont peur de regarder en face les réalités de cette terre et de les affronter, et qui avancent le dos courbé et les yeux fixés à terre, en attendant que la vie éternelle vienne les délivrer. Encore une de ces mauvaises plaisanteries ou de ces jeux de mots dont les chrétiens font les frais…
Eh bien, je vous avoue que ce n’est pas Nietzsche qui me fâche ici, mais c’est nous les chrétiens au contraire. Parce que nous avons réussi en 2000 ans à transformer le message du Christ dans l’Evangile en une mauvaise caricature… et nous l’avons bien cherché si toutes ces critiques pleuvent sur nous.
Ce qui me frappe ici, ce n’est pas le jeu de mots de Nietzsche qui se moque allègrement de notre « vie éternelle », mais le début de sa phrase : « Ce qui m’importe… » C’est ce « moi » qui veut s’affirmer tout seul et s’opposer aux autres qui fait de la peine. « Moi », je veux mener ma vie comme il me plaît, « moi » je sais ce qui m’importe, « moi » je ne suis pas stupide comme ces chrétiens. C’est au fond une simple réponse à l’individualisme qui a déformé complètement l’idéal de l’Evangile au cours des siècles.
La vie de l’amour réciproque à l’image de la Trinité que Jésus nous a apportée est devenue peu à peu un refuge où chaque personne se sauve de son côté comme il peut, en attendant justement « sa » vie éternelle. Les chrétiens vont à l’Eglise comme dans un immense supermarché pour se servir de ce dont ils ont besoin, sans trop se préoccuper des autres. « Moi » ce qui m’importe, dit le chrétien, c’est d’arriver à la vie éternelle, et si les autres sont méchants et vont en enfer, c’est bien leur faute, « moi » je n’y peux rien. Alors nous avons bien mérité que Nietzsche réponde sur le même ton.
Il y a heureusement encore quelques chrétiens qui illuminent notre monde, comme Mère Teresa, le Pape François ou Chiara Lubich. Mais il faudrait que leur exemple crée un véritable courant, une véritable culture nouvelle où le « moi » puisse grandir justement en donnant sa vie pour les autres et non pas en se désolidarisant de ces autres et en les jugeant et les condamnant comme s’ils ne nous concernaient pas. Le jour où nous chrétiens ferons sentir à tous les hommes que ce qui « nous » importe, c’est de sauver l’humanité tout entière qui nous a donné la vie, alors nous parviendrons peut-être à réconcilier cette humanité avec le cœur de l’Evangile et de la vie, « présente » et « éternelle » en même temps, que Jésus est venu partager avec nous…
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La vie est une bataille entre le « pour » et le « contre ». Nous passons des journées entières à hésiter entre le « pour » et le « contre », avant de nous décider, avant de choisir, avant de nous jeter à l’eau, avant presque toutes nos actions, nos déclarations, le lancement d’un projet, l’ébauche d’une solution à un problème, tout ce qui remplit nos journées et donne du sel à notre existence…
Les deux sont importants. Car la conscience du « pour » et du « contre » est nécessaire pour ne pas faire superficiellement n’importe quoi, pour ne pas devoir détruire dans deux jours ce que nous venons à peine de construire. Mais on oublie souvent en route que la vie est d’abord un cheminement, une action incessante, un voyage, une relation, et pas seulement de belles idées et de belles paroles…
La première bêtise que je peux faire est de passer des heures à mesurer le pour et le contre et à rester paralysé, sans parvenir à me décider. Et ma vie devient peu à peu un spectacle où je regarde les autres et jusqu’â moi-même sans intervenir et tout devient vide, parce que je finis par ne plus savoir ce que je veux faire et par ne plus rien faire du tout. Je me laisse simplement porter par la routine de chaque jour et, à force de tourner en rond sur moi-même, je tombe en dépression ou au moins en paresse chronique et plus rien ne m’intéresse ou me passionne et je vois aussi les autres s’éloigner de moi.
Je commence à prendre vraiment goût à la vie quand je décide de me battre pour quelque chose de positif, pour moi, pour ma famille, pour les gens que j’aime, pour les gens qui souffrent, pour mon pays et finalement pour l’humanité. Le problème, c’est qu’il y a beaucoup d’obstacles en route. Alors, je dois m’arrêter au moins un moment pour enlever ce qui m’empêche d’avancer, ou pour contourner ces obstacles. Je passe alors beaucoup de temps à aller « contre » ces obstacles et contre les gens qui me dérangent et qui me bloquent dans mon avancée…
C’est alors qu’on finit par tomber dans un autre piège, celui qui est en train de paralyser en ce moment la politique mondiale. On était parti « pour » un rêve ou pour un projet. Et voilà que les barrières qui se dressent devant nous sont si nombreuses que nous nous mettons à nous plaindre du matin au soir contre ces gens « qui sont de mauvaise volonté », ou « foncièrement méchants », ou « qui ne comprennent rien ».
Je passe alors mon temps « contre » ces gens et ces courants qui me dérangent. Je me plains, je critique, je dénonce, j’accuse, j’emploie toutes mes forces pour rejeter ces gens qui bloquent mon passage. Je détruis ceux qui détruisent en croyant faire du bien… Et c’est comme cela que j’oublie mes rêves, mes beaux projets, et que je reste paralysé sur place à ne plus rien faire et à semer du négatif autour de moi, au lieu de construire quelque chose qui fasse progresser l’humanité. Et je trouve évidemment la vie bien triste parce qu’elle a perdu son sens. Alors que j’ai au fond de moi tellement d’énergies positives qui ne demandent qu’à se donner pour semer la paix et la confiance autour de moi, mais dont je ne me rends plus compte.
Heureusement qu’il y a toujours des personnes positives dans notre monde, mais il faut savoir les chercher, les trouver et construire avec elles une humanité nouvelle, si nous ne voulons pas faire de notre existence un tunnel sans fin, alors que la lumière est à deux pas…
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[Pour nous préparer à la lecture du chapitre 13 de l’Evangile de Matthieu, nous reprenons quelques commentaires publiés dans ce blog en 2015]
« Un prophète n’est méprisé que dans son pays, sa famille et sa propre maison. » (Mc 6, 4) Article du 7 août 2015 (cf. Mt 13,57 : « Un prophète n’est méprisé que dans sa patrie et dans sa propre maison. »)
C’est apparemment impossible à comprendre : les habitants de Nazareth ont vécu pendant presque trente ans (après le retour d’Egypte) avec Jésus, Dieu fait homme, et ils n’ont rien remarqué. Etaient-ils complètement aveugles ou bien Jésus a-t-il réussi à tellement bien cacher sa divinité ? Peut-être un peu des deux. Car au moins Marie et Joseph devaient comprendre quelque chose, mais ils le gardaient pour eux au fond de leur cœur. Ils savaient bien que c’était une réalité trop divine, trop délicate pour qu’ils osent y toucher. Ils faisaient seulement leur part de tout leur cœur en attendant de voir et de comprendre ce que Dieu allait faire. Car ils avaient au moins compris qu’il y avait le doigt de Dieu là-dedans, mais où, comment ?
Avant de juger les pauvres habitants de Nazareth, essayons d’abord de nous mettre à leur place. La vie sur cette terre est déjà tellement difficile. Elle l’était peut-être plus encore à l’époque de Jésus où l’homme pouvait mourir pour un rien, où personne n’était à l’abri des puissants et de leurs caprices, comme ceux d’Hérode. Ils s’accrochaient donc aux peu de réalités qui leur donnaient un peu d’assurance : la famille, le clan, l’organisation sociale telle qu’elle était vécue jusqu’à ce jour, le travail, l’éducation, la nourriture... Tout était réglé le mieux possible. Déranger ces habitudes, fruit de siècles et de millénaires de lente évolution, n’était que le risque de tout gâcher en peu de temps. L’homme étant aussi doté d’intelligence, les gens avaient appris, de génération en génération, à donner un sens à leur vie, ils avaient acquis un certain nombre de connaissances qu’ils « possédaient ». Toute révolution dans ces habitudes et ces connaissances semblait évidemment suspecte : l’équilibre auquel l’humanité était arrivé jusque là était tellement fragile qu’on regardait de travers ceux qui, sous prétexte de nouveautés, provoquaient des catastrophes, comme ce qui s’était passé avec l’histoire des porcs qui s’étaient précipités dans le lac...
Là est bien le piège : ces braves gens « possédaient » des connaissances, limitées sans doute mais tellement utiles pour vivre. Et voilà que Dieu allait leur demander de perdre ces connaissances. Tout est là. Nous-mêmes nous sommes forgés au cours des ans une foule de connaissances sur la vie, sur l’homme, sur les personnes que nous « connaissons », sur nous-mêmes. Et voilà que quelqu’un voudrait tout à coup tout changer ? Ce n’est pas raisonnable. Nous aussi tombons dans ce piège chaque jour. Essayons de nous demander seulement un peu si ce que nous pensons des autres et de nous-mêmes est une véritable connaissance, la lumière du regard de Dieu sur les personnes, les évènements ou les choses, ou bien un jugement global, fait de préjugés figés et impossibles à remuer qui fait de nous des malades de paralysie mentale, intellectuelle ou spirituelle. Nous avons compris dans ce chapitre que Dieu ne s’arrête jamais dans son amour, il renouvelle chaque instant son regard et notre regard. Si nous en restons aujourd’hui au regard d’hier, nous sommes déjà perdus, nous avons renoncé à nous laisser transformer par Lui et nous allons peu à peu paralyser tout ce qui se présente à nos yeux, à notre cœur, à notre connaissance. Combien y a-t-il à méditer là-dessus jusqu’à la fin de nos jours !
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Vous vous êtes déjà amusés un jour à mettre une série de dominos debout, les uns à côté des autres, sur une table et à faire tomber le premier ? Vous savez très bien que toute la rangée va se retrouver couchée par terre en deux secondes. Sauf si quelqu’un met son doigt sur un des dominos en le tenant fixé énergiquement sur sa base et alors a lieu un petit miracle : le domino en question va rester bien droit, mais tous ceux de la série qui suivent à partir de là vont se tenir eux aussi bien tranquilles. Le tremblement de terre annoncé va s’arrêter d’un coup.
Eh bien, cette expérience si facile à faire est peut-être le secret du salut de l’humanité. C’est là que commence et que finit notre bataille pour la survie du genre humain. Que peut faire un pauvre homme perdu au milieu de tous les courants parfois positifs, mais si souvent négatifs, qui traversent notre monde ? Il va faire comme ses voisins. Il n’a pas beaucoup de choix, c’est ce qu’on constate au moins au premier regard. Les autres se plaignent, je vais me plaindre moi aussi. Les autres critiquent, je vais ajouter mes propres remontrances. La violence nous envahit ? On va essayer de la combattre par une autre violence. La mode, la culture, les idées politiques, les nouvelles formes de loisir, tous les aspects sympathiques ou malfaisants de la société de consommation font tache d’huile sans qu’on ne puisse apparemment rien y faire.
Et pourtant, il suffit parfois d’une personne exceptionnelle ou d’un groupe de personnes, courageuses et convaincues, pour arrêter d’un coup, comme par miracle, un processus qui allait entraîner l’humanité encore plus à la dérive. La France et l’Allemagne ont fait une nouvelle guerre dans la deuxième moitié du XIXe siècle et pour continuer sur leur élan, ils ont entraîné le monde entier dans la guerre horrible de 1914 à 1918. La loi des dominos était en marche. En 1939 commençait une deuxième guerre mondiale qui allait peut-être conduire à une troisième ou une quatrième, si l’humanité existait encore. Et voilà que quelques personnes exceptionnelles d’Allemagne, de France et d’Italie ont décidé de mettre leur doigt sur leur domino et le massacre s’est arrêté.
On dira que le massacre continue ailleurs et c’est bien vrai, mais tout de même une grande partie du monde a respiré beaucoup mieux après la réconciliation des pays européens. Il y a malheureusement beaucoup de dominos qui continuent à tomber un peu partout dans le monde et des hommes de paix mettent leurs doigts ici et là, comme ils peuvent, pour que d’autres massacres s’arrêtent. Et ce phénomène réel au niveau du monde se répète dans chaque pays, dans chaque famille, dans chaque communauté. Ce qu’on a sans doute de plus beau à faire, quand on prend conscience de ce phénomène, c’est chercher les hommes qui ont commencé à arrêter le massacre des dominos et nous unir à eux pour que ce courant de paix, de réconciliation, de partage, d’initiatives de toutes sortes pour le bien de l’humanité, continue à gagner des batailles.
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